Le chanoine Pinoteau, prêtre de l’Institut du Christ-Roi à Lille, raconte ses maraudes à la rencontre des sans domiciles fixes. Voici sa dernière chronique :
« Chassez le naturel, il revient au galop ! ». Les pavés de mai 68, jetés dans la « marre de la morale » n’ont fait que la paver de bonnes intentions. La morale chrétienne n’aurait jamais osé aller aussi loin que la nouvelle éthique citoyenne promue par les soixante-huitards. Le théâtre de la comédie humaine est toujours le même. Certes les mots sont plus alléchants, mais les concepts de « péché mortel » et « d’excommunication » ont seulement changé de déguisements et d’acteurs. Alors qu’on promeut la responsabilité, les nouveaux slogans de la nouvelle morale sont : interdits et interdire. Thibon leur disait:” faites en un paradis, vous en ferez un enfer!”
Comme on aime bien faire référence aux grandes pandémies médiévales qui ont dévasté notre Europe, les gestes barrières ne peuvent m’empêcher de réveiller les belles histoires qui éveillent l’imagination d’un petit garçon. Bah oui, qu’aurait dit le fils Bernadone devant son lépreux ? Dans « Belles histoires, belles vies », je le vois encore descendre de son cheval pour embrasser ce qui le dégoûte le plus au monde. Cette anecdote n’a pas seulement transformé la vie du saint le plus populaire, mais c’est devenu un geste symbolique dans la spiritualité franciscaine. Dans « Les franciscains du Bronx », les braves moines insistent en disant que la sainte touche est un geste qui justement brise les barrières.
Ce n’est pas pour braver la loi ou défier un gouvernement que les maraudeurs savent bien, au nom de la responsabilité et de la civilité, qu’il faut parfois, pour lever les barrières imiter la geste franciscaine.
Bah oui, parce que les jolis mots, souvent dans la rue, ça ne suffit pas.
Hier soir, une équipe est arrivée à la prière avec Dylan, bon, pas besoin de se creuser la tête pour trouver des mots, il répondait à notre place. Par contre Philippe, que S. nous a ramené, lui était transi, la cinquantaine. Il n’arrivait pas à parler. Il ne faisait que répéter « j’ai froid ». Quand le cœur est glacé, les jolis mots ne font rien fondre. On a appelé le 115, mais apparemment, toujours le même refrain, « pas de place à l’hôtellerie ». Nous lui avons donné une couverture. Je n’ai pas su quoi lui dire tellement il me faisait de la peine. Alors c’est lui qui est venu me chercher. Pendant la prière, il a posé sa couverture à côté de moi, comme s’il pouvait ainsi capter plus d’ondes mystérieuses. Au début, il pleurait simplement, puis comme un enfant, il est venu me prendre la main. Je ne sais pas si c’est le chapelet au poignet qui l’a intrigué, mais une fois qu’il avait mis la main dans le collet, c’est la Sainte Vierge qui s’en est occupé. Prendre par la main, n’est pas un geste anodin, il faut le répéter bien souvent à la jeunesse. C’est s’engager, c’est faire confiance. Ce n’est pas un jeu et Philippe ne jouait pas pour m’attendrir. C’est le cœur de Marie qu’il cherchait, vers lequel il voulait que ma main le guide. C’est elle qu’il a retrouvé quand il s’est uni à notre chœur pour chanter à pleine voix l’immortel AVE.
Les maraudeurs n’oublieront pas, et moi non plus. Il y a des gestes barrières, il y a des gestes qui lèvent les barrières, parfois ce sont les mêmes, allez comprendre, mais je suis sûr que Castex me pardonnera.