Jean Sévillia a été longuement interrogé par Jérôme Cordelier dans Le Point. Extraits :
Qu’est-ce que la foi chrétienne pour vous ?
Ma foi, c’est ce qu’enseigne l’Église, à savoir que Jésus-Christ, mort crucifié et ressuscité d’entre les morts, est le fils de Dieu, venu sur terre pour racheter le péché du monde, venu pour apporter la Bonne Nouvelle : Dieu nous aime. Jésus, Dieu lui-même, est le médiateur naturel qui nous conduit vers Dieu. Il me permet d’accéder au divin, au mystère de la création du monde, au mystère de la relation entre l’homme et son créateur. La foi pour moi est façonnée par tous ses mystères. Je la vis dans l’acceptation de quelque chose que je ne comprends pas.
S’il faut chercher des étiquettes humaines, on dira que je suis un catholique conservateur, traditionnel, traditionaliste même. Je ne suis pas dans une logique de remise en cause d’une institution qui a deux mille ans d’histoire. Qui suis-je pour juger l’Église ? Accepter l’Église telle qu’elle est, ce n’est pas se mettre dans une prison intellectuelle. Parce que cette Église a été celle de grands saints, de prestigieux théologiens, d’humbles fidèles dont je suis le modeste frère. Les catholiques qui ne sont pas de ma sensibilité sont aussi mes frères en Jésus-Christ. L’Église est ma maison, et je m’y sens bien. Je suis catholique et je n’en ai pas honte, c’est aussi simple que cela. Ma vie est rythmée par ma foi. Pour moi, c’est quelque chose de tellement naturel… Je respire ainsi.
Considérez-vous vous qu’il existe une culture du débat au sein de l’Église ? Qu’on y accepte volontiers la contradiction, la remise en cause des vérités, la disputatio ?
Il y a une liberté intellectuelle dans l’Église. Mais la vérité divine ne se construit pas par le débat, elle est reçue, elle est le fruit d’une révélation qui nous a été transmise par les Évangiles. La donnée de départ est immuable et nous précède depuis deux mille ans. Les vérités de la foi que l’on trouve dans le Credo n’ont pas à être discutées. À partir du moment où l’on entre dans l’Église, on accepte ce qu’on nous demande, même s’il y a des sujets qui peuvent donner matière à débat.
Il faut distinguer entre le dogme qui est immuable et la discipline qui a pu varier avec le temps, même si la Tradition, qui est étymologiquement la transmission, nourrit la doctrine de l’Église. […] Il faut sortir des postures des années 1960-1970 et se recentrer sur le contenu de la foi, à savoir Jésus-Christ ressuscité. J’y crois depuis que je suis né. Ma mère était catholique, mon père ne l’était pas, mais le contrat entre eux était que les enfants qui naîtraient de leur mariage seraient catholiques. Le contrat a été tenu. J’ai été baptisé, j’ai reçu tous les sacrements. Et j’ai longtemps été scout, ce qui a beaucoup compté pour moi.
Pourquoi ?
Parce que le scoutisme apprend à vivre avec les autres, à cultiver le sens du service, à témoigner du souci de la charité, et aussi à croire en un idéal. Le scoutisme est une belle école civique. C’est d’ailleurs un mouvement qui tient une place très importante aujourd’hui dans la société française, et qui pousse à l’engagement, au bénévolat.
Oui, mon père était juif, mais il n’était pas croyant. Il n’avait aucun lien soit cultuel, soit culturel avec le judaïsme. Enfant et adolescent, il avait été un passionné de scoutisme qu’il avait pratiqué chez les Éclaireurs unionistes, les scouts protestants. C’était un israélite – j’utilise ce mot qu’il employait lui-même – très franchouillard. Une partie de sa famille, sa soeur et sa fille, ma tante et ma cousine germaine donc, ont disparu à Auschwitz.
Combattant de 1940, mon père a été jusqu’en 1945 prisonnier de guerre en Autriche, pays où, par un incroyable phénomène de résilience, il reviendra avec bonheur après la guerre. Il était tailleur sur mesure, métier qu’il a exercé toute sa vie. Au fond, la seule manière que mon père avait d’être juif était une sympathie instinctive pour l’État d’Israël – je me rappelle ses réactions lors de la guerre des Six Jours en 1967 ou de la guerre du Kippour en 1973 -, et sa détestation des préjugés antisémites. Il m’a légué l’esprit scout, l’amour de l’Autriche, le goût de l’élégance et le mépris de l’antisémitisme. […]
Qu’est-ce qui vous séduit dans la messe en latin ?
Le rite accorde plus de poids au silence, à l’intériorité, à l’adoration. Je trouve les autres cérémonies trop souvent bavardes. Là, on s’agenouille, on adore… La sacralité de la messe, je la reçois mieux en latin. C’est d’ailleurs encore aujourd’hui la langue officielle de l’Église, y compris selon les normes du concile Vatican II. Toute religion a une langue sacrée. Les juifs français prient en hébreu, je ne vois pas pourquoi les catholiques ne prieraient pas en latin. S’adresser à Dieu d’une autre manière qu’à sa boulangère, ou à quiconque d’autre, pour moi, rien de plus normal.
Oui, cela suit un mouvement que je souhaite. C’est un retour aux fondamentaux. Il ne faut pas y voir une manifestation de repli nostalgique, mais, au contraire, un appel vers le sacré. Dans la vie chrétienne, on peut faire preuve de charité, s’occuper des SDF, mais il y a un temps pour tout : à un moment, on se tourne vers Dieu. À mon sens, le latin favorise le sacré. Prier et chanter en latin, c’est emprunter des marches qui permettent de monter vers Dieu.
Vous avez évoqué le devoir de charité des catholiques envers les SDF. Et envers les migrants ? Beaucoup de catholiques trouvaient que le pape François en faisait trop sur le sujet… Vous aussi ?
Oui. Notre bon pape François en a fait beaucoup. Évidemment, ce sont des drames humains. Mais l’Europe n’est pas coupable de tous les dérèglements du monde. La charité, c’est aussi de s’occuper des pays d’émigration, de les aider à conserver leurs forces vives pour se développer, ce qui les aidera à sortir de la misère. Maintenant quand des gens se noient, il faut les secourir, il n’y a pas de discussion là-dessus.
Le pape François , qu’en pensiez-vous ?
C’était un pape clivant. Même des personnes qui le soutenaient pouvaient le trouver très fatigant. Il prêchait la miséricorde, mais avec ses collaborateurs, c’était un chef très autoritaire, très dur. Ce qui était assez paradoxal. Benoît XVI, lui, avait une image de conservateur mais c’était un homme très doux. Je me réjouis beaucoup de l’arrivée de Léon XIV. C’est un pape apaisant. Il cherche à réparer des blessures, à dépasser des clivages. Léon XIV est un cadeau du Bon Dieu.
Il y a encore des divisions. Beaucoup n’ont pas encore intégré que nous sommes devenus minoritaires dans le pays ; ils ont encore des réflexes majoritaires. Ce qui génère beaucoup de traumatismes. Toute la morale catholique est en porte-à-faux avec l’évolution de la société. C’est compliqué à vivre, et cela le sera de plus en plus au fur et à mesure que le nombre de catholiques de conviction diminuera. Dans leur tranche d’âge, mes petits-enfants, devenus adultes, seront très minoritaires. C’est à la fois une faiblesse et une force. […]
