Six ans plus tard, une mère continue de pleurer son fils.
L’un des objectifs les plus important de SOS Chrétiens d’Orient est de tisser des liens d’amitié et de solidarité forts entre les chrétiens d’Orient et d’Occident. A cette fin, les volontaires en mission ont à cœur d’aller à la rencontre des chrétiens sur place, en travaillant, priant, et vivant à leurs côtés. Cette proximité permet de percevoir les difficultés du quotidien auxquelles ils font face, et de recevoir plus facilement leur témoignage.
Depuis quelques semaines, les volontaires de Homs, en Syrie, ont entrepris de rendre visite à des familles des martyrs. Les syriens appellent « martyrs » les soldats morts dans les combats contre les terroristes. Nous avons récemment visité une de ces familles à Sadad, un village chrétien situé à environ une heure de route au sud-est de Homs.
En raison de son emplacement privilégié, à seulement cinq kilomètres de l’autoroute M5, principale artère Nord-Sud de la Syrie, et à une heure de route de Damas, c’était une cible très attrayante pour les terroristes. Ces derniers ont tenté à plusieurs reprises de s’emparer du village, mais grâce à la bravoure de ses habitants, il n’a jamais été complètement envahi, bien qu’Al Nosra ait été jusqu’à en contrôler les trois-quarts pendant une semaine, du 21 octobre au 28 octobre 2013.
Nous sommes reçus par Ektibar, dont le fils Alaa, un jeune médecin, est mort en service pendant la guerre. Elle nous invite à nous asseoir sous le porche, en face de son jardin abondamment fleuri, et nous offre thé, fruits, et gâteaux secs.
Hyam, une amie de l’association qui nous accompagne ce jour-là, nous prévient : malgré les six années écoulées depuis la mort d’Alaa, la plaie est restée très vive pour sa mère, qui ne s’habille désormais plus qu’en noir, et peine à parler de son fils sans être submergée par l’émotion. Nous nous contentons donc d’écouter Hyam nous raconter cette histoire qu’elle connaît déjà bien, complétée de temps à autre par les commentaires d’Ektibar.
Alaa était son seul fils, et tout le monde dans le village connaissait sa piété. Ayant un temps songé à devenir prêtre, il s’était finalement tourné vers la médecine, y trouvant également un bon moyen de servir son prochain. Cela lui avait permis de soigner un grand nombre de soldats pendant la guerre. En tant qu’étudiant en médecine, il travaillait à l’hôpital français de Damas et à l’hôpital de Deir Attiye. Altruiste, il se mettait au service de tous ceux qui faisaient appel à lui.
Une journée de novembre 2013, parti accomplir son devoir, il n’est jamais revenu…Le jour de sa mort, il voyageait en bus de Sadad à Deir Attiye, ville située à mi-chemin entre Damas et Homs. Quelques centaines de mètres avant d’entrer dans la ville, le conducteur du bus, constatant que la route était très dangereuse, décida de faire demi-tour. Mais Alaa insista pour descendre du bus et parcourir à pied les quelques centaines de mètres qui le séparait de l’hôpital. Ses patients avaient besoin de son aide. Parvenu sur place, il débutait son travail quand l’hôpital fut attaqué par les terroristes. Il trouva la mort dans cette attaque, tout comme de nombreux patients. L’hôpital n’étant toujours pas sécurisé après ce drame, son corps ne put être récupéré qu’une semaine plus tard.
Ses dernières paroles, inscrites sur une feuille retrouvée à côté de lui, témoignent d’une foi vivante et belle. « Ma dernière volonté est d’espérer que vous ne deviendrez pas triste mais heureux, car rien ne durera. Croyez que Jésus-Christ vous aime. Ma vie durant, j’ai essayé de me souvenir de Lui une ou deux fois par jour, même pour cinq minutes. Rien n’est plus important. Aimez-vous les uns les autres, c’est la seule chose qui durera. » Alaa.
Ces quelques mots, remplis d’espérance, sont inscrits sous l’un des trois portraits d’Alaa qui figurent dans la pièce. Ektibar les relis tous les jours, et nul ne sait alors ce qui l’emporte, entre le douloureux souvenir de ce fils qui lui manque, et la paix qui émane de ses dernières paroles. Quoiqu’il en soit, cette mère courageuse nous confie s’inspirer de la foi exemplaire de son fils, et nous répète avec force : « Mon fils ne m’appartient pas, il appartient à Dieu. »
Le silence se fait quelques instants. Au-dessus de nos têtes, Alaa semble veiller sur nous. Une photo le représente entouré de ses parents, lointain souvenir de jours heureux. Une autre le montre dans sa blouse de médecin, stéthoscope autour du cou, la même tenue qu’il portait le jour de sa mort, au service de ses patients. Enfin, un grand portrait le laisse apparaître entouré du Christ et de la Sainte Vierge. Avec ses traits fins et son visage juvénile, il semble ne pas avoir vingts ans. Nous comprenons alors davantage cette mère inconsolable : son fils s’en est allé rejoindre les anges, auxquels il ressemble.