Avec Juristes pour l’enfance, six autres associations et 300 parents, Le Syndicat de la Famille avait saisi le Conseil d’Etat sur les arrêtés de la ministre de l’Education nationale des 3 et 4 février 2025 sur le programme d’éducation affective, relationnelle et sexuelle. Le Conseil d’Etat rejette ces recours au motif, notamment, que les sujets seraient « traités de manière neutre et objective », que le programme ne porterait pas atteinte à la liberté de conscience des élèves et à la liberté éducative des parents, et qu’il repose sur « des notions tenant compte de l’état de la science ». Mais le Conseil d’Etat, qui n’étaye pas ses assertions, s’en tient à des affirmations subjectives, qui vont parfois même jusqu’au déni des enjeux de fond et des débats idéologiques actuels. Finalement, les points successivement égrenés dans la décision pour justifier les rejets des requêtes ne sont pas à la hauteur d’enjeux sensibles qui concernent 750.000 élèves environ par classe d’âge.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat reprend, comme il est d’usage, les arguments des associations et particuliers requérants, mais pour conclure systématiquement et péremptoirement, en quelques lignes, « qu’il ressort des pièces des dossiers » que les critiques émises ne sont pas fondées.
Hormis ses allusions aux « pièces des dossiers », dont aucune citation n’est donnée, ce qui ne permet pas d’aller enfin sur le fond, le Conseil d’Etat se contente seulement, en réponse à chaque critique, de citer des extraits des objectifs et de l’introduction du programme.
Or ni ces objectifs ni cette introduction ne disent, en tant que tels, ce qui sera effectivement exposé aux élèves alors que le sujet de la contestation est là : il concerne évidemment des parties du programme en lui-même, soit des passages des pages 11 à 48 du document.
Finalement, la décision du Conseil d’Etat n’est pas étayée : ainsi, lorsqu’elle affirme « qu’il ressort des pièces des dossiers que ces sujets y sont traités de manière neutre et objective, en tenant compte de l’état de la science » (point 20), la décision méconnaît la science, qui n’a jamais donné de définition de l’identité de genre, laquelle est par définition subjective et, justement, sans fondement scientifique.
Lorsque le Conseil d’Etat déclare que le programme ne porte pas atteinte à l’intégrité physique et psychique des personnes, il omet le fait qu’exposer une distinction entre le sexe et le genre à partir de la classe de 5e, comme le programme le prévoit, c’est ouvrir auprès d’élèves qui approchent de l’adolescence des doutes vertigineux sur leur propre identité.
Lorsque le Conseil d’Etat estime « neutre » le fait de parler « d’identité de genre » au motif que cette notion figure dans le droit français (point 18), il omet aussi la jeunesse des élèves, laquelle implique de s’adapter à eux. Et à ce sujet, justement, il estime (une fois encore, sans l’étayer) que le programme est adapté à chaque âge : mais de fait, ce n’est pas parce qu’il est affirmé en introduction qu’il est adapté à chaque âge ni même parce qu’il fait des différences par âge qu’il l’est de manière suffisante et ajustée.
En outre, la notion d’identité de genre ressort de convictions idéologiques et, à ce titre, elle peut évidemment porter atteinte au respect de la liberté éducative des parents.
Et lorsque le Conseil d’Etat écrit que « les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les actes attaqués auraient été édictés en méconnaissance du principe de neutralité et de la liberté des parents d’élever leurs enfants dans un sens conforme à leurs convictions », on ne peut que regretter qu’il n’ait pas pris non plus en compte l’extrait du programme suivant lequel, en CP, il faudra aborder « les différents types de familles », notamment « hétéroparentale, homoparentale ». Or le sujet de l’homoparentalité n’est pas anodin ou neutre dans la mesure où elle prive sciemment des enfants de père ou de mères et renvoie aux débats anthropologiques, éthiques et politiques sur la PMA sans père et la gestation pour autrui. Quant au fait d’évoquer l’orientation sexuelle des parents, il est justement contraire à l’affirmation du Conseil d’Etat suivant laquelle ce programme n’enseignerait pas la sexualité à des mineurs à un âge trop précoce (point 22).
De nombreux autres exemples pourraient être indiqués qui montrent que la décision du Conseil d’Etat est subjective, voire dans le déni des enjeux du débat.
Les avis péremptoires égrenés dans la décision ne sont pas à la hauteur d’enjeux qui concernent 750.000 élèves environ par classe d’âge, ainsi que leurs parents.
Juristes pour l’enfance ne compte pas en rester là :
Juristes pour l’enfance est évidemment déçue, même si elle n’est pas surprise compte-tenu de la teneur des conclusions du rapporteur public Jean-François de Montgolfier, lors de l’audience du 6 juin dernier. Plus que leur sens, qui concluait au rejet de notre requête, c’est surtout le mépris et la présentation biaisée et caricaturale de nos arguments que nous soulignons. Ce traitement nous a été réservé, au contraire des autres dossiers examinés lors de la même audience, quand bien même le rapporteur concluait au rejet des requêtes.
Ce fait, couplé avec la pauvreté de la décision qui se contente de rejeter nos arguments par des généralités péremptoires, contribue à la baisse fracassante de la qualité de la justice.
Principe de primauté éducative des parents et leur autorité parentale écartés
Contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’Etat le principe de primauté éducative des parents et leur autorité parentale sont écartés, comme le principe de participation des parents à la communauté éducative fixé par le Code de l’éducation. Certes la loi ne prévoit pas le détail de l’information qui doit être donnée aux parents. Mais le Conseil se trompe en faisant une interprétation littérale de la loi. Lorsque la loi dispose que la formation scolaire complète l’action de la famille, cela suppose a minima que les parents soient tenus informés de manière détaillée du contenu et des modalités de cette formation scolaire. L’EVARS est le seul domaine qui ne fera pas l’objet de l’information complète donnée par chaque enseignant en début d’année lors de la réunion scolaire de rentrée.
Respect de la vie privée et de l’intimité ignoré
Nous maintenons que la vie privée des élèves n’est pas respectée par ce programme d’EVARS, parce que sa manière d’aborder la sexualité est en soi intrusive au regard du respect de la vie privée et de l’intimité de chaque élève.
Les stades de développement psycho-affectif méconnus
Le respect du stade de développement psycho-affectif des enfants n’est pas assuré, d’une part parce que le programme ne pourra pas faire l’objet d’une adaptation à chaque cas singulier contrairement à ce qu’affirme le Conseil, et d’autre part parce que des parties du programmes sont en soi inadaptées à l’âge des enfants ou un apprentissage collectif.
La lutte contre les violences sexuelles privée d’effectivité
Nous confirmons que l’objectif de lutte contre les violences sexuelles ne peut être atteint avec cet enseignement 1) qui se refuse à poser une parole claire sur la nocivité pour toute la société des contenus pornographiques violents, sexistes et dégradants, 2) qui ne met pas l’accent sur l’interdit, 3) qui ne tient pas compte de l’immaturité affective des enfants et des adolescents qui les empêche très souvent de donner un consentement libre et éclairé, comme nous l’expliquons ICI.
Absence de neutralité
Nous maintenons que ce programme ne respecte pas le principe de neutralité. Contrairement à ce que prétend le Conseil d’Etat, enseigner l’existence d’une identité de genre distincte du sexe biologique ne reprend pas l’état de la science. Quant à l’état du droit, le fait que cette notion soit entrée dans le code pénal, ne peut justifier que l’on enseigne aux élèves une fiction non reconnue par la science.
Maintien du flou juridique s’agissant des associations intervenantes dans les collèges et lycées
Enfin, nous nous étonnons que le Conseil d’Etat n’ait pas jugé bon de clarifier le statut des associations autorisées à intervenir dans les établissements scolaires. Le mémoire du Ministère de l’éducation nationale repris par le rapporteur public soutient qu’il n’existe pas de monopole des associations agréés et que d’autres associations peuvent intervenir dans les établissements scolaires. Sur le terrain, les inspecteurs d’académie s’appuyant sur la circulaire disent le contraire. Le Conseil d’Etat n’a pas été capable de clarifier le droit. On ne peut que le regretter.
Nous nous concerterons dans les prochains jours avec nos avocats pour décider de la suite à donner à cette décision.