Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, a publié un ouvrage intitulé L’Archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée. Il explique au micro de Boulevard Voltaire :
Selon vous, une des causes, voire la principale, de l’archipellisation de la France est le désagrègement de sa matrice catholique.
Ce n’est pas forcément la cause principale, mais c’est plutôt la cause première ou la plus ancienne. On arrive au constat que la société française a été matricée en profondeur par la philosophie, la culture judéo-chrétienne et par le catholicisme. Bien évidemment, cette imprégnation était maximale dans les zones et auprès des publics qui se déclaraient catholiques.
Face à eux s’est constitué un camp laïc et républicain dont la principale raison d’être était de s’opposer au premier pilier. Cette société française, depuis la Révolution française, s’est structurée sur cette opposition.
Le soubassement sur lequel deux blocs étaient assis était un sous-bassement structuré par ce référentiel judéo-chrétien. Nous constatons deux choses. Le pilier catholique s’est disloqué. Il ne nous viendrait pas à l’idée de dire qu’il n’y a plus de catholiques en France. Ils sont encore bel et bien là, présents et très actifs. Néanmoins, on l’a dit tout à l’heure, 6 % de personnes déclarent aller à la messe tous les jours, contre 35 % il y a encore cinquante ans. On voit bien l’ampleur du décrochage.
Si ces catholiques existent encore, ils ne sont plus, aujourd’hui, qu’une des îles parmi d’autres de l’archipel français. D’une part, il n’y a plus cette espèce de droit d’aînesse qui leur aurait été conféré. D’autre part, il n’y a plus cette capacité à peser très lourdement et significativement sur le cours des choses. Je vous donne un exemple. La mobilisation contre le mariage pour tous, en 2012, était une mobilisation massive. On montre que de nombreux catholiques sont prêts à descendre dans la rue, même si tous les catholiques ne sont pas descendus dans la rue à ce moment-là et si tous les gens derrière la bannière de la Manif pour tous n’étaient pas forcément catholiques. En dépit de cette mobilisation très massive, la loi est passée. On a donc une rupture par rapport à ce qui s’était passé trente ans plus tôt, en 1984, avec la mobilisation peu ou prou des mêmes milieux. Cette mobilisation avait, elle, donné lieu à un recul du gouvernement.
On voit donc bien que ce catholicisme en tant que force sociale, doctrine et croyance, a énormément perdu de terrain. Ce n’est pas complètement nouveau. En 1983, Marcel Gauchet a écrit un livre intitulé Le Désenchantement du monde. Il théorise la notion de la sortie de la religion. C’était il y a 35 ans. Mon livre lui rend, d’une certaine manière, hommage en disant que c’était quelque chose de très visionnaire et que nous sommes, sans doute, arrivés au stade ultime de cette sortie.
Si on est au stade ultime de cette sortie, c’est qu’à côté de ce pilier qui s’est considérablement fissuré, voire disloqué, c’est le sous-bassement qui se trouve être déstabilisé. Je ne suis pas spécialiste de l’histoire des religions. Je me suis appuyé sur le livre remarquable de Guillaume Cuchet. Il revient sur cette question : comment notre monde a cessé d’être chrétien ? Je me range assez à son avis. Le phénomène de déchristianisation n’a ni commencé en 62 ni en 68. Il est bien plus précoce que cela. Il s’est manifestement accéléré dans les années 60.
Ce processus s’est accéléré. Il est concomitant à la montée en puissance de l’individualisme, un certain hédonisme qui se développe après la Seconde Guerre mondiale, au moment des Trente Glorieuses, avec le baby-boom. C’est la tendance de fond.
À cette tendance de fond, d’autres événements viennent amplifier les tendances. On peut penser à Mai 68. On peut aussi penser à Vatican II. Selon la formule de Cuchet, Vatican II met fin à ce qu’on appelle un certain « catholicisme populaire » fait d’obligations. C’était l’obligation d’aller à la messe, l’obligation de la confession, l’obligation de faire maigre le vendredi. Il s’agissait de toute une série de considérations qui structuraient des populations dans une culture et un rite catholiques. Ce quadrillage-là ayant été ôté, le phénomène de déchristianisation qui avait déjà commencé a pris de la vitesse et de l’ampleur. Nous sommes, aujourd’hui, arrivés au stade que nous connaissons. […]
Philippe de Geofroy
“Néanmoins, on l’a dit tout à l’heure, 6 % de personnes déclarent aller à la messe tous les jours, contre 35 % il y a encore cinquante ans.”
Cuchet qu’il cite plus haut parle d’1,8% de pratiquants tous les dimanches (et non pas 6% tous les jours comme affirmé dans cet article) !
Avec 6% de pratiquants quotidiens la France serait surement un pays profondément catholique !