De Marion Duvauchel, Historienne des religions :
En 2005, le numéro 301 de la revue Histoire publiait une enquête signée Claude Askolovitch : « Y-a-t-il des sujets tabous à l’école » ? Le titre est euphémique mais l’article décrit ce qui se passe alors dans les écoles de France, en particulier l’ensemble des actes qui permettaient de saboter un cours. Édifiant par l’analyse qui en est faite : les élèves découvrent « l’ivresse de la censure, le bonheur d’avoir une opinion et donc le droit de l’imposer aux autres ». La crise se focalisait alors autour des « Beurs » et l’antisémitisme était à la source de leur comportement hostile. Hier comme aujourd’hui, il fallait pour comprendre la question, avoir une idée un peu nette de l’islam et du Coran, et donc avoir fait un peu d’histoire ancienne et d’anthropologie religieuse.
Aujourd’hui, pour éviter de voir son cours saboté, c’est simple, on ne fait plus cours du tout. Cela s’appelle « gérer ».
En 2001, l’historien Georges Bensoussan avait rassemblé des témoignages d’enseignants et en avait fait un livre publié sous le pseudonyme d’Emmanuel Brenner : Les territoires perdus de la République. Le livre a été oublié, dame, plus de vingt ans déjà, mais le terme est resté. La chose qu’il recouvre aussi…
Les conclusions avancées dans cet ouvrage avaient été mises en cause par Alain Gresh et Dominique Vidal, journalistes au Monde diplomatique et par Ivan Segré dans l’organe du Parti des Indigènes de la République (ça ne s’invente pas). En 2018, paraît le livre Territoires vivants de la République, dirigé par Benoit Falaize. Il a été épaulé par Dominique Borne (on verra plus loin sa biographie) et se présente comme un contrepoids en positif mais il ne connut qu’un succès éditorial limité : 2 000 exemplaires vendus contre vingt cinq mille pour les Territoires perdus.
En 2004, Jean-Pierre Obin publiait un rapport sur l’antisémitisme dans les écoles. Un simple avis de Dominique Borne au nouveau ministre de l’Éducation, François Fillon aura suffi pour l’enterrer au motif que ce rapport tirait des conclusions générales d’une soixantaine de cas particuliers. Des fuites dans la presse entraîneront sa publication en mars 2005.
D’après Askolovitch, le rapport Obin décrivait « une lutte idéologique entre l’école et un islam rétrograde, dont les Beurs étaient l’enjeu avant même d’en être les acteurs ». C’était vrai, à ceci près que la lutte ne se jouait pas entre un islam rétrograde et l’école mais entre l’islam tout court et une école dont le socle et l’histoire était encore chrétien.
Historiquement, et c’est le point que souligne l’article de la revue Histoire, les premières manifestations de l’hostilité des enfants du Maghreb se sont exprimées autour de la question de la Shoah. La Shoah, cela fait partie de l’histoire moderne, donc de notre « roman national ». Ce roman, dont Ernest Lavisse (l’instituteur national selon l’appellation de Jacques Le Goff) a été la figure tutélaire, ne se réduit pas à l’invention présumée de Vercingétorix. Tous ceux qui rêvent d’une histoire dénationalisée (et dépassionnée) pour citoyens du monde, sectateurs de l’ONU et de l’UNESCO sont de dangereux utopistes et détruisent la transmission. Quant aux bobos de la capitale, protégés par deux portes blindées successives, qui militent pour une histoire qui commencerait idéalement avec les Lumières – en oubliant l’épisode de la Terreur – et s’achèverait dans la douce lumière de la Planète bleue sauvée par des Terriens passant désormais leur temps à trier des déchets et à cultiver des navets bios, ils écoutent beaucoup trop les âneries de la suédoise illuminée qui roule aujourd’hui en berline. La Shoah fait partie de notre « roman européen » : c’est sa face tragique et c’est aussi le fruit de l’apostasie générale des pays européens, déchristianisés, cupides et sans honneur. Allemagne en tête. Quand, en 1898, Guillaume II entre fastueusement dans Damas , il apparaît en successeur de Nabuchodonosor, (revue Histoire, n° 301) c’est-à-dire en Assyrien. Et les Assyriens, ce sont les « hitlériens du monde antique » (René Grousset).
Depuis 2004, les choses ont évolué. Non seulement les jeunes Maghrébins n’ont pas cessé d’être un enjeu (les millions du Qatar dans les banlieues le rappellent), mais ils sont aussi devenus des acteurs : virulents, actifs, dangereux et radicalement hostiles à la France pour une bonne part. Ils veulent qu’on change les menus des cantines, qu’on mange tous hallal et qu’on se convertisse à leur merveilleuse religion de paix et de tolérance universelle. On a tant à y gagner, surtout les femmes… Et le plus terrible c’est qu’on a consenti à leurs revendications les plus révoltantes, y compris en modifiant la réalité historique dans les programmes et surtout en faisant taire les voix qui s’élevaient pour dénoncer le danger.
Histoire n’est pas une revue de gauche pour rien. Askolovich parvient pourtant à un diagnostic presque juste quand il parle d’une « déchirure profonde de la société française ». Déchirure géographique, culturelle, sociale et peut-être ethnique et religieuse ? Ah, on y arrive.
Car il s’agit d’abord et surtout d’une déchirure religieuse : islam/judéo-christianisme. Le constat ne peut être nié et les musulmans convertis prennent la parole ou la plume pour décrire l’emprise de la religion qu’ils ont librement apostasiée, parfois au prix d’une persécution féroce (Le prix à payer, Joseph Fadelle). Nos églises imbues de l’idéologie de la gauche qu’elles ont transmises en lieu et place de l’Évangile sont tout aussi coupables que des pouvoirs publics indigents d’intelligence, de courage et de lucidité. Elles nous ont gavé, pape François en tête, de discours lénifiants sur la charité et l’accueil aux migrants, sur l’écologie intégrale, la solidarité universelle et autres billevesées issues en droite ligne des idéologies de l’esprit du temps.
La déchirure ethnique est d’abord liée au terme ambigu d’ « arabe ». Ethniquement, le Maghreb est berbère mais il s’est arabisé à travers la langue des conquérants, dans le moment califal, après l’islam des tribus. En islamisant toute l’Afrique du Nord, les Arabes venus de la Péninsule arabique mais aussi de l’Espagne islamisée ont coloré le sentiment ethnique des berbères de l’orgueil propre au musulman. Les Maghrébins expatriés dans les pays du Golfe découvrent, souvent avec stupeur, qu’ils sont tenus là-bas pour des « sous-musulmans ».
Claude Askolovitch souligne par ailleurs avec justesse le problème de « la fragmentation de l’histoire », de « sa transmutation en un supermarché dans lequel des élèves viendraient piocher au gré de leurs origines ». Il admet que ce n’est pas un progrès mais qu’il reste à inventer « un enseignement dans lequel tout le monde pourrait se retrouver ».
Il faut raison garder et ouvrir un manuel d’histoire de Cinquième (dont la période est le Moyen âge) pour analyser les deux premiers thèmes du programme : l’islam ? une brillante civilisation méditerranéenne qui n’a eu que des contacts et des échanges avec la chrétienté ; la traite africaine au Moyen âge (essentiellement musulmane) ? la question a été supprimée des programmes deux ans après y avoir été inscrite ; Al andalous ? une apogée ! La médecine et la science ? nous les devons au monde arabo-musulman, et non plus arabo-persan (voir mon article La science arabe, une équivoque à dissiper, on le trouve sur la Toile) ! L’empire carolingien ? deux pages incluses dans le paradigme géopolitique méditerranéen, alors que cette Europe médiévale est essentiellement ouverte vers le Nord.
Et surtout, les bornes traditionnelles du début et de la fin du Moyen âge (chute de Rome, chute de Byzance) sont subrepticement remplacées par l’avènement de l’islam et par la chute de Bagdad.
Ce n’est plus une histoire fragmentée, c’est une histoire travestie.
On connaît les itinéraires du sel, de l’or du Soudan et des esclaves ; on connaît les villes (parmi lesquelles Verdun) où les Juifs étaient spécialisés dans la fabrication d’eunuques pour les califats. En réalité, « l’admirable » civilisation urbaine arabo musulmane a été construite sur les réservoirs d’esclaves des mondes slaves et africains, sur l’oppression des paysans et sur la spoliation.
En 1988, on nomma Dominique Borne, celui-là même qui enterra le rapport Obin, inspecteur général de l’Éducation : il devint doyen du groupe permanent et spécialisé d’histoire et de géographie. Il s’intéressa notamment à l’enseignement de l’histoire et du fait religieux dans le cadre de la laïcité. On trouve une photo de lui sur la Toile avec le sous titre : l’histoire de France n’existe pas. Il fera carrière. Le 12 décembre 2002 Luc Ferry, alors ministre de l’Éducation, le promeut doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale, poste qu’il occupa jusqu’en 2005 avant de devenir président du conseil de direction de l’Institut européen en sciences des religions, placé auprès de l’École pratique des hautes études jusqu’en 2013.
Dans un entretien d’une rare habileté, (par Marie Raynal, Diversité, n°142, 2005, “Education et religion”, pp. 141-146, sur le site Persée), Dominique Borne affirme que « l’approche du fait religieux n’est pas l’approche des croyances, mais du fait », autrement dit des « signes ».
Soit. Mais alors analysons les signes du religieux dans l’islam : des économies en berne, la soumission et la relégation des femmes, la haine des chrétiens (citoyens de seconde zone), la violence et le rejet de tout ce qui n’entre pas dans la « signalétique » de leur religion, en France des classes vides dans certains lycées au moment des fêtes de l’Aïd, et des jeunes que rien n’impressionne. Ils savent qu’il y aura impunité.
Mais voici le plus fascinant dans cet entretien mémorable :
« … le passage au monothéisme est une chose des plus fascinantes qui soit. Je travaille actuellement en tant que conseiller à une exposition à la Bibliothèque nationale de France sur les Livres: Thora, Bible et Coran. Pour comprendre les civilisations occidentales et méditerranéennes, ce passage au monothéisme des deux côtés de la méditerranée est fondamental. Cela devrait être un moment très fort de la compréhension culturelle »…
Le premier moment de la conquête musulmane n’est pas une affaire religieuse, la motivation principale, c’est la perspective du butin, esclaves compris. La cupidité et la promesse de razzier à volonté, voilà ce qui galvanisait les armées de Mahomet. Les musulmans d’alors n’ont pas de livre saint, ils ont ce qu’on leur raconte sur la révélation faite à Mahomet. Le passage au monothéisme des deux côtés de la Méditerranée est une formule clinquante et inappropriée. Entre le moment de la Révélation biblique et le moment Mahomet, il y a des millénaires. Le passage au christianisme du monde juif et de la Gentilité se peut se concevoir historiquement que dans la géopolitique d’un bassin méditerranéen unifié par le monde romain hellénisé. Les deux rives de cette Mare nostrum n’existent qu’à cause de et depuis la partition opérée par l’islam. L’Europe médiévale a pu devenir une chrétienté grâce au coup d’arrêt de l’expansion musulmane, par Charles Martel. Bataille qui a disparu des manuels d’histoire de la Cinquième. Et elle a pu ainsi devenir l’Europe tout court.
Faut-il rappeler la spécialité de Dominique Borne ?
Le poujadisme.