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Culture

Quand Péguy réplique aux détracteurs du Pèlerinage de Chrétienté

Quand Péguy réplique aux détracteurs du Pèlerinage de Chrétienté

Pour faire suite au Message de Noël de Jean de Tauriers aux pèlerins et sympathisants de Notre-Dame de Chrétienté ; en guise de vœux pour ce début d’année sainte et de grâce 2025 : 

Dans un passage de Clio, son « Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne » (œuvre posthume), Charles Péguy semble répondre lui-même, comme en passant, par inadvertance et par avance, prémonitoirement, à la prévention « romaine » et épiscopale d’aujourd’hui à l’endroit de la résurgence bien ténue mais réelle des pèlerinages de Chrétienté. Citons-en quelques extraits éloquents, à l’attention de ce nouveau parti de « quelques misérables dévôts », comme il dit, adeptes rigides et « indietristes » (ringards) de la discipline, de la menace et de l’interdit cléricalistes ! Nous avons souligné (en gras) ce qui apparaît correspondre étonnamment à la situation actuelle et confuse de l’Eglise. C’est Clio, la muse de l’histoire, qui parle. – Rémi Fontaine

« Un beau monument à la face de Dieu »

« Oui ces modernes ont voulu éliminer d’eux, de leur société, de leur famille, de tout leur être toute substance de chrétienté… Mais je sais aussi, dit-elle, que la grâce est insidieuse, que la grâce est retorse et qu’elle est inattendue. Et aussi qu’elle est opiniâtre comme une femme, et comme une femme tenace et comme une femme tenante. Quand on la met à la porte, elle rentre par la fenêtre

Par la périphérie !

Quand la grâce ne vient pas droit, c’est qu’elle vient de travers. Quand elle ne vient pas à droite, c’est qu’elle vient à gauche. Quand elle ne vient pas droite c’est qu’elle vient courbe, et quand elle ne vient pas courbe c’est qu’elle vient brisée. Il faut se méfier de la grâce, dit l’histoire… Elle ne prend pas les mêmes chemins que nous. Elle prend les chemins qu’elle veut. Elle ne prend même pas les mêmes chemins qu’elle-même. Elle ne prend jamais deux fois le même chemin. Elle est peut-être libre, dit l’histoire, elle la source de toute liberté. Quand elle ne vient point par en dessus, c’est qu’elle vient par en dessous; et quand elle ne vient point par le centre, c’est qu’elle vient par la circonférence

Oui, le monde moderne a tout fait pour proscrire la chrétienté, pour éliminer de soi toute substance, tout atome, toute trace de chrétienté. Mais si je vois une invincible, une insubmersible, une incompressible chrétienté, resourdre d’en dessous, resourdre du pourtour, resourdre de partout, vais-je la méconnaître, parce que moi infirme je n’avais pas calculé d’où elle viendrait; et pour la punir peut-être de ce que je n’avais pas calculé d’où elle viendrait. Quand l’éternelle source ressort d’une sourde infiltration, vais-je déclarer que je trouve indigne, moi, indigne d’elle qu’elle sorte de là, comme une eau perdue. Et dois-je m’en réjouir, enfin, ai-je le droit, ai-je la liberté de m’en réjouir. Ou dois-je me contrister, pour plaire à quelques misérables dévots, que Dieu revienne par où je ne l’attendais pas

« Le péché de n’être point dans les sacramentelles formes »

… Il serait trop facile de croire, dit-elle, pour plaire à quelques misérables dévots, que Dieu, lui aussi peut-être pour plaire à quelques misérables dévots, va abandonner tout un peuple, et quel peuple et tout un monde, et tout un siècle de ses créatures parce que ces créatures, parce que ce monde parce que ce peuple sont dans le péché de n’être point dans les sacramentelles formes… Où est-il dit que Dieu abandonne l’homme dans le péché. Il le travaille au contraire. (On pourrait presque dire que c’est là qu’il l’abandonne le moins). Ce peuple achèvera un chemin qu’il n’a pas commencé. Ce siècle, ce monde, ce peuple arrivera par la route par laquelle il n’est pas parti. Et beaucoup en outre et ainsi se revêtiront, se retrouveront dans les sacramentelles formes

C’est une grande question que de savoir si nos fidélités, si nos créances modernes, c’est-à-dire chrétiennes baignant dans le monde moderne, traversant intactes le monde moderne, l’âge moderne, les siècles modernes, les deux et les plusieurs siècles intellectualistes n’en reçoivent pas une singulière beauté, une beauté non encore obtenue, et une singulière grandeur aux yeux de Dieu. C’est une question éternelle que de savoir si nos saintetés modernes, c’est-à-dire nos saintetés chrétiennes plongeant dans le monde moderne, dans cette vastatio, dans cet abîme d’incrédulité, d’incréance, d’infidélité du monde moderne, isolées comme des phares qu’assaillirait en vain une mer depuis bientôt trois siècles démontée ne sont pas, ne seraient pas les plus agréables aux yeux de Dieu.

Une piété populaire traversant le monde moderne

Nolite judicare. Nous ne le jugerons point, et ce n’est pas nous, on l’oublie trop souvent, qui sommes chargés de faire le jugement. Mais sans aller jusqu’aux saints, jusqu’à nos saints modernes, chronologiquement modernes, nous, pécheurs, nous devons éviter de tomber dans l’orgueil. Ce n’est peut-être pas un orgueil que de voir. Ce n’est peut-être pas de l’orgueil. Que de constater autour de nous. Qu’assaillis de toutes parts, éprouvés de toutes parts, nullement ébranlés nos constances modernes, nos fidélités modernes, nos créances modernes, chronologiquement modernes, isolées dans ce monde moderne, battues dans tout un monde, inlassablement assaillies, infatigablement battues, inépuisablement battues des flots et des tempêtes, toujours debout, seules dans tout un monde, debout dans toute une mer inépuisablement démontée, seules dans toute une mer, intactes, entières, jamais, nullement ébranlées, jamais, nullement ébréchées, jamais, nullement entamées, finissent par faire, par constituer, par élever un beau monument à la face de Dieu. A la gloire de Dieu. »

Charles Péguy, extrait de Clio
« 2ème cahier de la 13ème série »

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