D’Annie Laurent dans La Petite Feuille verte :
Le désarmement des camps palestiniens est une priorité pour les dirigeants actuels du Liban qui entendent restaurer une souveraineté intégrale sur leur territoire, décision qui concerne aussi les milices chiites du Hezbollah. Après le rappel historique de l’implantation des Palestiniens établis au pays du Cèdre depuis 1948, date de la création de l’État d’Israël, il convient de faire le point sur la situation actuelle dans les camps et sur la réalisation du programme gouvernemental. Tel est l’objet de la présente PFV.
LES PALESTINIENS AU LIBAN AU REGARD DU DROIT
À partir de 1969, les Palestiniens réfugiés au pays du Cèdre ont bénéficié de l’accord du Caire, imposé au gouvernement libanais par la Ligue arabe. Cet accord leur permit de s’organiser de manière autonome sur le double plan militaire et politique, y compris dans leur lutte contre Israël. Plusieurs événements ont cependant entraîné des modifications juridiques tendant à réviser leur statut. Quatre dates sont à retenir.
➢ Les conséquences de l’opération « Paix en Galilée », guerre déclenchée en 1982 par Israël jusqu’à Beyrouth contre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), principal représentant des Palestiniens, a abouti au départ forcé de son chef Yasser Arafat et de ses proches. Ceci a conduit le président libanais Amine Gemayel, en 1987, à abroger l’accord du Caire. Les Palestiniens demeurés dans le pays ont néanmoins conservé leurs armes, y compris dans le Sud, limitrophe d’Israël.
➢ L’accord signé à Taëf (Arabie Séoudite) le 22 octobre 1989 en vue de mettre un terme à la guerre du Liban, dont le déclenchement (1975) était largement imputable aux Palestiniens, prévoyait le désarmement de toutes les milices. Il n’a pas été suivi de la prise de contrôle des camps par l’armée libanaise et n’a pas empêché le Hezbollah de poursuivre ses activités anti-israéliennes.
➢ Le 2 septembre 2004, la résolution 1559 votée par l’ONU a appelé au retrait des troupes syriennes, qui occupaient le Liban depuis 1976, et à la dissolution de toutes les milices, « libanaises et non libanaises ». Seule la Syrie a obtempéré.
➢ Le 11 août 2006, la résolution 1701 votée par l’ONU pour mettre un terme à une guerre entre le Hezbollah et l’État hébreu au Liban-Sud n’est toujours pas appliquée. C’est cette résolution sur laquelle s’appuie le gouvernement libanais pour justifier le désarmement complet des Palestiniens.
L’ÉTAT DES LIEUX ACTUEL
Aujourd’hui, plus de 450 000 Palestiniens présents au Liban sont enregistrés auprès de l’UNRWA, l‘agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens (éducation, santé, aides sociales, etc.), mais leur nombre réel est de 250 000 en raison d’une émigration massive. Ils résident dans 12 camps officiellement répertoriés mais échappant au contrôle de l’État. La situation y est rendue complexe par la diversité de leurs obédiences et les divisions qui les opposent entre elles, entraînant parfois des affrontements et des assassinats.
L’OLP, qui regroupe deux factions principales, le Fatah et le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), est majoritaire dans certains camps. Depuis la mort de leur fondateur, Yasser Arafat, en 2004, ces deux composantes, les plus anciennes, dépendent de Mahmoud Abbas, qui exerce aussi la présidence de l’Autorité palestinienne (AP) dont le siège est à Ramallah en Cisjordanie. Issue des accords d’Oslo (1993), cette institution, sans avoir le statut d’État, bénéficie d’une reconnaissance internationale comme représentante du peuple palestinien. À ce titre, elle dispose d’une ambassade à Beyrouth.
Outre son rôle en matière de sécurité, le Fatah, qui soutient le plan de désarmement, gère des agences : le Croissant-Rouge (soins médicaux), des organisations chargées d’aider les « familles des martyrs » et de soutenir la jeunesse et le sport. D’autres factions se réclament de l’OLP : le Parti populaire palestinien, le Front de libération arabe et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP).
À partir des années 1980-1990, plusieurs camps ont accueilli des mouvements islamistes, notamment le Hamas et le Djihad islamique, soutenus par le Hezbollah et l’Iran, qui y ont renforcé leur présence depuis le début de la guerre de Gaza (8 octobre 2023). Ces deux partis ne reconnaissent pas l’autorité de M. Abbas et refusent d’être désarmés, position qui concerne d’autres groupes de Palestiniens au Liban, y compris des dissidents du Fatah. Un officier libanais en a tiré cette remarque : « Je crains fort que le Fatah ne puisse pas avoir les moyens de ses prétentions. Je ne sais pas comment il pourra parvenir à dissuader les factions islamistes » (L’Orient-Le Jour, OLJ, 15 juin 2025).
L’HEURE DES NÉGOCIATIONS
Du 21 au 23 mai 2025, répondant à la demande du président libanais Joseph Aoun, M. Abbas a effectué une visite officielle à Beyrouth afin d’examiner les questions relatives au désarmement. Il s’est engagé « à ne pas utiliser le territoire libanais comme point de départ pour toute opération militaire et à respecter la politique déclarée du Liban, consistant à se tenir à l’écart des conflits régionaux ». Il a aussi affirmé son « attachement à la souveraineté libanaise qui doit s’étendre sur l’ensemble du territoire, y compris dans les camps de réfugiés palestiniens » (OLJ, 21 et 22 mai 2025). Les deux dirigeants ont créé un Comité de dialogue libano-palestinien chargé d’organiser les modalités et le calendrier de ce désarmement, le but étant de « consolider des relations fraternelles solides entre les peuples libanais et palestinien » et de renforcer leur coopération.
Selon une approche pragmatique, le programme envisagé est progressif. Il comprend trois étapes, partant des camps les moins compliqués : proximité de Beyrouth (Bourj el-Brajné, Chatila et Mar Élias) ; puis la Bekaa (El-Jalil) et le Nord (Beddaoui) ; et enfin ceux du Sud (Bourj-Chemali et Aïn el-Héloué), situés à proximité de la frontière avec Israël. Cette dernière phase est considérée comme la plus problématique, alors qu’y persistent les affrontements entre Tsahal (l’armée israélienne) et le Hezbollah en violation du cessez-le-feu conclu le 28 novembre 2024.
L’AP n’engage cependant pas le Hamas et le Djihad islamique puisque ces derniers et leurs alliés ne reconnaissent pas l’autorité de M. Abbas et refusent donc le principe du désarmement.
C’est pourquoi, dès la conclusion de ce plan, L’OLJ s’attendait à ce que sa mise en œuvre ne soit pas « une sinécure » dans les camps abritant ces mouvements islamistes. Il l’avait prévu en se référant notamment à Aïn el-Héloué, situé près de Saïda, le plus grand de tous les camps (80 000 habitants), où les équilibres sont fragiles, la présence massive du Hamas entraînant des affrontements meurtriers entre groupes palestiniens rivaux. Le journal commentait ainsi l’entente Aoun-Abbas : « Les risques sont grands de voir certaines factions opposées refuser d’obtempérer » (23 mai 2025). Peu après, il indiquait qu’en ce lieu le refus du désarmement est catégorique, citant le constat rapporté par un journaliste. « Nous ne serons jamais désarmés. Ce serait vendre notre âme » (OLJ,1er juin 2025).
Le désarmement des Palestiniens se heurte aussi au refus du Hezbollah, parti chiite pro-iranien et ardent soutien des fedaïs depuis 1970. « Le Hezbollah ne souhaite pas la remise des armes palestiniennes car cela le priverait du prétexte de l’existence de ses propres armes, dont le principal objectif est la Palestine. Si les Palestiniens acceptent de remettre leurs armes, quel serait encore le prétexte pour que le Hezbollah garde les siennes ? » (OLJ, 19 juin 2025).
LE DÉMARRAGE DU DÉSARMEMENT
« Le Liban prend le taureau par les cornes », a écrit L’Orient-Le Jour du 21 août 2025 pour annoncer la mise en route effective du désarmement des camps qui aurait dû démarrer le 16 juin. Préparé par l’armée et approuvé par le gouvernement, le plan prévoit trois phases : remise des armes légères, puis des armements lourds, et enfin intégration des camps sous contrôle étatique. Son achèvement est annoncé pour la fin de 2025.
L‘armée libanaise, exclue des camps depuis l’accord du Caire (1969), s’est aussitôt approchée de Bourj el-Brajné, situé dans la banlieue sud de Beyrouth, pour prendre possession d’une première cargaison d’armes remise par les Palestiniens. Ce lieu a été choisi parce qu’il accueille principalement des factions de l’OLP qui approuvent le programme du gouvernement. L’opération s’est poursuivie dans les camps voisins de Mar Élias et Chatila, avant de se diriger, une semaine plus tard, vers les camps el-Bass, Bourj Chemali et Rachidiyé. Situés près de Tyr, au sud du fleuve Litani, ils sont le point de départ de tirs en direction d’Israël, en violation de la résolution 1701.
« Nous avons remis la plus grande quantité d’armes depuis 1991 et nous sommes engagés à aller jusqu’au bout sur ce plan », a précisé un porte-parole du Fatah dont la position diverge avec celle d’un responsable sécuritaire de ce parti, peu favorable à la démarche. « Comment peut-on nous demander de rendre nos armes sans garanties concernant l’avenir de la lutte avec Israël ? » s’est interrogé ce dernier, affirmant que « les armes symbolisent la lutte pour la cause palestinienne et le droit au retour » (OLJ, 2 septembre 2025).
Lors du lancement de l’opération, les milices proches du Hamas ont indiqué que leurs arsenaux seront conservés « tant que l’occupation de la Palestine [par Israël] se poursuivra » (OLJ, 21 août 2025). Le plus dur reste donc à faire, comme le montre l’accélération de la colonisation sioniste à Gaza et en Cisjordanie.
Enfin, lors de la visite de Mahmoud Abbas à Beyrouth, en mai 2025, un sujet inattendu a été abordé : l’amélioration des conditions de vie des réfugiés palestiniens par l’octroi de certains droits. Cela concerne le statut civique (cartes d’identité biométriques remplaçant des documents en carton, facilement falsifiables), l’acquisition de biens immobiliers dans le pays, l’accès à certaines professions libérales jusqu’ici interdites, la couverture sociale, l’éducation, etc. Un projet de loi sur ces sujets est à l’étude.
Le Hamas, qui réclame ces réformes, a exprimé sa déception sur la démarche. « Les négociations avec les autorités libanaises auraient dû se dérouler avec des représentants des camps au Liban, et non pas avec des personnes venues de Ramallah [siège de l’AP en Cisjordanie] qui ne savent rien de nos conditions » (OLJ, 2 juin 2025).
Quoi qu’il en soit, l’obtention de ces droits par les Palestiniens n’est pas « une condition reliée au désarmement », mais « si nos conditions de vie sont améliorées, plus personne ne sera encore attaché aux armes », a précisé un proche de l’OLP (OLJ, 2 juin 2025).
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Des incertitudes entourent l’avenir : comment garantir que les factions palestiniennes ne se réarmeront pas par des réseaux clandestins via le port de Beyrouth ou le Hezbollah, des ateliers artisanaux dans les camps ou des fonds émanant de la diaspora ? Autrement dit, l’État libanais parviendra-t-il à imposer sa souveraineté dans tous les camps en répondant aux attentes des Palestiniens ?