De Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique :
Peut-être a-t-il échappé à certains catholiques que l’Eglise entière était entrée en synode depuis le 10 octobre 2021. En effet le synode des évêques sur la synodalité, dont le document final est prévu pour octobre 2023, sera précédé d’une phase de synodes diocésains dont la date de clôture vient d’être prolongée de mars à août 2022. Il s’agit, selon la constitution apostolique Episcopalis communio (EC) du 15 septembre 2018, de se mettre à
« l’écoute du peuple de Dieu (…) jusqu’à entendre avec Lui (l’Esprit-Saint) le cri du peuple ; écoute du peuple jusqu’à y respirer la volonté à laquelle Dieu nous appelle ».
Qui participera au synode ?
Pour ce faire, des rencontres locales sont prévues dont j’ai sous les yeux le déroulé-type et la liste des thèmes proposés pour le diocèse des Yvelines. Sans aborder la question de fond de la légitimité et de l’opportunité de cette démarche la première question à se poser est de savoir qui va participer à ces réunions. Certainement, au premier chef, les « permanents de la foi » : catéchistes, responsables liturgiques, animateurs pastoraux, etc. que chacun a pu voir se dandiner et trémousser, lors de la dernière Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, dans une chenille pathétique et prétendument festive, parfaitement inconvenante dans ce contexte.
On peut, de plus, s’interroger sur la légitimité de ces personnes, à d’une part représenter « le peuple de Dieu », et d’autre part à ouvrir des perspectives pour l’avenir de l’Eglise. En effet, comme le rappelle Guillaume Cuchet dans un nouveau et passionnant ouvrage (« Le catholicisme a-t-il encore un avenir enFrance ? ») :
« Les milieux qui ont joué le plus franchement et avec le plus d’enthousiasme le jeu de l’ouverture sont aussi souvent ceux qui ont connu, paradoxalement, les plus faibles taux de conservation et de transmission intergénérationnelle de la foi ».
Analyse corroborée par ce témoignage :
« Un journaliste me disait récemment que sur les nombreux enfants (sept) d’André Mandouze, grande figure du catholicisme de gauche s’il en est, un seul était resté chrétien et aucun de ses petits-enfants ».
Disons le tout net l’avis d’André Mandouze, décédé en 2006, n’aurait été intéressant, dans le cadre du synode en cours, que pour témoigner de ce qu’il ne faut pas faire si l’on souhaite transmettre la foi à ses enfants. Yvon Tranvouez fait le même constat dans son récent livre : « L’ivresse et le vertige. Vatican II, le moment 68 et la crise catholique ». Il y cite le cas du commissaire Trochu, très actif auprès de l’évêché de Quimper et du Léon dans les années 1970, « qui se rapprocha du courant traditionaliste ». Aujourd’hui défunt, ce père de six enfants dont une religieuse dominicaine dans la communauté de Fanjeaux et grand-père de vingt-et-un petits-enfants dont une religieuse dominicaine à Brignoles, serait certainement hors des écrans radar du synode actuel pour cause de traditionalisme même si, avec la grâce de Dieu, mais pas seulement, tous ses enfants et petits-enfants sont restés chrétiens et, pire, traditionalistes. Comment ceux qui ont échoué dans l’apostolat de la transmission et de la maintenance seraient-il légitimes à traiter de celui de la conquête et de la mission ? Les participants au synode du diocèse de Limoges, dont la moyenne d’âge est de cinquante-huit ans, s’interrogent honnêtement après avoir noté « la désaffection massive des jeunes » : Qu’avons-nous raté ?
Marcher ensemble. Certes, mais vers où ?
Le leitmotiv de ces synodes et des documents préparatoires afférents est de « marcher ensemble », « côte à côte sur la même route ». La destination envisagée n’est pas précisée. La logique semble être : « Peu importe où l’on va. L’important c’est d’y aller ensemble ». Cette image pérégrine aurait pu être l’occasion de rappeler que le Christ affirme, lui, être « La voie, la vérité et la vie » (Jn XIV,6). Christ dont, notons-le, il n’est pas une seule fois fait mention dans les dix thèmes proposés dans les Yvelines. Il est beaucoup question de s’écouter, « en particulier les femmes et les jeunes ». Qu’en pensent les paroissiens de Saint-Germain en Laye, souvent de jeunes ménages, qui demandent depuis des années à pouvoir assister à la messe traditionnelle dans leur ville et qui sont condamnés à assister à cette messe, sous la pluie et dans le vent, devant une église vide et…fermée ? « Quel espace y-a-t-il pour la voix des minorités ? » Effectivement on se le demande alors que l’on semble être mieux considéré, dans l’Eglise du pape François, comme homosexuel ou divorcé-remarié que comme fidèle laïc attaché à la messe dite de Saint Pie V. « Comment sont abordées les divergences de vision, les conflits et les difficultés ? » Il semble que François vienne de répondre très clairement à cette question par le motu proprio Traditionis custodes : Les divergences d’appréciation sur les bienfaits du Saint concile et de la réforme liturgique sont traitées sous mode d’oukazes et d’interdictions péremptoires et blessantes. Comment « écouter l’ensemble du peuple de Dieu ? » Pour qui connaît un peu l’histoire de l’Eglise en France ces cinquante dernières années cette question est soit le fait d’un technocrate ecclésiastique hors-sol, soit celle d’un Martien tout juste débarqué sur la terre. Quand, « en même temps », le pape François en appelle à « célébrer devant le peuple de Dieu qui nous regarde en face et nous dit la vérité » et restreint brutalement les possibilités de célébrer la messe traditionnelle, mode de célébration plébiscité par la partie la plus jeune et la plus active du peuple chrétien on ne peut que s’interroger sur la cohérence intellectuelle de tout cela à moins qu’il ne s’agisse d’une simple opération de manipulation de l’opinion publique. Qu’en pense Mgr Aupetit, archevêque de Paris, qui depuis des mois refuse de recevoir les paroissiens dont il a supprimé la messe dominicale traditionnelle ?
Quels objectifs pour ce synode ?
L’objectif affiché de ce synode est de « porter des fruits de communion, de participation et de mission ». En d’autres temps, et peut-être dans une autre religion, il se serait agi de grandir dans la foi, l’espérance et la charité. On comprendra cependant qu’avec de tels objectifs il soit peu fait mention des prières ferventes et de l’ascèse nécessaire pour obtenir l’assistance du Saint-Esprit. Celle-ci semble considérée comme un dû. Un signe de croix, une brève lecture, une petite prière et le Saint-Esprit est là, parmi nous, qui parle par la bouche de chacun. On peut être saisi de perplexité devant ce processus. Enfin, notons que ce chemin synodal arrive au plus mauvais moment pour l’Eglise de France. Quelle est la crédibilité, pour animer ce synode, des équipes qui ont géré ce qui aurait constitué la « défaillance systémique » de l’Eglise de France dans le traitement des abus sexuels dans l’Eglise ? Cette formule ayant, pour le personnel ecclésiastique en place, l’immense mérite de le dédouaner de ses responsabilités personnelles. Habile, mais indigne, transfert de responsabilité.
Tout cela pourrait être un peu désespérant. Un terrible constat avait déjà été dressé il y a cinquante ans par un historien protestant, Pierre Chaunu, dans les dernières pages de son maître-livre, « De l’histoire à la prospective » :
« La médiocrité intellectuelle et spirituelle des cadres en place des églises occidentales au début des années 1970 est affligeante. Une importante partie du clergé de France constitue un sous-prolétariat social, intellectuel, moral et spirituel ; de la tradition de l’Eglise, cette fraction n’a souvent su garder que le cléricalisme, l’intolérance et le fanatisme. Ces hommes rejettent un héritage qui les écrase parce qu’ils sont intellectuellement incapables de le comprendre et spirituellement, incapables de le vivre ».
C’était en 1975. Qui, alors, osait parler, à propos de certains clercs, d’un sous-prolétariat moral ? Ce constat semble toujours d’actualité. Néanmoins l’Eglise est toujours là. Notre espérance, intacte, aussi. Car l’Eglise est belle. Belle surtout de ses faiblesses surmontées et de sa persévérance à ne jamais renoncer à s’amender de ses fautes, même aux pires moments de son histoire.