Mgr Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X, a été longuement interrogé dans le National Catholic Register le 13 mai. Dici a transcrit l'entretien par écrit. Extraits :
[…] il y a deux lignes maintenant : il faut distinguer entre la position du pape qui est une chose, et celle de la Congrégation de la foi. Ils n’ont pas la même approche, mais seulement la même conclusion qui est : finissons-en avec ce problème en accordant la reconnaissance canonique à la Fraternité. Mais je suis persuadé, au moins en partie, qu’il y a encore une autre approche, qui pourrait finalement revenir au même, et qui consiste à donner moins d’importance au problème que nous considérons comme important, le Concile : autrement dit, à réduire l’obligation du Concile.
Vous dites que ce sont maintenant des « questions ouvertes » ?
Je dis cela par provocation. Ils ne disent pas ainsi, mais ce qu’ils disent est que la question de la liberté religieuse, de Nostra Aetate, des rapports avec les autres religions, de l’œcuménisme, et plus encore la question de la réforme liturgique ne sont plus une cause de séparation d’avec l’Eglise. Autrement dit, vous pouvez remettre ces choses en question tout en restant catholiques. Cela veut aussi dire que le critère qu’ils veulent nous imposer pour prouver que nous sommes catholiques ne portera plus sur ces points. Pour nous, cela est très important. […]
Et vous avez vu des garanties que vous pouvez accepter ou pas encore ?
Je pense que plus cela va, plus Rome devient indulgente. Et c’est pourquoi nous commençons à parler de rapprochement, parce que Rome accorde petit à petit ce que nous voyons comme une nécessité, et qu’ils commencent à voir comme une nécessité étant donné la situation de l’Eglise. Mais ce n’est pas Rome en son entier, c’en est une partie, ce sont les conservateurs qui sont ahuris par ce qui se passe dans l’Eglise.
Vu la confusion actuelle dans l’Eglise et le mécontentement de ceux qui sont du côté conservateur, comme vous dites, est-ce que vous vous voyez peut-être comme venant au secours de l’Eglise ?
Il y en a à Rome qui nous disent cela ; il y en a qui utilisent non pas le mot « secours » mais « aide », et en définitive, même dans le document proposé pour une régularisation, c’est mentionné. Ainsi ce n’est pas nous qui l’inventons. La situation dans l’Eglise est vraiment catastrophique. Et je dirais qu’enfin maintenant, dans cette catastrophe qui va en empirant, vous avez des voix qui commencent à parler, des gens qui s’approchent de nous et qui essaient de voir notre position comme n’étant pas aussi mauvaise qu’on le croyait auparavant. […]
Et si cela se réalise, dans les termes d’une régularisation, la Fraternité serait-elle prête à céder à Rome le droit de choisir ses propres candidats pour un sacre épiscopal, en rejetant vos propres souhaits ?
Ce n’est pas ce qu’ils demandent. Rome demande que, dans le choix ou la nomination du supérieur de la nouvelle structure canonique, nous présentions trois noms parmi lesquels le pape choisirait le supérieur qui deviendrait alors évêque.
Et s’il en choisissait un que vous ne vouliez pas, alors que vous préfériez quelqu’un d’autre, serait-ce un problème ?
Nous ne pouvons pas entrer dans toutes les situations négatives possibles. Si nous pouvons choisir trois personnes, je pense que c’est à nous de choisir les bonnes. […]
Et si vous êtes régularisés, quelles garanties y aura-t-il que vous pourrez continuer à être aussi critiques qu’avant, si vous croyez devoir le faire ?
Eh bien, ce qui se passe à présent c’est que d’autres voix se lèvent depuis deux ans maintenant. Ce fait est une garantie pratique. Nous ne sommes plus les seuls. Si nous étions les seuls à critiquer, ç’aurait pu être un souci, mais à présent, maintenant que beaucoup d’autres voix s’expriment, cela devient une habitude et une évidence. Et les autorités perdent presque du terrain, tellement la situation est grave. Alors je pense qu’elles seront satisfaites de toute voix qui commence à désigner correctement la situation.
Une autre condition suggérée est que le supérieur de la Fraternité devienne cardinal. Insisterez-vous là-dessus ?
Non, c’est vraiment au pape de décider et de choisir ses conseillers, puisque les cardinaux sont censés être ses conseillers. Alors non, pour moi nous avons un devoir. Notre devoir est de rester à notre place, de faire notre devoir à notre place et non pas de rêver. Je ne pense pas que devenir cardinal changerait quoi que ce soit. Quel que soit le poste, la charge ou la mission que l’on reçoit, il faut s’en acquitter devant Dieu, et c’est tout.
A propos des problèmes que vous pose le Concile, laisserez-vous ces problèmes en l’état, si vous êtes régularisés, ou insisterez-vous pour qu’ils soient supprimés ou amendés ?
Rome nous oblige à continuer les discussions sur ces points. Oui, bien sûr, nous maintiendrons l’urgence des corrections, et je dirais qu’ils commencent en partie à reconnaître cette urgence. […]
Ne craignez-vous pas parfois, comme le pensent certains, qu’il ne veuille simplement vous neutraliser et vous faire taire ?
Ce n’est pas sa perspective. Je dirais le contraire. Il serait du genre à voir l’avantage de cette controverse. Il est lui-même très amateur de polémique. Je le verrais plutôt désirer que nous soyons polémiques, pour provoquer et créer une nouvelle situation qui pourrait, de façon hégélienne, mener à une meilleure situation. Evidemment nous sommes contre une telle approche dialectique, mais cela pourrait en être une. Mais sur ce point, je ne suis pas sûr de pouvoir conclure. […]"