Un texte qui couperait les ailes du motu proprio de Benoît XVI serait sur le point d’être publié à Rome. C’est ce que les témoins de l’ouverture de la 74ème assemblée de la Cei, la Conférence épiscopale italienne, par le pape, le lundi de Pentecôte, à l’Ergife Palace Hotel de Rome, ont retenu des propos du Pontife.
Une affaire italienne
Une majorité de membres de la Conférence épiscopale italienne sont hostiles depuis toujours au motu proprio Summorum Pontificum et militent, depuis 2013, pour sa mise en veilleuse. Ils sont en parfaite consonance avec le noyau dirigeant de la Curie bergoglienne, à savoir le Secrétaire d’État, le cardinal Parolin, le Substitut, Mgr Peña Parra, les cardinaux Stella (Préfet sur le départ de la Congrégation pour le Clergé), Braz de Aviz (Religieux), auxquels se joint l’opportuniste cardinal Ouellet (Évêques). A l’Université Saint-Anselme, le professeur Andrea Grillo, qui a ses relais à Santa Marta, multiplie les articles et les pressions en ce sens.
Car les évêques italiens veulent bien que des instituts spécialisés – en l’espèce, en Italie, l’ICRSP – prennent en charge les traditionalistes locaux, mais ils ne supportent pas que des jeunes prêtres de leurs diocèses se consacrent aussi à la messe traditionnelle. Ils sont en outre suprêmement agacés de constater que les nouvelles générations cléricales sont très perméables au « lefebvrisme », comme on dit en Italie pour désigner tout ce qui est traditionnel.
Quant au pape François, qui n’aime guère la France notamment pour cette raison que l’opposition liturgique au Concile y est très forte, il découvre lui aussi avec stupeur – et quelques colères mémorables – le « cléricalisme » des jeunes prêtres italiens, dont il moque les goûts vestimentaires d’un autre âge.
En fait de vêtements, lors de la discussion avec les évêques, lesdits prêtres, si on nous permet cette métaphore, ont été habillés pour l’hiver, le Pontife s’étonnant que ces clercs qui ne comprennent pas le latin veuillent l’apprendre pour dire la messe tridentine, et affirmant qu’il leur serait plus utile, pour leur apostolat, d’apprendre l’arabe plutôt que le latin…
Les vicissitudes de la préparation d’un document
Malgré tout, le pape Bergoglio a longtemps hésité à légiférer en la matière. En premier lieu, à cause de la présence au sein même du Vatican du pape Benoît XVI, dont il ne voulait pas prendre le risque devant l’opinion de déchirer l’œuvre majeure. Ensuite et surtout, parce que les questions liturgiques ne l’intéressent pas. Cependant, influencé notamment par les jésuites de la Civiltà Cattolica, qui ont appuyé sur un point très sensible chez lui, la foi au caractère définitif de Vatican II, il a fini par adopter cette donnée : pour transformer définitivement l’Église en Église du Concile, il fallait définitivement installer la liturgie du Concile.
La Constitution qui réforme la Curie intègrera cette donnée. La Congrégation pour le Culte divin y deviendra – en théorie, car qui peut croire aujourd’hui à l’efficacité d’une réforme ecclésiale ? – une sorte de Saint-Office de la liturgie nouvelle. Elle devrait absorber le Bureau des Cérémonies pontificales et régir plus étroitement la vie cultuelle des basiliques majeures (d’où le caractère obligatoire de la concélébration décrété pour la Basilique Saint-Pierre). Selon les dernières rumeurs, c’est le très conciliaire Mgr Roche, jusqu’ici Secrétaire de la Congrégation qui en deviendrait le Préfet, et le non moins bugninien, Sous-Secrétaire, Mgr Maggioni, qui en serait le Secrétaire.
Le bureau de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui a pris la suite de la défunte Commission Ecclesia Dei, étant appelé lui-même tôt ou tard à disparaître, la Congrégation pour le Culte divin aurait à gérer les attardés de la liturgie anté-conciliaire. Gestion dont le document à paraître serait la charte. Il ferait en sorte que les instituts Ecclesia Dei (et aussi, de fait, la FSSPX) soient chargés des cérémonies célébrées dans le ghetto ; en revanche, il ne permettrait à des prêtres « ordinaires », prêtres diocésains ou prêtres de congrégations « ordinaires » de célébrer la sulfureuse messe tridentine qu’avec une permission appropriée.
Mais à ce projet, il y a eu de la résistance, celles d’un certain nombre d’évêques italiens, pas nécessairement des plus traditionnels, qui pensent à l’après-Bergoglio, et celle du cardinal Ladaria, qui a pris à cœur sa charge de gardien de Summorum Pontificum, et qui fait valoir les évidents inconvénients de son torpillage. C’est pourquoi le texte aurait connu jusqu’à trois mouture successives, l’actuelle étant la définitive. Peut-être.
Une liturgie entièrement bugninisée ?
On souhaite bien du plaisir aux prélats romains qui voudront museler la liturgie traditionnelle en France, aux États-Unis… et même en Italie. On n’imagine pas qu’ils puissent convaincre les paroissiens, qui goûtent de plus en plus en nombreux à la lex orandi de la tradition de l’Église, de revenir au régime sec des célébrations bugniniennes.
Le pape, dont le pontificat n’est plus depuis longtemps dans sa période d’état de grâce, même si les médias non religieux veulent toujours le faire croire, va devoir affronter un mécontentement toujours plus grand des fidèles pratiquants, d’un clergé classique ou traditionnel, et de hauts prélats attentifs à sauver ce que l’on peut des meubles. D’autant que l’affaire allemande – qui n’engendrera jamais un schisme, quoi qu’on dise, puisque jamais les néo-catholiques germaniques ne seront condamnés – prouve que, cinquante ans après Vatican II, l’Église est devenue plus ingouvernable que jamais.
Alors, une liturgie entièrement bugninisée, comme la rêvent les idéologues romains, ou bien, plus probablement, une reprise virulente de la guerre liturgique, celle que Benoît XVI avait cru pouvoir éteindre ?