Depuis plus de vingt ans, j’écoute des couples, des femmes sur le vécu de leur cycle, et de la sexualité. J’ai aussi reçu quelques confidences de prêtres et de religieuses. J’ai donc malheureusement entendu souvent le cri caché de celles (plus rarement de ceux) qui ont subi des violences sexuelles, lorsqu’elles étaient enfants ou adultes. Parmi ces personnes, très peu m’ont confié que l’auteur de l’abus était un prêtre, mais j’en ai gardé alors un souvenir plus aigu.
Les victimes que j’ai entendues m’ont fait part de leur peine d’avoir connu trop tard l’enseignement moral de l’Église. Toutes. Même un prêtre abusé au séminaire, que je confie à vos prières, m’a dit cette phrase terrible :
« On m’aurait enseigné cela à 18 ans, j’aurais adhéré, maintenant que j’ai tant souffert, je ne veux plus en entendre parler. »
Un nombre important de personnes ont pu mettre fin à des violences sexuelles lorsqu’elles ont enfin découvert cet enseignement inscrit dans les pages du Catéchisme de l’Église Catholique qui concernent le 6ème commandement.
D’ailleurs, qui peut aujourd’hui prétendre que ce contenu a été réellement enseigné, et de façon significative, aux adolescents dans les aumôneries, ou en préparation au mariage, depuis 1992, date de sa parution ? Ce serait à réécrire (proposition n°10 de la CIASE), commence-t-on à nous expliquer car cela aurait échoué. N’est-ce pas plutôt l’inverse ? Cela a échoué car, dans le meilleur des cas, l’enseignement a été sans cesse édulcoré sinon déformé. Quelle proportion d’adultes baptisés sait faire la distinction entre la continence et la chasteté ? La vérité est que cela a été seulement enseigné dans quelques familles, par quelques rares prêtres. Commençons donc par le début. Refusons le flou, le relatif et le confus en ce qui concerne la chasteté, dans les familles, les communautés, les paroisses. Prévenons enfin les jeunes et les parents, en leur apprenant ce qu’est réellement l’enseignement moral de l’Église sur la sexualité, pour qu’ils aient une conscience bien formée et qu’ils soient capables de déceler et de refuser les discours déviants, d’où qu’ils viennent.
Résumons de façon concise et franche. J’estime qu’à partir de la puberté, le catéchisme sur le 6ème commandement, pétri de l’Écriture, est la meilleure prévention pour les victimes contre les violences sexuelles au sein de l’Église catholique. Et pour protéger les jeunes enfants, plus les parents et les pasteurs auront les idées claires, plus ils seront capables de neutraliser les prédateurs.
Il n’y a qu’un nouveau cléricalisme qui puisse prétendre que la maison est devenue sûre, que la crise de la justice, de l’autorité, comme celle la théologie morale au sein de l’Église catholique va être résolue par cette remise du rapport de la CIASE. Plus que jamais les laïcs catholiques doivent être protégés aussi contre l’opinion personnelle du prêtre, de l’évêque, voire du pape. Notez que j’ai bien écrit l’opinion personnelle et que je ne parle pas ici de l’assentiment interne et externe du prêtre, de l’évêque ou du pape à l’enseignement dogmatique de l’Église. Le Catéchisme de l’Église Catholique est récent et de bon sens. Les termes employés utilisent encore un vocabulaire actuel. Je ne remets pas en question qu’il faille aussi un véritable travail historique, une réflexion anthropologique et théologique. Pour ce dernier point, mes livres attestent que j’y participe à mon petit niveau, depuis ma cuisine si je puis dire. Mais justement, parce que je fais aussi le ménage, que je change des couches, que je fais faire les devoir, que je sais qu’il convient de commencer par avoir de bons fondamentaux avant d’approfondir. Je suis un témoin parmi tant d’autres. Depuis plus de 20 ans, ce Catéchisme fut une aide lumineuse pour toute personne de bonne volonté qui cherche la vérité sur la sexualité. Tant de personnes ayant reçu de mauvais conseils de prêtres ou de laïcs, et restant dans le trouble, ont trouvé consolation et repères grâce à ces articles.
C’est d’abord pour les victimes qui subissent encore aujourd’hui des abus maquillés de verbatim spirituels, c’est pour protéger nos propres enfants aussi, c’est pour soutenir nos pasteurs dans la recherche du bien, enfin, que nous devons être ultravigilants face à toute recommandation de réécrire aujourd’hui ce chapitre qui concerne le 6ème commandement.
Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin :
Les péchés des clercs envers les innocents ne sont pas explicitement cités par le Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC). Ces péchés sont traités dans le Code de Droit Canonique. Dans le CEC, les articles 2356 et 2389 parlent de la gravité du viol pour les parents et les éducateurs, sans évoquer les clercs[1]. À l’aune de l’actualité présente, la simple honnêteté intellectuelle perçoit qu’un ajout serait nécessaire. D’aucuns m’objecteront qu’il n’y a peut-être donc aucune mauvaise intention de la part de la CIASE dans cette histoire de réécriture, et que je joue sur les mots en plaidant pour un simple ajout et non pour une réécriture.
On notera que la préconisation 10 de la CIASE, comme Mr Sauvé lors de son discours du 5 octobre, ne demandent pas un ajout aux articles du 6ème commandement, mais que les crimes sexuels soient associés à ceux du 5ème commandement[2].
Si l’on demande expressément que cet ajout se fasse au 5ème commandement, la réécriture du 6ème commandement doit nous interroger : il est étonnant que le rapport de la CIASE n’emploie le terme de réécriture que pour les « enseignements tirés du sixième commandement » alors que, dans la logique du rapport, d’autres recommandations, comme celle sur le secret de la confession nécessiteraient aussi une réécriture du Catéchisme sur le sacrement de la pénitence et de la réconciliation.
La justice, la réparation que nous devons aux victimes de la pédophilie de clercs ne pourraient-elles pas, dans ces conditions, être instrumentalisées en vue de requalifier d’autres actes que la loi naturelle réprouve, et qui font aussi d’innombrables victimes ?
Jean-Marc Sauvé a bien une cible:
« La morale sexuelle de l’Église n’a pas protégé contre les violences sexuelles, au contraire : adossée à une vision excessivement taboue de la sexualité, elle a empêché de nommer le mal, puis de discerner entre un mal absolu et un mal relatif ; c’est ainsi que les agressions sexuelles sur mineurs et majeurs vulnérables sont vues comme des « péchés de chair » ou des offenses à la chasteté des clercs, et non pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne. »
Le CEC nous dit précisément de la chasteté qu’elle signifie
« l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel. La sexualité, en laquelle s’exprime l’appartenance de l’homme au monde corporel et biologique, devient personnelle et vraiment humaine lorsqu’elle est intégrée dans la relation de personne à personne, dans le don mutuel entier et temporellement illimité, de l’homme et de la femme. » §2337
« La vertu de chasteté comporte donc l’intégrité de la personne et l’intégralité du don. » §2338
Une offense très grave à la chasteté est forcément toujours une atteinte à la dignité de la personne humaine.
Monsieur Sauvé eût pu autant dire que les commandements de Dieu n’ont pas protégé contre les violences sexuelles. C’est bien plutôt l’absence d’adhésion à la morale sexuelle de l’Eglise, ou son ignorance, qui ne protège pas contre les violences sexuelles.
On peut aussi s’interroger sur cette affirmation d’absence de distinction entre mal relatif et mal absolu dans l’Eglise. Qu’est-ce que le mal absolu ? Mon professeur d’histoire parlait lui de la shoah. La notion de mal relatif dans le domaine de la sexualité, qu’est-ce que M. Sauvé suggère d’en faire ? L’Église, elle, ne souhaite à personne de faire le mal. Elle rappelle que nous sommes tous appelés à la chasteté.
Ceci étant dit, que des atteintes à la chasteté puissent être davantage perçues comme de possibles atteintes au 5ème commandement, pourrait être une bonne nouvelle. Souhaitons que la prise de conscience de ce lien entre sexualité et vie, entre 6ème et 5ème commandement se fasse de plus en plus forte, qu’elle nous permette de percevoir à quel point notre responsabilité est importante dans la sexualité à cause des répercussions que la sexualité a sur la vie corporelle, psychique ou spirituelle, et combien cette perception est devenue urgente.
Pour cela il nous faut ardemment réhabiliter la chasteté, refuser de l’assimiler à la continence, refuser de lui donner une définition étriquée ou désincarnée. La morale sexuelle est trop souvent enseignée seulement au séminaire, en isolant les sujets les uns des autres, puis négligée dans la formation continue des clercs. La chasteté subit de fait un mélange de discrédit et de rigidité au moins depuis les années cinquante. Travaillons à ce que cela ne laisse pas la place à un relativisme moral, une passivité ou une indifférence mais bien à un renouvellement pour tous de notre « façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rm 12, 2)
J’en appelle à ceux qui ont découvert la beauté de la chasteté et la valeur de l’enseignement de l’Église : mesurez votre responsabilité pour les générations qui viennent. La chasteté n’est pas facultative. L’absence de compréhension que nous en avons est au cœur des plus grands drames actuels.
Gabrielle Vialla, auteur de La chasteté, un don qui rend sa beauté à la sexualité, éd. Artège
[1] §2356 « Le viol désigne l’entrée par effraction, avec violence, dans l’intimité sexuelle d’une personne. Il est atteinte à la justice et à la charité. Le viol blesse profondément le droit de chacun au respect, à la liberté, à l’intégrité physique et morale. Il crée un préjudice grave, qui peut marquer la victime sa vie durant. Il est toujours un acte intrinsèquement mauvais. Plus grave encore est le viol commis de la part des parents (cf. inceste) ou d’éducateurs envers les enfants qui leur sont confiés.«
§2389 « On peut rattacher à l’inceste les abus sexuels perpétrés par des adultes sur des enfants ou adolescents confiés à leur garde. La faute se double alors d’une atteinte scandaleuse portée à l’intégrité physique et morale des jeunes, qui en resteront marqués leur vie durant, et d’une violation de la responsabilité éducative. »
[2] Il eût pu préciser aussi que les abus sexuels de la part de clercs étaient une offense au premier et au troisième commandement.