A propos de cette épouvantable réforme du collège, un très bon texte de Brighelli qui cite Colette, auteur que nos enfants n'ont jamais le loisir d'étudier en classe :
[…] "Il faut le dire avec force à tous les Zakhartchouk qui ont rédigé a minima les programmes de français du collège : jamais un mot inconnu n’a découragé un lecteur — quel que soit son âge. Pus vieux, il vérifie dans un dictionnaire. À 8 ans, j’allais de l’avant — et le sens s’éclairait peu à peu, d’autant qu’un enfant orienté vers la lecture lit et relit. On se souvient du petit Poulou racontant dans les Mots comment il avait « lu » Sans famille sans rien connaître du langage, vers 5 ans, et comment il savait lire à la fin du roman. Les mots entrent en nous par leur fréquentation — et certainement pas par leur non-usage.
Dans la Maison de Claudine, Colette s’amuse à se rappeler les contresens de la narratrice sur le mot « presbytère » :
« Le mot « presbytère » venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d’y faire des ravages.
« C’est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse… » avait dit quelqu’un.
Loin de moi l’idée de demander à l’un de mes parents : « Qu’est-ce que c’est, un presbytère ? » J’avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d’un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe… Enrichie d’un secret et d’un doute, je dormais avec le mot et je l’emportais sur mon mur. « Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l’horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles.
Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m’avisai que « presbytère » pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir… Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu’elle soit, ressemble passagèrement à l’idée que s’en font les grandes personnes…
— Maman ! regarde le joli petit presbytère que j’ai trouvé !
— Le joli petit… quoi ?
— Le joli petit presb…
Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre — « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » — ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom… »
— Un presbytère, voyons, c’est la maison du curé.
— La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?
— Naturellement… Ferme ta bouche, respire par le nez… Naturellement, voyons…
J’essayai encore de réagir… Je luttai contre l’effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu’il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère »…
— Veux-tu prendre l’habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? À quoi penses-tu ?
— À rien, maman…
… Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant les débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu’à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d’une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère », et je me fis curé sur le mur. »
[…]Le mot inconnu ne présente d’autre danger pour l’enfant que d’agrandir soudain démesurément le champ de ses hypothèses, et d’entrer dans le plein royaume de la langue. Les pédagogues qui pensent bercer son ennui en lui épargnant l’angoisse du non-savoir sont des faquins, des bélîtres, des marauds, des manants et des cornegidouilles — inutile de connaître exactement le sens de ces mots pour en deviner l’intention.
Parce qu’éliminer les mots peu fréquentés, c’est priver les déshérités des richesses de la langue. C’est leur dire : « Ce n’est pas pour toi ». C’est le temps du mépris — mais toute cette réforme du collège, comme antérieurement celle du lycée, ne manifeste globalement que du mépris pour ceux qu’elle prétend aider en leur maintenant la tête sous l’eau et l’esprit loin des mots. Ni Dumas ni Colette ne font partie de la liste des 535 titres retenus par le Ministère pour les collégiens — qui s’en étonnera ? Rien que de la littérature-jeunesse — le degré zéro de la littérature. Tout au présent de narration. Sans trop de « nous » — beaucoup de « on ». Politiquement corrects. Pas difficiles — surtout pas difficiles ! La défaite de la pensée en action."
ODE
eh oui, “le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat”
Quelle belle langue, quelle belle littérature que les gens de notre peuple partageaient comme un trésor de relations il y a encore 30 ou 40 ans.
Nous lui devons fidélité. Mais ce mot a-t-il encore un sens? Nous devons fidélité à son mystère et à tous les chemins qu’elle renferme, à tous les espoirs, à tous les possibles. C’est par la langue que l’on va à Dieu, in fine.
Faisons confiance à l’intelligence humaine, je pense qu’énormément de gens se rendent compte au moins de ce qu’ils n’ont pas, de ce qui leur manque. Certains sombrent dans la violence (qui vient toujours de l’absence de communication, de mots qui manquent à la parole), la plupart seront humbles et chercheront du sens.
Car les mots ne perdent pas leur éclat, car des mères, des professeurs, continuent à travailler, à éveiller. Heureusement, les livres demeurent, témoins du passé, bruissant de leur langue mystérieuse. Ils n’attendent qu’un esprit ouvert et curieux.
Certes les arts ont perdu toute leur magie, certes bien peu sont ceux qui s’en rendent compte, et ce même parmi ceux qui se disent éveillés. Comprendre le mystère profond et le charme de la poésie, cela n’est pas donné à tous. Beaucoup, même parmi les personnes les plus cultivées, ne sentent pas tout ce que nous sommes en train de perdre jour après jour, en vie propre, en vie du peuple, en vie commune, en Vie de Dieu en nous, en perdant les mots.
Il suffit d’un poète. D’un homme un peu fou qui reprend son luth et qui chante.
“Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat”.
Chez moi, au dîner, c’est “Sans famille” d’Hector Malot, un peu tous les soirs. Si beaucoup de mères font comme moi, ce que j’imagine, nous aurons d’ici quelques années des hommes et des femmes qui n’auront pas oublié ni les mots ni les paysages d’hier. Avec un sens de mystère, de la poésie et de la folie, cela peut bouleverser un monde.
Exupéry
Sabotage et formatage sont les deux mamelles de ladite “éducation nationale” en France.
ODE
… je veux dire que les mots sont là, ils n’attendent que de vrais amants, pourquoi laisser ce soin à l’Education nationale? Nous avons la chance d’avoir des troubadours depuis les temps les plus anciens, jusqu’aux Jacques Brel, frères Jacques ou William Sheller (et j’en passe), nous avons de quoi faire, de quoi nourrir les oreilles de nos enfants.
Enfin, un petit lien vers une sublime chanson d’Yves Duteil. Les voies de la littérature sont mutiples!
https://www.youtube.com/watch?v=XknXllpuXCY
“la langue de chez nous”
(“en écoutant parler les gens de ce pays on dirait que le vent s’est pris dans une harpe et qu’il en a gardé toutes les harmonies…”)
San Juan
La révolution soi disant française est essentiellement anti catholique et donc anti-christique ce qui veut dire qu’elle est purement satanique.
Le Forez
Il y a 40 ans déjà , en 4 ieme , nous étudiions une ” œuvre” minable : Plic et Ploc . Déjà , nous étions lions des œuvres proposées dans le Lagarde et Michard… L abrutissement avait déjà bien commencé ; heureusement mes parents m incitaient à lire de la vraie littérature , ce qui m a bien servi par la suite.
gerard
ODE ,Merci il me semblait entendre ma mère et mon père .Merci aussi pour le lien entre notre langue et Dieu ici je rejoins Mr François Mocuenko (le code de DIEU)Merci le Français est langue des anges. C’est pour cela qu’il est attaqué.
C.B.
On peut se poser la question des compétences de celles ou ceux qui ont conçu la liste des “lectures pour les collégiens (…) en parallèle aux titres de la littérature patrimoniale prescrits et étudiés en classe”
http://eduscol.education.fr/cid83185/liste-litterature-pour-les-collegiens.html
Dans la liste telle qu’elle apparaît à cette adresse, on a bien auteur, titre éditeur (et genre) mais PAS L’ANNÉE D’ÉDITION: y aurait-il eu tant d’éditions successives? Je sais bien que lire (pas dans cette liste, ne nous trompons pas) BALZAC Eugénie Grandet Livre de Poche 1972 laisse perplexe sur l’époque à laquelle a pu vivre cet auteur, mais quand-même, l’année d’édition, c’est un basique des normes pour une bibliographie.
Évidemment APOLLINAIRE, ARAGON, DESNOS, PRÉVERT; je happe au passage un CLAUDEL et un HUGO, un MISTRAL aussi, mais non, les prénoms ne collent pas! MAUPASSANT se trouve affublé de co-auteurs pour le Horla (des réécriveurs?) Une S. WEIL … Sylvie, sans doute plus prudent?
J’en sauve deux dans cette liste: ORWELL, la ferme des animaux; SAINT-EXUPÉRY (ben alors, un saint! et la laïcité alors!!! ;-) lettre à un otage.
L’œil du Loup de D. PENNAC figure dans cette liste; il y a quinze ans, ça se lisait en cours élémentaire, dans une école d’application…
eml
Dommage d’écrire que la littérature jeunesse est le degré 0 de la littérature.
Il y a de très bons ouvrages en littérature jeunesse, il faut juste savoir choisir.
Et puis peut-être faut-il aussi faire la différence entre les livres qu’un enfant peut lire à la maison ou emprunter à la bibliothèque, sans que ce soit de “la grande littérature” (mais de bon goût quand même), et les livres d’étude dans le cadre scolaire, pour lesquels parents et enseignants auraient le devoir d’être plus exigeants encore.
mld
Parmi les injures littéraires de Brighelli, “cornegidouilles” : allusion à l’absurde Père Ubu d’Alfred Jarry. Bravo !
Béatrice
Nouveau programme de 6è en français.
Adieu l’Antiquité, voici le thème à traiter pendant l’année de 6è : le monstre à la limite de l’humain.
!
clemsius
Sans culture l’être humain perd la notion des choses et perd tout bonnement des pans de sa conscience. Il ne réagira plus à une quelconque action des très hauts gradés de la secte parce qu’il n’aura plus d’outils pour l’aider à discerner ce qui est bon ou mauvais. Le malin adore ça.
stephe
Cela fera au moins une heureuse, Mme fleur Pellerin ne sera plus prise à partie par les mauvaises langues pour son désintérêt pour la lecture. Le niveau moyen réduit aux livres très légers pour la jeunesse (la pauvre) devrait satisfaire nos élus, personne ne pourra les affubler de divers mots malsonnants provenant de notre littérature puisqu’ignorés par le plus grand nombre.