A l’occasion de la réédition du Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ, préfacée par le cardinal Burke, les éditions Contretemps ont complété ce texte par une série de huit questions ou objections les plus couramment entendues à l’encontre de la célébration de la messe romaine traditionnelle.
Les voici, avec leurs réponses.
La messe de Paul VI, c’est la messe de Vatican II.
Oui et non. Comme dans tout processus révolutionnaire, la machine s’est emballée à partir des derniers temps du Concile. La constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium (4 décembre 1963), comme beaucoup de textes conciliaires, soufflait le chaud et le froid. Elle avait souhaité promouvoir « la participation pleine, consciente et active (des fidèles) aux célébrations liturgiques » (art. 14). Pour cela il était demandé une révision des livres liturgiques (art. 25). Les prescriptions traditionnelles — « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins » (art. 36), « On veillera à ce que les fidèles puissent dire ou chanter ensemble en langue latine aussi les parties de l’ordinaire de la messe qui leur reviennent » (art. 54) — coexistent avec des propositions plus novatrices ayant pour points communs : la préférence pour les célébrations communautaires (art. 27), la reconnaissance du prêtre comme président de l’assemblée (art. 33), la « simplicité, brièveté et abrogation des répétitions inutiles » (art. 34), la multiplication des lectures (art. 35), l’extension de la faculté de concélébrer (art. 57). La consigne est claire : « En gardant fidèlement la substance des rites on les simplifiera ; on omettra ceux qui au cours des âges ont été redoublés ou ont été rajoutés sans grande utilité » (art. 50). Notons qu’il n’est nulle part question de célébration face au peuple (qui en fait allait de soi pour les novateurs : elle était courante dès l’ouverture du Concile) ou de communion dans la main.
La Commission pour la réforme liturgique a commencé à siéger en 1964. Dès lors a commencé une période intermédiaire jusqu’à la publication du nouveau missel en 1969. Les modifications se sont multipliées et le grand désordre a commencé. Le 7 mars 1965 la Congrégation des rites publiait un missel qui n’était plus un missel de saint Pie V (dont, pour la première fois, la bulle Quo primum n’était pas reproduite en tête), mais un missel hybride, reprenant une partie des demandes de Sacrosanctum Concilium. Si l’offertoire et le canon étaient pour l’instant inchangés (trois nouvelles prières eucharistiques s’y ajoutent en 1968), les prières au bas de l’autel étaient supprimées ainsi que le dernier évangile, le vernaculaire est permis partout sauf, théoriquement, dans l’offertoire et le canon (qui pourra être officiellement dit à voix haute et en langue vulgaire en 1967). De la même année date le rituel de la concélébration. Les résistances étaient déjà fortes. En 1966, le professeur Ratzinger, à propos des réformes auparavant promulguées, avait prononcé deux conférences en Allemagne pour tirer la sonnette d’alarme. Au synode des évêques du 24 octobre 1967 fut présentée, par le père Bugnini, une messe normative, « expérimentale », qui fut refusée par une majorité des évêques présents. Cette version sera néanmoins imposée, dans ses grandes lignes, par la constitution Missale Romanum. Sur ce sujet, on pourra se reporter utilement au documentaire américain Mass of the Ages, épisode 2.
On reproche à la mise en place du missel de Paul VI d’avoir été radicale. Mais ce fut le cas aussi de la mise en place du missel tridentin.
Il existe une différence majeure entre ces deux événements. La bulle Quo Primum instaurant le missel dit tridentin (mais qui n’était rien d’autre que le missel en usage à la Curie romaine) permet la célébration de tous les rites qui peuvent justifier de 200 années de célébration ininterrompue. Beaucoup d’usages diocésains auraient pu ainsi subsister. En fait, se sont ainsi pérennisés les rites cartusiens (pour les chartreux), dominicains (pour les dominicains), ambrosien (à Milan), mozarabe (à Tolède), etc. Il ne s’agit pas d’interdire la célébration de rites puisant leurs origines dans une longue Tradition, mais de faire que, dans un univers latin qui était déjà liturgiquement très romanisé depuis l’époque carolingienne, le missel romain utilisé à Rome soit, plus que jamais, la norme, la lex orandi par excellence. La promulgation du missel de Paul VI s’accompagne, quant à elle, de l’interdiction de toutes les formes liturgiques antérieures quelles que soient leurs anciennetés. La réalité est que toutes les innovations liturgiques même les plus ébouriffantes sont tolérées. La seule messe interdite est la messe romaine traditionnelle.
Les « tradis » sont fixés sur des détails. La messe en français peut aussi être célébrée avec le sens du sacré.
Bien sûr, et heureusement, cependant ce n’est pas la logique propre de cette célébration. Fondamentalement ce qui est sacré est figé, ne peut changer tout le temps et selon le style de chaque célébrant. Le sens du sacré ne s’accorde pas avec le changement et la créativité, mais il exige la fixité du rite. Or une des caractéristiques majeures de la réforme liturgique est de proposer une multitude de choix possibles à l’occasion des actions liturgiques : choix des prières eucharistiques, choix des attitudes, etc. De plus la célébration face au peuple et en langue vernaculaire contribue, par nature, à la désacralisation de l’action liturgique. Plus gravement, sous un rituel plus « fluide », l’expression des données de foi rappelées par le Concile de Trente (caractère sacrificiel de la messe, Présence réelle, sacerdoce hiérarchique) est notablement affaiblie. C’est Louis Salleron, dans son ouvrage La nouvelle messe, qui a sans doute le mieux défini la caractéristique majeure du Novus Ordo. Il s’agit d’un rite, par nature, « équivoque », pouvant être célébré en conformité avec la foi de l’Église sur l’eucharistie mais tout aussi légitimement par des personnes qui ne croient pas en la présence substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin.
Le pape François fait œuvre d’autorité parce qu’il estime qu’il y avait un risque d’Église parallèle avec les fidèles attachés à la messe traditionnelle.
Ce qui fait l’unité de l’Église c’est l’unité de foi, la soumission aux autorités légitimes et la participation aux mêmes sacrements. À l’occasion des restrictions apportées au culte à l’occasion de la pandémie de Covid-19, Jean-Marie Guénois, chroniqueur religieux du Figaro, rapportait les propos d’un évêque observant « une foi catholique eucharistique théologiquement divergente » jusque chez les évêques. Si l’attachement à la liturgie romaine traditionnelle procède d’une autre foi que celle que le cardinal Benelli appelait l’Église « conciliaire », il conviendrait d’expliciter en quoi consiste cette nouvelle foi. Quand le cardinal Roche, préfet du dicastère pour le culte divin, affirme le 19 mars 2023 : « Vous savez, la théologie de l’Église a changé. Alors qu’auparavant le prêtre représentait, à distance, toutes les personnes – celles-ci étaient pour ainsi dire canalisées par cette personne qui était la seule à célébrer la messe – ce n’est pas seulement le prêtre qui célèbre la liturgie, mais aussi ceux qui sont baptisés avec lui. Il s’agit là d’une affirmation très forte », on peut légitimement se demander qui est en « communion » avec ce que l’Église a toujours cru et enseigné. Le drame de notre temps n’est pas celui de la création d’une éventuelle Église parallèle mais celui de l’occupation de l’Église par des fonctionnaires ecclésiastiques opposés à sa Tradition doctrinale, spirituelle, liturgique et disciplinaire.
Les « tradis » n’en font-ils pas toujours un peu trop en jouant sans cesse aux victimes ?
Le 26 juillet 2022, un prêtre célébrait, à Bari en Italie, la messe en maillot de bain dans la mer sur un matelas pneumatique. Ce prêtre n’a été ni sanctionné ni frappé de suspens. Il est en revanche de plus en plus difficile de bénéficier des sacrements selon la forme traditionnelle. Les exemples se multiplient à travers la France de parents ne pouvant faire célébrer les baptêmes de leur nourrisson selon la forme traditionnelle ou faisant face à des difficultés ou des interdictions pour faire célébrer des mariages avec la messe selon la forme traditionnelle du rite romain. Ce n’est pas de la victimisation, c’est une réalité. Faire célébrer une messe de mariage selon le nouvel Ordo alors qu’il s’agit en fait d’une régularisation de plusieurs années de vie commune ne pose aucune difficulté. Souhaiter pour son mariage la célébration de la messe traditionnelle, après avoir vécu des fiançailles conformément à la loi de l’Église, est trop souvent un véritable parcours du combattant.
Le traditionalisme est un phénomène réduit à la France et aux États-Unis. La réforme liturgique n’a pas posé de difficulté ailleurs.
Les « gros bataillons » traditionalistes se positionnent effectivement en France et aux États-Unis. En France, grâce à de nombreux prêtres de paroisse qui ont continué à célébrer la messe traditionnelle, et au rôle de Mgr Lefebvre dans la résistance traditionaliste, de même qu’à l’existence d’une école intellectuelle antilibérale, qualifiée par ses détracteurs d’intransigeante, illustrée par des figures comme l’abbé Berto, l’abbé Dulac, le père Calmel (o.p.) ou le laïc Jean Madiran autour de la revue Itinéraires. Aux États-Unis, les évêques américains, en bons Américains, sont d’abord des pragmatiques : la messe traditionnelle remplit les églises et donne des vocations donc ils sont pour la messe traditionnelle. Notons à l’échelle de la planète le cas particulier du Brésil avec Mgr de Castro-Mayer, évêque coconsécrateur des sacres du 30 juin 1988, et des personnalités comme Gustavo Corçao ou Plinio Correio de Oliveira. Pour résister à la volonté clairement affirmée du pape Paul VI de voir disparaître la célébration de la messe romaine traditionnelle il fallait avoir de bonnes raisons très étayées doctrinalement et du tempérament. Tous les pays ne disposaient pas du personnel ecclésiastique intellectuellement, spirituellement et moralement prêt à cette résistance. Résistance qui nécessitait également des moyens matériels que seul des laïcs pouvaient fournir.
Le Concile Vatican II et la réforme liturgique promettaient un nouveau printemps de l’Église. C’est à une débâcle que nous avons assisté : l’Europe est de plus en plus déchristianisée, l’Amérique latine se rallie chaque jour plus à l’évangélisme protestant, le Moyen-Orient se vide de ses chrétiens, l’Extrême-Orient affronte la sinisation voulue par le gouvernement chinois. Reste l’Afrique où se développent de nombreuses communautés fidèles à la liturgie traditionnelle. Notons enfin que les communautés traditionnelles à vocation universelle (FSSPX 675 prêtres – FSSP 341 prêtres – ICRSP 130 prêtres – IBP 50 prêtres) n’ont pas assez de prêtres pour répondre aux demandes des évêques ou des fidèles qui leur parviennent des quatre points du monde.
La volonté de réconciliation de Benoît XVI s’est conclue par un échec. Le pape François ne fait que le constater et régler ce constat par ses différents textes.
L’enrichissement mutuel des deux rites a effectivement fait long feu. L’objectif de la « réforme de la réforme » était de traditionnaliser la nouvelle messe. Sans que les résultats ne soient spectaculaires il est néanmoins certain que le motu proprio Summorum Pontificum a permis à des prêtres et des évêques de se familiariser avec « l’ethos liturgique » de la messe traditionnelle, et ainsi de traditionnaliser leur manière de célébrer les saints mystères : messe ad Orientem, utilisation du latin, communion donnée dans la bouche, etc. Beaucoup de ces prêtres diocésains ont appris à dire la messe traditionnelle. Et de 2007 à 2017, le nombre de messes dominicales tridentines a doublé dans le monde. Mais le terme de réconciliation ne semble pas très heureux. Il ne s’agit pas de réconcilier des personnes qui ont eu un différend mais de traiter des questions doctrinales fondamentales sur la nature de la messe et la réalité de la réforme liturgique. Les graves questions doctrinales posées dans leur Bref Examen Critique par les cardinaux Ottaviani et Bacci restent, à ce jour, sans réponse. Quant au pape François c’est une illusion, pour lui, de croire qu’il parviendra à obtenir la suppression de la célébration de la messe traditionnelle. Paul VI régnant sur une Église encore puissante et soumise à l’autorité pontificale n’y est pas parvenu, ce n’est pas un pape affaibli régnant sur une Église exsangue qui y parviendra. De plus beaucoup de clercs et de laïcs ont accepté la réforme liturgique faisant confiance à l’autorité suprême et en espérant, avec elle, de bons fruits. Les fruits sont là et, hélas, ils ne sont pas bons !
Les persécutions/limites/vexations que subissent les prêtres et fidèles attachés à l’usus antiquior montrent que la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X avait bien raison et qu’elle seule mène le bon combat.
La situation de la FSSPX aujourd’hui est effectivement assez confortable. Les autorisations accordées par le pape François de confesser et de célébrer les mariages ont donné aux prêtres de la Fraternité Saint Pie X une quasi-reconnaissance canonique. De plus, dans leurs implantations, ils ne dépendent pas des évêques diocésains. Précieux atout alors que le développement de beaucoup de communautés ex-Ecclesia Dei est bloqué par les restrictions imposées par les ordinaires à l’augmentation du nombre de prêtres, à la célébration des messes, etc. De là à être la seule institution à mener le bon combat il y a plus qu’une marge, un abîme. Il ne faut pas oublier non plus que les communautés traditionnelles (FSSPX, communautés ex-Ecclesia Dei) ne sont que des secours hautement estimables mais provisoires – un provisoire qui peut durer un long temps – pour pallier la déficience liturgique des diocèses. Mais le but que poursuivent tous ceux qui ne reçoivent pas la réforme liturgique est la restauration d’une liturgie indubitablement catholique à Rome, dans les diocèses et dans les paroisses. Les malheurs des temps font que chaque catholique souhaitant rester intégralement fidèle à la foi de son baptême, au nom du sensus fidei, est confronté à deux risques. Accepter d’être un peu en marge de l’Église et de sa hiérarchie, au risque, un jour, de s’en séparer. Refuser une prise de distance d’avec cette hiérarchie, souvent hostile à la Tradition de l’Église, au risque d’être contaminé par son modernisme. L’Église est par nature hiérarchique : toute action d’apparente désobéissance au nom du sensus fidei est en attente – une attente qui peut être longue – d’une confirmation de son bien-fondé par le pape et les évêques unis à lui. Plus que jamais, « Le juste milieu c’est le chemin des crêtes » (Saint Grégoire de Nysse).