Extrait d’un entretien donné par Peter Doran dans Conflits :
[…] D’un point de vue européen, la réunion de Riyad rappelle la conférence de Yalta, où l’Union soviétique, les Britanniques et les États-Unis ont décidé de l’avenir géopolitique du continent européen, mais cette fois sans les Britanniques. Si les États-Unis cèdent aux exigences russes sans rien obtenir en retour, nombreux sont ceux qui affirment qu’ils perdront toute crédibilité en tant que partenaire de sécurité fiable pour l’Europe. Que pensez-vous de cet argument ?
Je serais très prudent face à de tels arguments. D’une part, nous ne connaissons pas encore les contours d’un éventuel accord de paix. Il ne s’agit donc que de spéculations après une réunion de quatre heures et demie à Riyad, qui semble avoir été plus une discussion de mise sur la table qu’autre chose. Cela dit, le président Zelensky a fixé deux lignes rouges strictes.
L’une d’entre elles est qu’il n’y a pas d’accord sur l’Ukraine sans l’Ukraine – une référence claire à Yalta et aux erreurs du passé.
Deuxièmement, tout accord de paix ne doit pas donner à la Russie l’occasion de réoutiller, de réarmer et de rééquiper son armée pour attaquer à nouveau dans deux à quatre ans, ce qui est tout à fait possible si l’on en croit les récentes estimations des services de renseignement – dont la plus récente a été divulguée par l’agence de renseignement danoise, je crois, en ce qui concerne les capacités de la Russie.
Le président Zelensky a donc clairement tracé deux lignes rouges dans le processus de négociation sur lesquelles il ne cédera pas, et il a raison de le faire. Quoi qu’il en soit, les États-Unis chercheront certainement à envoyer des troupes européennes sur le terrain en Ukraine dans le cadre d’un accord de paix. Le président Trump a déclaré qu’il n’y aurait pas de troupes américaines sur le terrain, mais qu’il souhaitait que des troupes européennes y soient déployées. Cela semble être une composante majeure de tout accord final.
Et je peux vous dire que de nombreux Américains ont été encouragés de voir le Royaume-Uni se manifester et dire qu’il était prêt à déployer certaines de ses troupes. Je pense donc que nous verrons une coalition de volontaires envoyer des troupes en Ukraine, mais je ne pense pas qu’il s’agira d’un effort paneuropéen.
Toutes les administrations américaines ont poussé l’Europe à se ressaisir en matière de défense, mais les Européens n’ont jamais été en mesure de le faire. La guerre en Ukraine les a rendus très sérieux en matière de défense. Cette guerre a-t-elle réellement abouti à ce que les États-Unis tentent de réaliser depuis des décennies ?
Voici le problème. Il faudra à l’Europe au moins dix ans – et je dis cela avec précaution – pour construire sa base industrielle de défense au point de pouvoir produire le niveau d’équipement et d’armement nécessaires pour dissuader efficacement la Russie. L’Europe peut augmenter ses dépenses de défense autant qu’elle le souhaite, mais tant qu’elle n’aura pas construit sa base industrielle, elle ne disposera pas de la capacité militaire nécessaire pour dissuader efficacement la Russie.
Dans l’intervalle, l’option la plus immédiate pour l’Europe est d’acheter des équipements militaires américains sur étagère. Les États-Unis seront donc probablement le principal fournisseur militaire de l’Europe au cours de la prochaine décennie, à mesure que l’Europe développera sa propre capacité industrielle en matière de défense. De nombreuses personnalités publiques appellent l’Europe à dépenser davantage pour la défense, ce qui est une bonne chose.
Mais tant qu’ils ne construisent pas d’usines, n’étendent pas leurs lignes de production et ne créent pas de nouvelles capacités, ces armes ne peuvent pas être produites du jour au lendemain. Il faut au moins cinq ans, voire dix ans, pour les mettre au point. L’Europe a toujours été très lente en matière d’acquisition de matériel de défense. Je ne suis donc pas optimiste quant à ses perspectives à court terme, mais je suis certain qu’elle parviendra à s’en sortir à moyen ou long terme.
Que pensez-vous de l’argument du compromis de sécurité avec la Chine ? Plus les États-Unis enverront d’équipements militaires en Europe, moins ils pourront dissuader la Chine dans le Pacifique, qui est leur principale préoccupation géopolitique.
Les opinions divergent au sein de la droite américaine quant à la définition des priorités. Une école de pensée affirme que l’accent doit être mis sur la région indo-pacifique, en se préparant à une guerre potentielle avec la Chine au sujet de Taïwan. D’autres, comme moi, estiment que les États-Unis peuvent soutenir la sécurité européenne tout en se préparant à contrer la Chine.
Il s’agit d’un débat en cours où des voix fortes s’élèvent de part et d’autre, mais où il n’y a pas encore de consensus. Lorsque le secrétaire à la défense, M. Hegseth, s’est rendu à Bruxelles la semaine dernière pour participer aux négociations de l’OTAN, il a insisté sur la nécessité de donner la priorité à la région indo-pacifique. Il n’avait pas tort, mais donner la priorité à une région ne doit pas signifier en abandonner une autre.
En ce qui concerne la situation militaire en Ukraine, l’avancée russe semble s’être considérablement ralentie au cours du mois dernier. Quelle est votre évaluation de la situation actuelle ?
Les deux parties manquent de main-d’œuvre et d’équipement. Les pertes des deux côtés ont été catastrophiques : des générations entières de jeunes hommes, tant russes qu’ukrainiens, ont été perdues dans cette guerre. La décision de la Russie de faire appel à des soldats nord-coréens pour renforcer ses forces l’été dernier en est la preuve.
Ainsi, si les conditions sont réunies, Poutine pourrait être incité à cesser les combats. Cependant, le président Trump suppose que Vladimir Poutine est aussi préoccupé par les pertes humaines en Ukraine que le président Zelensky – ou que le président Trump lui-même. Si cette hypothèse est erronée, alors M. Trump se trompe sur M. Poutine. À cet égard, je pense que Trump découvrira bientôt que Poutine demandera tout et n’offrira rien, et ce n’est qu’à ce moment-là que le véritable processus d’âpres négociations commencera.
Toutefois, le président Trump a clairement déclaré qu’il souhaitait que cette guerre prenne fin le plus rapidement possible dans le cadre de son héritage en tant que président, de sorte que la période à venir constituera un test important pour lui. Je pense néanmoins que nous parviendrons à un accord dans les prochains mois. Mais tant que nous ne connaîtrons pas les contours de cet accord potentiel, il est trop tôt pour déterminer s’il sera bon ou mauvais.
SouvenirdeBainville
Il faudrait que l’auteur ait une juste connaissance des causes du conflit, ce qui lui permettrait de dire moins d’invraisemblances. Les USA avec la CIA et leur employé l’OTAN, en surarmant Kiev, poussant à une russophobie invraisemblable , traitant les russophones comme des parias, et avec les 15 000 morts de Donetsk, ont provoqué sur 8 ans cette réaction de défense russe, tardive d’ailleurs. Si les propositions de discussions, d’accords, n’avaient pas été refusées par les USA, si les accords de Minsk avaient été honorés et soutenus par l’Europe, si B.Johnson n’avait pas obligé Zelinsky à continuer une guerre perdue, les USA ne seraient pas acculés à ce retour humiliant à la réalité, ainsi que leurs alliés européens qui ont organisé leur suicide économique et énergétique pour le plus grand profit des USA qui les méprisent..
HARDY
Quand Trump décide de faire la paix, il redore plutôt le blason des USA.
A voir la suite car les USA ont une lourde histoire derrière eux (Cf “L’Amérique empire” de Nicola Mircovic).
Collapsus
Une mise à niveau de la défense européenne en la rendant indépendante des USA tant en organisation qu’en fourniture d’armes pourrait amplement profiter à la France dont le complexe militaro-industriel est le meilleur du continent. Encore faudrait-il qu’elle sache se libérer du carcan fiscal, normatif et administratif qui étouffe son industrie au dépens de sa compétitivité. Ce n’est pas ce gouvernement de bras cassés qui lui permettra d’atteindre cet objectif.
Meltoisan
Tout-à-fait !
zongadar
Cet article laisse sur sa faim. J’ai lu par ailleurs que Trump espère bien récupérer les milliards investis en Ukraine par exemple en récupérant des terres rares dont l’ Ukraine semble être riche. On sait déjà que Black Rock est sur les rangs pour la reconstruction. Les guerres peuvent aussi s’expliquer par la finance, vente d’armes, guerre prolongée inutilement, puis reconstruction, c’est tout bénéf’; voir l’excellent livre ‘Guerres et Mensonges’ de Sylvain Laforest (un exemple : où Adolf a-t-il trouvé tout le pétrole nécessaire à l’avancée de ses troupes?) d’où, sans doute, la volonté d’écarter l’Europe des négociations.
Par ailleurs, se méfier d’un accord alors que celui de Minsk n’a pas été respecté et ce, pour la même raison, ferait sourire si ce n’était pas dans un tel contexte.
HARDY
Etonnant de retrouver ce narratif otano-kievien sur Le Salon Beige.
Cette guerre a été voulue par l’état profond américain et servie par tous les présidents us depuis la fin de la guerre froide ( Cf “L’échiquier mondial” de Brwesinski) et ses vassaux de
l’union européenne. Trump.02 veut s’affranchir de cette logique. Grand bien lui fasse. Et ne nous étonnons pas que tous ceux qui ont poussé à ce crime doivent en payer maintenant les conséquence. Ce n’est que justice.
Mais, quand la Russie aura garanti sa sécurité contre de nouvelles folies atlantistes, elle continuera de chercher à se développer sans se soucier du territoire des pays européens dont elle n’a que faire. Ne jouons pas à nous faire peur.
Remy
Bien d’accord avec vous, lorsque la Russie aura garanti sa sécurité à l’ouest, comme au centre et à l’est (cf. les plans anglo-saxons de partitions de la Russie, suite à théorie du Rimland/Heartland de Mackinder), son grand projet est de développer l’immense territoire asiatique dont elle dispose, qui est quasiment vide. Ce territoire est le dernier grand de la planète à développer…
Elle n’a que faire des pays européens, tout au plus souhaite-t-elle collaborer et échanger ses immenses ressources énergétiques et minières contre des biens de haute technologie des pays européens.
D’où la hargne des Anglo-Saxons à vouloir détruire la Russie, quel qu’en soir le prétexte, pour contrôler ces territoires…
Meltoisan
Imaginons qu’il soit titré : “Rencontre entre Saoudiens et Russes à Tel-Aviv : un nouveau Yalta ?” Vous y croiriez ?
Montalte
Etonnant de dénigrement autant les capacités industrielles européennes en matière de défense. La France a des atouts, le RU (je le compte comme “européen”, les Tchèques aussi. Encore faut-il acheter du matériel européen, ce que les Polonais et autres ne font pas
Bernard Mitjavile
Quel baratin prétentieux! Aucune réflexion sur les causes réelles du conflit (engagement vis à vis de la Russie de ne pas étendre l’Otan à l’Est, persécution des populations du Donbass par le gouvernement de Kiev etc..) On récolte ce que l’on sème nous dit la Bible.
Horace
Chaque jours, les causes et les solutions s’embrouillent.
Marcos
Pour moi, Zelensky est une créature des services américains, un bébé Maïdan. Et pourtant, le cave se rebiffe. Fait-il cela proprio motu ou sous l’influence de ses encore maîtres néo-cons ? Cette rébellion a le don d’exaspérer Trump. Il y a aussi l’activisme de Macron avec ses rassemblements de nains de jardin. Il est convoqué à Mar a Lago. Va t-il y croiser Hanouna?