Le Pape vient d’effectuer deux voyages apostoliques en pays musulmans, l’un aux Emirats Arabes Unis (Abou Dabi) du 3 au 5 février 2019, l’autre au Maroc, les 30 et 31 mars. Sur le site du Vatican, les discours prononcés à ces occasions en situation interreligieuse (hors les rencontres avec les catholiques et consacrés) et les documents communs signés et retranscrits sur le site sont au nombre de cinq :
- Une rencontre interreligieuse à Abou Dabi ;
- La signature à Abou Dabi d’un Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signée avec le grand imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb ;
- Au Maroc, une « rencontre avec le peuple marocain, les autorités, les représentants de la société civile et le corps diplomatique »
- Un appel conjoint du roi Mohammed VI et du Pape sur Jérusalem
- Une rencontre avec les migrants à Rabat
Si le cœur de la foi catholique est le Christ ressuscité, si le Christ a enseigné, dans le cadre de l’Alliance, à appeler Dieu « notre Père », et si Dieu est un Dieu d’amour et si l’amour est au cœur des premiers commandements, il paraît intéressant de voir comment ont été cités, dans ces textes, les mots de Jésus,Christ, Amour, Aime/aimer et Père. D’autant plus que le Pape rappelait bien que le dialogue inter-religieux devait avoir pour méthode et critère la connaissance réciproque (Abou Dabi, Document sur la fraternité).
Une preuve que ces mots sont bien consubstantiels à la foi catholique réside d’ailleurs dans leur utilisation par le Pape lors de sa rencontre avec les prêtres, les religieux, les consacrés et les membres du conseil œcuménique des Eglises au Maroc. Dans son discours, le Christ est cité 5 fois, Jésus 10 fois, 4 fois le mot « Père » et 6 fois le mot « amour ». Le Pape disait aussi :
« Etre chrétien c’est une rencontre, une rencontre avec Jésus-Christ. Je vous encourage, sans autre désir que de rendre visible la présence et l’amour du Christ qui s’est fait pauvre pour nous pour nous enrichir de sa pauvreté ».
Voilà les résultats pour les occurrences des mots ci-dessus, dans les cinq interventions et documents précités :
- Le Christ: cité une seule fois, lors de la rencontre avec les migrants, et associé seulement aux chrétiens : « Pour le chrétien, il ne s’agit pas seulement de migrants, mais c’est le Christ lui-même qui frappe à nos portes ».
- Jésus: 0 fois
- Amour: une seule fois, lors de la rencontre avec les migrants, et associé à miséricordieux.
- Aime/Aimer: 3 occurrences. « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer » et « Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s’aiment» (Document sur la fraternité). Et lors de la rencontre interreligieuse : « La vraie religiosité ( ?) consiste dans le fait d’aimer Dieu de tout son cœur et le prochain comme soi-même »
- Père est cité 1 fois : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu » (Document sur la fraternité).
De plus, le Pape ne cite qu’une fois un extrait de l’Evangile, lors de la rencontre inter-religieuse ; extrait qui ne comprend guère que des mots fort acceptables par des musulmans (Loi, Prophète) : « tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi : voilà ce que disent la Loi et les Prophètes» (Mt 7, 12).
A contrario, pour ce qui concerne le registre des mots largement utilisés dans la sémantique musulmane, le mot « miséricorde » ou « miséricordieux » est cité 7 fois ; en particulier dans l’expression « Le Tout-Puissant, clément et miséricordieux », ou « au nom du Miséricordieux qui nous a créés » (mot qui bien évidemment n’apparaît pas dans le discours du Pape lors de cette rencontre avec les prêtres et les religieux chrétiens). Enfin, le syntagme « les trois religions monothéistes », qui n’a aucune cohérence pour un catholique mais est largement utilisé par les musulmans pour créer l’illusion d’une parenté entre les religions juive, chrétienne et musulmane, est cité deux fois dans la déclaration sur Jérusalem.
On pourra objecter que le Pape rappelle à plusieurs reprises la nécessité de la liberté de culte :
« La liberté de conscience et la liberté religieuse – qui ne se limitent pas à la seule liberté de culte mais qui doivent permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse – sont inséparablement liées à la dignité humaine » (Rencontre avec le peuple marocain) ;
dans le document sur la fraternité humaine, il est aussi déclaré :
« La liberté est un droit de toute personne : chacune jouit de la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action. C’est pourquoi on condamne le fait de contraindre les gens à adhérer à une certaine religion ou à une certaine culture, comme aussi le fait d’imposer un style de civilisation que les autres n’acceptent pas ».
Mais rien sur la liberté de changer de religion ; l’on sait que l’apostasie est criminalisée par la charia (y compris au Maroc où existe un délit d’« ébranlement de la foi d’un musulman »et où pourtant le Pape a déclaré « Majesté et Honorables Autorités, chers amis ! Les chrétiens se réjouissent de la place qui leur est faite dans la société marocaine »), la sanction pouvant être la peine de mort dans certains pays musulmans.
Et d’une façon générale, toujours lors de cette rencontre avec le peuple et les autorités marocains, le Pape s’est
« réjoui que la Conférence internationale sur les droits des minorités religieuses dans le monde islamique, qui a eu lieu à Marrakech en janvier 2017, ait permis de condamner toute utilisation instrumentale d’une religion pour discriminer ou agresser les autres, en soulignant la nécessité de dépasser le concept de minorité religieuse, au profit de celui de citoyenneté et de la reconnaissance de la valeur de la personne, qui doit revêtir un caractère central dans tout ordonnancement juridique ».
Paraissant ainsi ignorer toutes les situations concrètes rappelées en particulier par AED (Aide à l’Eglise en Détresse) pourtant fondation internationale de droit… pontifical.
Même occultation spécieuse des réalités dans le paragraphe du Document sur la fraternité consacré aux droits des femmes :
« C’est une nécessité indispensable de reconnaître le droit de la femme à l’instruction, au travail, à l’exercice de ses droits politiques. En outre, on doit travailler à la libérer des pressions historiques et sociales contraires aux principes de sa foi et de sa dignité. Il est aussi nécessaire de la protéger de l’exploitation sexuelle et du fait de la traiter comme une marchandise ou un moyen de plaisir ou de profit économique. Pour cela, on doit cesser toutes les pratiques inhumaines et les coutumes courantes qui humilient la dignité de la femme et travailler à modifier les lois qui empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs droits ».
C’est, comme d’habitude, une formulation parfaitement acceptable au regard de la charia parce qu’elle omet la notion d’égalité des droits avec les hommes.
Quant au paragraphe du même document affirmant
« Nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles »,
il suffit de se rappeler le nombre de personnes protégées dans le monde à titre individuel pour les soustraire à d’éventuels bras armés musulmans applicateurs de fatwas pour en comprendre le caractère très relatif.
Et, plus avant, pour ce qui concerne « le terrorisme détestable qui menace la sécurité des personnes, aussi bien en Orient qu’en Occident, au Nord ou au Sud, répandant panique, terreur ou pessimisme », le même Document sur la fraternité rappelle qu’il « n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent – mais est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance ». Voilà tout un faisceau de raisons économiques et sociales, voire de ressenti (« arrogance » ? Qui est visé ?) bien commode pour exonérer le terrorisme musulman de ses responsabilités.
Enfin, le Pape est bien sûr revenu sur le thème des « migrants » : au Maroc, et à propos du Pacte mondial sur les migrations (signé dans ce pays), il a dit que « beaucoup reste encore à faire, surtout parce qu’il faut passer des engagements pris avec ce document, au moins au niveau moral, à des actions concrètes », pour un texte qui, rappelons-le, a été présenté comme n’ayant pas de caractère contraignant. Et lors de sa rencontre avec des « migrants », il a dit :
« En considérant la situation actuelle, accueillir signifie avant tout offrir aux migrants et aux réfugiés de plus grandes possibilités d’entrée sûre et légale dans les pays de destination. L’élargissement des canaux migratoires réguliers est de fait un des objectifs principaux du Pacte mondial ».
Et prôné ouvertement un modèle de société multiculturelle :
« Intégrer veut dire s’engager dans un processus qui valorise à la fois le patrimoine culturel de la communauté qui accueille et celui des migrants, construisant ainsi une société interculturelle et ouverte ».
Mis à part le soutien dans la foi apporté localement aux communautés catholiques et qui peuvent légitimement se réjouir de ces rencontres, entre effacement du cœur de la foi catholique, signature de textes communs en contradiction avec le plus élémentaire examen des réalités concrètes et soutien à un processus de migration élargi en vue de créer des sociétés interculturelles, on se prend à penser que ces voyages en pays musulmans ne sont peut-être pas indispensables.