L’échange entamé ces derniers jours se poursuit. Il ne sera pas dit que Le Salon beige ne fait rien en faveur de l’oecuménisme…
Merci mon Père pour vos intéressantes remarques écrites suite à la parution en plusieurs parties sur le Salon Beige de la lettre d’un moine bénédictin à un prêtre orthodoxe (lien). Permettez-moi de vous faire part, avec respect et une affection virile, de quelques réflexions. Une précision, je ne suis absolument pas mandaté par le moine bénédictin pour vous écrire, encore plus, il n’est pas au courant du présent message que je vous adresse. D’ailleurs, la rédaction du Salon Beige m’a fait savoir que le moine en question n’a pas accès à internet, encore moins au présent blog.
Venons-en au cœur du sujet : le ton général de votre texte diffère quelque peu de celui de ce vénérable moine dont le propos est profond et audacieux, plein de charité et étranger à tout jugement téméraire. Il fait entrer le lecteur avec simplicité dans le dépôt de la Foi. Cette foi qui était celle des saints du premier millénaire, et que nous avons sans doute en commun. Sa méditation est tissée par l’Esprit des Pères de l’Eglise. D’ailleurs je note que vous ne remettez pas en cause les lignes qu’il écrit. Vous attaquez, si j’ose dire, sur d’autres sujets… J’ose espérer que vous avez été touché en plein cœur par la douceur de cette belle doctrine jaillie de l’Evangile et de la Foi de toujours.
La manière avec laquelle vous interpellez l’auteur de cette lettre est douloureuse pour le lecteur que je suis. Oui, des catholiques lisent saint Jean Climaque, Evagre le Pontique, et bien d’autres saints moines, lesquels sont publié en français par des moines cisterciens catholiques : les éditions de Bellefontaine, y compris les philocalies des pères neptiques.
Nos librairies catholiques comportent de belles collections, à commencer par les « Sources Chrétiennes » et bien d’autres. En outre, pourquoi mon Père, prenez-vous la peine d’égratigner le travail des moines d’Occident en ridiculisant leurs travaux ? Nous peinons à reconnaître sous votre plume l’Esprit de Dieu. Permettez-moi toutefois de vous rassurer sur ce point : les magasins des abbayes que nous pouvons visiter en France proposent une large palette d’auteurs monastiques. J’en fréquente pour ma part un certain nombre, et je puis vous dire que vous faites erreur en minimisant la qualité des ouvrages présentés aux fidèles. Certes, s’y ajoutent des produits issus du travail des moines, mais à ma connaissance, les monastères orthodoxes présents en France ne sont pas en reste pour commercialiser leurs vins ou d’autres produits.
Oui, je vous y invite, venez voir les abbayes où se pressent de nombreux jeunes, vous ne serez déçu ni par la beauté de la liturgie, soutenue par le chant grégorien, ni par une carence dans la vénération pour la grande tradition latine. La lente complainte des priants de la nuit monte vers le ciel, portant dans la prière notre humanité si éloignée de Dieu.
Oui mon Père, j’ai été profondément choqué par ce que j’ai pris pour une relativisation de la tradition spirituelle catholique qui a fait tant de saints, tant de missionnaires, tant de de martyrs. Vous mentionnez avec un ton indélicat quelques auteurs plus ou moins hérétiques de la fin du vingtième siècle comme Teilhard de Chardin, Boff ou encore Kung (vous écrivez Kueng). Comme Rahner, ils ont fait quoiqu’on en dise, l’objet de monitions du Saint Siège.
Ces auteurs ne sont en rien la fine fleur de la doctrine spirituelle à laquelle se réfère le moine bénédictin dans sa missive. Ce qui m’attriste c’est la manière dont vous omettez, par méconnaissance sans doute, les grands mystiques catholiques du second millénaire, à commencer par les héritiers directs des Saints Pères dont certains sont à l’origine par la grâce de Dieu de florissants ordres monastiques ; permettez-moi d’en citer quelques-uns : saint Bernard (Cîteaux), Saint François d’Assise, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse d’Avila, saint François de Sales, le vénérable Ambroise de Lombez, saint Louis-Marie Grignion de Montfort, saint Jean-Eudes, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Maximilien Kolbe, saint Padre Pio…
Certains ont reçu des grâces insignes comme les stigmates, ont connu la transverbération, d’autres ont reçu des visions… Il y a les apparitions du Cœur Sacré de Jésus à Paray-le-Monial, celles de la Sainte Mère de Dieu à Lourdes, Fatima, Pontmain,… sans oublier l’extraordinaire manifestation de la Vierge Marie à Guadalupe au Mexique et les myriades de miracles et guérisons attestées et reconnues…
– Qu’est-ce qui vous fait dire que les catholiques ne se nourrissent pas au lait des saints qui précèdent le 12ème siècle ? Savez-vous que la Liturgie des Heures, le Bréviaire, est pétrie de textes des Pères du premier millénaire ? Demandez aux séminaristes diocésains, de la Fraternité Saint Pierre, de la Communauté Saint Martin, de la Fraternité Saint Pie X, de l’Opus Dei, … si l’année de propédeutique spirituelle obligatoire n’est pas basée sur les textes de la Grande Tradition ? Venez et voyez… On y lit le traité sur le sacerdoce de saint Jean Chrysostome, et la mystagogie de saint Maxime…
– Avez-vous lu, rien qu’une fois, un écrit de Benoît XVI, spécialement ses catéchèses du mercredi au cours desquelles il a enseigné les chrétiens en leur donnant à puiser aux sources de la Foi ?
Nous catholiques ne doutons pas que de hautes figures spirituelles puissent exister derrière les murs de vos communautés. Nous croyons que Dieu accompagne chaque personne qui l’invoque en Esprit et en Vérité. C’est la raison pour laquelle nous accueillons bien volontiers les phénomènes extraordinaires qui peuvent survenir dans l’Orthodoxie.
Oui, avec vous je déplore l’anthropocentrisme dans la liturgie (l’ouvrage du Cardinal Ratzinger « L’Esprit de la Liturgie » comporte de belles lignes sur ce sujet), mais la lecture du Catéchisme apporte une paix profonde. Tout y est. Y compris l’invitation à l’adoration de la Sainte Trinité si magnifiquement remise à l’honneur à l’occasion de la canonisation de la carmélite sainte Elisabeth de la Trinité, auteur de la prière bien connue : « O mon Dieu Trinité que j’adore… »
Votre référence à Saint Maxime le Confesseur me réjouit, et je note au passage que vous l’appelez le Saint Thomas d’Aquin du premier millénaire, c’est dire si j’apprécie votre ouverture à l’endroit de cet immense théologien qui fut d’abord un grand contemplatif fidèle à l’adage de son ordre (les dominicains) : contemplata aliis tradere. St Thomas d’Aquin a compilé les Catena Aurea à la demande du Pape… explicitement pour valoriser les pères grecs. (et oui !)… Il cite encore et encore le Pseudo-Ambroise qui dit : « Tout ce qui est vrai, qui que soit celui qui le dit, vient du Saint-Esprit » Patrologia Latina t. 17 col. 285, cité par saint Thomas I-II Qu.109 a.1 ; De Ver. Qu.1 a. 8 etc.
Certes, l’Eglise Catholique compte des hommes défaillants, jusque très haut dans sa hiérarchie ; l’humanité blessée par le péché, chez vous comme chez nous, a vraiment besoin du Rédempteur. Les excommunications ou anathèmes que les patriarcats orthodoxes se sont envoyées à la figure suite aux événements d’Ukraine me laissent croire que la primatie de l’évêque de Rome, Pierre, est un véritable don de Dieu à accueillir avec humilité. Car je ne vois pas où il y aurait un problème à reconnaître cette primatie mise en avant dans l’Evangile avec les mots que nous connaissons. L’humanité d’un pape, ses manquements personnels, ne peuvent altérer les promesses que le Christ a fait à son Eglise. Relisez le beau passage de notre moine bénédictin sur le charisme pétrinien.
Aujourd’hui, les jeunes catholiques sont exigeants. Les 15 milles pèlerins de moins de 30 ans qui chaque année se pressent sur les routes de Paris vers Chartres à la Pentecôte reçoivent des enseignements lumineux et enracinés dans la Tradition. Les enfants de la « Manif pour tous » en France ont été largement formés en bioéthique, à la lumière des exigences de la loi morale,… exigences évangéliques, sans oublier les milliers de participants des sessions de Paray-le-Monial où la célébration des saints mystères mais aussi l’adoration et la confession sont des pôles essentiels.
Pardon d’avoir le verbe un peu tranchant, mais l’affection mutuelle que se doivent les fils d’un même Père exige la simplicité dans les échanges.
Pour conclure, je rends hommage à la rédaction du Salon Beige qui nous permet de converser par-delà la mondanité d’un dialogue dit « œcuménique » souvent à bout de souffle. La recherche de cette unité à laquelle le Christ nous appelle « Ut unum sit – qu’ils soient uns » n’est-elle pas ainsi présentée comme un ordre ? Malheur à nous si nous ne cherchons pas à vivre dans l’unité de la Foi.
Certes, nous avons des divergences, comme vous l’avez souligné, mais nous devons être unis pour faire face à l’Islam, pour lutter contre la déformation de la personne humaine comme image de Dieu voulue par les théoriciens du genre, les avocats de l’avortement et de l’euthanasie… C’était, je pense, le sens ultime de la lettre si profonde et pleine de notre bénédictin. Vivre en Fils du Père par le Christ et dans l’Esprit-Saint.
Me confiant à votre prière, je vous assure de mon profond respect et de ma cordiale amitié dans le Christ.
Sixte Bréchignac