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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Réveiller le Seigneur qui “dort” : Exsurge, quare obdormis

Réveiller le Seigneur qui “dort” : Exsurge, quare obdormis

D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:

Dans le rite de la Messe antérieur à la réforme liturgique du Concile Vatican II, ce que l’on appelle aussi la Messe tridentine, il existe trois dimanches de préparation au temps propre du Carême : la septuagésime, la sexagésime et la quinquagésime. Je voudrais m’arrêter sur le bel introït du dimanche de la sexagésime, Exsurge, quare obdormis, Domine.
Dans son précieux Liber Sacramentorum (vol. I), le bienheureux Alfredo Ildefonso Schuster nous fait entrer dans le climat des temps héroïques de la foi. Autrefois, en ce jour liturgique, on se rendait à la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs pour célébrer cette Messe qui « est un mélange de sentiment lugubre de pénitence et d’expression de solennité grandiose ». Le même Schuster nous dit que probablement cette statio fut instituée à l’époque où les Lombards assiégeaient l’Italie, menaçant même Rome, et ce sentiment serait vraiment bien exprimé par la tristesse de cet introït dont le texte est tiré du Psaume 44 (avec quelques ajustements) :
« Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? Lève-toi, ne nous rejette pas pour toujours. Pourquoi caches-tu ton visage, oublies-tu notre misère et notre oppression ? Car nous sommes prosternés dans la poussière, notre corps est étendu à terre. Lève-toi, viens à notre aide ; sauve-nous par ta miséricorde. »
Un texte certes rempli de tristesse mais aussi d’espérance dans l’aide de Dieu et dans son intervention dans l’histoire des hommes. La belle mélodie grégorienne du premier mode (mise en valeur expressivement par une exécution musicale tenant compte de la sémiologie) revêt les paroles d’une manière admirable, au point qu’elle semble se former à partir du texte biblique lui-même, comme une conséquence naturelle de sa raison d’être. Dans la première partie de l’introït, on perçoit ce sentiment de tristesse et la mélodie nous le représente parfaitement, tout comme elle exprime, au milieu même de l’introït, l’espérance et l’ardeur de la demande de l’intervention de Dieu dans l’histoire pour nous libérer des ténèbres et du mal.
Comme ces paroles nous paraissent actuelles en un temps de confusion sociale, en un temps où la nouvelle normalité semble être l’état d’urgence, qu’il soit dû à des urgences sanitaires ou politiques. Marcello Veneziani, dans son livre de 2024 intitulé Senza eredi, citant le philosophe Giorgio Agamben, écrit :
« Le pouvoir se fonde sur l’urgence et sur la possibilité de la proclamer. Mais faut-il considérer l’urgence comme une catégorie permanente de la vie publique, sinon fixe, du moins récurrente ? L’urgence signifie la suspension de la liberté ordinaire, des droits élémentaires, à commencer par la liberté de mouvement et la vie sociale. Une dictature fondée sur des bases sanitaires et sécuritaires pourrait même se profiler à l’horizon, où la biopolitique devient biosécurité, intégrité. »
Le penseur brésilien Plinio Corrêa de Oliveira, dans un article intitulé précisément Exsurge Domine! Quare obdormis ?(Catolicismo), voyait dans ces paroles aussi un signe d’identification à la crise de foi qui a frappé l’humanité depuis quelques siècles jusqu’à aujourd’hui :
« Nous avons déjà montré comment notre époque s’insère dans le long processus historique commencé entre 1450 et 1550 avec l’Humanisme, la Renaissance et le protestantisme, accentué profondément avec l’encyclopédisme et la Révolution française, et finalement triomphant aux XIXe et XXe siècles avec la transformation des peuples chrétiens en masses mécanisées, amorphes, largement travaillées par les ferments de l’immoralité, de l’égalitarisme, de l’indifférentisme religieux ou du scepticisme total. Du libéralisme, elles sont déjà passées au socialisme et sont en train de glisser vers le communisme. La marche ascendante des faux idéaux laïques — fondamentalement panthéistes, il faut le noter — et égalitaires est le grand événement qui domine notre époque historique. Le jour où cette marche commencerait à régresser, avec un recul non pas petit et occasionnel, mais continu et fort, une autre phase de l’histoire aurait commencé. En d’autres termes, la déchristianisation est le signe sous lequel se trouvent tous les faits dominants survenus en Occident du XVe siècle à aujourd’hui. C’est ce qui unit ces cinq cents années et en fait un bloc dans le grand ensemble qu’est l’histoire. Une fois la déchristianisation arrêtée grâce à un mouvement contraire, nous serons passés d’un ensemble de siècles à un autre. »
Une analyse certes impitoyable mais véridique ; en fin de compte, cet introït est un signe de soumission à Dieu, mais dans l’espérance de son intervention.
Il arrive parfois, assurément, de se sentir seuls, effrayés, sans défense… Dieu comprend certainement notre inadéquation et a choisi de nous sauver à l’intérieur même de celle-ci, non malgré elle. Voilà pourquoi les paroles de cet introït, sa mélodie, devraient toujours résonner dans nos cœurs, non seulement pendant le temps liturgique auquel il est destiné, mais comme une prière constante au Père pour qu’il ne nous abandonne pas à l’heure de l’épreuve.

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