Les éditions Plein Vent viennent de publier une superbe biographie en bande dessinée du Cardinal de Richelieu, avec un texte très élégant, dans une langue particulièrement soignée, loin des standards de la bande dessinée. Sa vie est un véritable roman, très directement liée à l’Histoire de France. La scénariste a bien voulu accorder un petit entretien aux lecteurs du Salon Beige pour leur présenter cet ouvrage, et surtout ce personnage hors du commun qu’ils découvriront à travers ces planches magnifiquement illustrées par Andrea Mutti.
Bonjour Coline Dupuy, merci de nous présenter votre dernière œuvre. Après Cathelineau, Madame Elisabeth, Thérèse de Lisieux, Jehanne d’Arc, Clodoald, vous avez retrouvé le dessinateur Andrea Mutti, avec qui vous aviez déjà publié les biographies illustrées de Clovis et de La Pérouse, pour nous présenter un autre « monstre sacré » : le Cardinal de Richelieu ! Peut-être l’une des personnalités « politiques » les plus fascinantes de l’Histoire de France. Pourquoi ce choix ?
Richelieu est d’abord l’ancien évêque de Luçon, celui qui a restauré le diocèse, fondé un séminaire, écrit un catéchisme – l’«Instruction du chrétien» -, et fait reconstruire la cathédrale en ruines après les guerres de religion. C’est le premier évêque de France à avoir reçu et mis en œuvre les réformes du concile de Trente. En Vendée, grâce notamment à Dominique Souchet, ancien diplomate, député et maire de Luçon à qui j’ai dédié cette bande dessinée, l’image de Richelieu a été dépoussiérée par la publication de plusieurs ouvrages, dont les actes d’un colloque à Luçon en 2009. Or, la légende noire d’ Alexandre Dumas en donne une idée fausse. J’ai donc décidé de contribuer modestement à redorer son image et à le faire connaître aux jeunes générations, en tâchant de mettre en lumière l’essentiel de son œuvre spirituelle et politique. Comme à son habitude, Andrea a sublimé magnifiquement cette histoire et ce personnage.
Richelieu est-il pour vous un grand homme d’État ?
Oui, selon moi, c’est le plus grand homme d’État français. Visionnaire, il a une hauteur de vue politique et diplomatique exceptionnelle. Il sait inspirer les bonnes décisions au roi et conduire une diplomatie indépendante visant à préserver la « sûreté » de la France. Il a eu également la clairvoyance de se faire seconder par le père Joseph du Tremblay, qui croyait à la prééminence des forces spirituelles, et qui était lui aussi un personnage d’exception. Le « grand siècle » français porte bien son surnom, non seulement par ses grands saints, ses grands caractères, mais aussi par ses grands penseurs. Je vous renvoie ici au testament politique de Richelieu. Le siècle de Louis XIII et de Louis XIV est un aboutissement, le sommet de la civilisation française. Après ses belles fleurs du Moyen-Âge, il fait mûrir ses plus beaux fruits par le raffinement des esprits et de la langue, celle de l’Académie française fondée par Richelieu en 1635.
Vous n’idéalisez aucunement les protagonistes de cette période difficile de l’Histoire de France, où le royaume est tiraillé entre les guerres de religion et les intrigues de cour qui menacent chaque jour le difficile équilibre du pays…
C’est vrai, j’ai essayé de respecter autant que possible la vérité historique, quitte à forcer un peu le trait d’un personnage comme Marie de Médicis, afin de bien l’identifier. Je ne masque pas l’ambition, le caractère autoritaire et les fragilités de Richelieu. Je n’ai pu esquiver non plus les complots où trempait Gaston d’Orléans, ennemi juré du cardinal.
Pouvez-vous nous résumer les grandes lignes de l’œuvre de Richelieu ?
Même si la notion de « Fille aînée de l’Église » n’existait pas encore, Richelieu a estimé que la France devait conserver son rang pour le bien de l’Europe et de la papauté, en brisant à l’intérieur la « République » protestante et en affaiblissant à l’extérieur l’Empire catholique des Habsbourg. Le pape Urbain VIII approuvait sa politique en Italie, mais le ministre de Louis XIII fut incompris du parti des dévots en France, notamment du cardinal de Bérulle dont la mission était différente. Richelieu visait l’unité nationale plutôt que la conversion immédiate des protestants ; l’entente entre la France et le Vatican plutôt que l’extension de la domination catholique espagnole et autrichienne. Enfin, il a consolidé le pouvoir royal en forçant la haute noblesse à s’assagir et à contribuer à la défense du royaume, que Richelieu assimile à la « patrie » dans ses écrits. Mais « l’homme rouge » ne serait rien sans Louis XIII et réciproquement. Ils formeront pendant de nombreuses années un tandem efficace, le roi et son ministre se complétant et s’édifiant l’un l’autre pour le bien de la France.
A une époque comme la nôtre, où la laïcité est devenue un véritable dogme républicain, comment ce prince de l’Église devenu premier ministre du Roi peut-il demeurer un exemple pour notre présent et notre avenir ?
Le cardinal de Richelieu a suivi la raison comme ligne de conduite de l’État. Contrairement à ce que l’on croit, il s’agit davantage de la raison éclairée par la foi que de la raison d’État, dont Richelieu parle très peu, ce que m’a bien expliqué l’historien Philippe Pichot-Bravard. Sans l’appui de la raison et de la foi, l’intelligence s’obscurcit. Notre époque ayant rejeté la foi, elle finit par perdre la raison, et même la raison d’État… Richelieu a eu le grand mérite, entre autres, d’avoir encouragé Louis XIII à consacrer sa personne et son royaume à la Sainte Vierge Marie , et de l’avoir ainsi sauvé en lui redonnant sa boussole.
Merci Coline. Et les lecteurs du Salon Beige pourront retrouver le Richelieu de Coline Dupuy ici.