Partager cet article

Culture

Saint Thomas d’Aquin face à Sartre et Camus

Saint Thomas d’Aquin face à Sartre et Camus

Le Père Luc Artur, moine bénédictin de l’abbaye du Barroux, a publié un ouvrage intitulé Le mystère ou l’absurde ? Saint Thomas d’Aquin, Sartre et quelques autres

En librairie depuis le samedi 27 janvier 2024, la 1e édition était épuisée le 10 février 2024. La 2e édition (revue et augmentée) est disponible depuis le 14 février 2024.

Nous avons interrogé l’auteur :

D’où vient cet ouvrage ?

Je suis un fils des années 68, car je suis né en 1964. En ces années 68 et jusqu’à nos jours, la pensée de Sartre et de Camus a imprégné la culture française, de multiples façons. Je suis aussi moine bénédictin et professeur de philosophie à l’abbaye du Barroux, appelé à enseigner selon la doctrine de saint Thomas d’Aquin.

Mais saint Thomas n’est pas une pièce de musée. Pour une personne normalement constituée, lire saint Thomas à l’époque de Sartre, de Camus et de Cioran conduit à se poser pas mal de questions. L’une des plus fondamentales est celle de l’absurde. Le monde est-il absurde ou mystérieux ? Pour répondre, il faut savoir ce que c’est que le mystère et l’absurde.

Or, bien peu de personnes donnent une définition précise du mystère. Saint Thomas d’Aquin lui-même ne définit pas vraiment le mystère, et semble ne parler du mystère qu’en théologie, non en philosophie. Plus radicalement, la notion de mystère, spontanément, semble échapper à toute définition, puisqu’elle évoque précisément quelques chose qui nous échappe.

Il y a là un défi à relever : si vous dites que le monde n’est pas absurde mais mystérieux, il faut définir ce que vous dites ! C’est à cette tâche que je me suis attelé. Il m’a fallu rassembler, chez saint Thomas, tout ce qui pourrait permettre de constituer une doctrine philosophique du mystère et tout ce que saint Thomas pouvait dire sur l’absurde. Ce fut un travail assez long et difficile, en raison de l’immensité de l’œuvre de saint Thomas.

Au début, j’ai cru que je trouverais, d’un côté, les penseurs du mystère et, de l’autre, les penseurs de l’absurde. Mais je me suis aperçu, dans beaucoup de textes moins connus du grand public, que les penseurs de l’absurde avaient aussi une pensée du mystère. D’où un renversement de perspective : Sartre, Camus et Cioran qui parlent du mystère seraient-ils plus proches de saint Thomas qu’il n’y paraît ? Je m’efforce de répondre à cette question, en lisant ces auteurs avec la bienveillance qui revient à tout homme, et en y joignant le souci de ne pas déformer leurs affirmations.

Enfin, Gabriel Marcel s’est voulu le philosophe du mystère. Parfois, il est considéré un peu comme une alternative, au xxe siècle, à la pensée médiévale, avec laquelle cet auteur semblait en difficulté (surtout au début de sa carrière). Plus généralement, certains ont parfois du mal à lire des livres du Moyen-Âge comme ceux de Thomas d’Aquin, qui paraissent très marqués par la raison, au point de sembler hostiles au mystère. Je m’efforce de montrer que c’est là une erreur. Mes lecteurs pourront découvrir un Thomas d’Aquin ami du mystère (même en philosophie), qui n’ignore pas les objections de l’absurde (et, de ce point de vue, il peut paraître, de nouveau, plus proche de Sartre, de Camus et de Cioran qu’on ne se l’imagine — et que Cioran ne l’écrit en toutes lettres —, malgré la distance considérable qui sépare les doctrines du saint et celles de ces penseurs).

Mon ouvrage est d’actualité parce que nous fêtons un triple anniversaire du « Docteur Commun », Thomas d’Aquin : 700 ans de sa canonisation en 1323, 750 ans de sa mort en 1274, 800 ans de sa naissance en 1225.

Plus immédiatement, ce livre est le fruit d’un mastère, accompli à la demande du supérieur de ma communauté monastique, et obtenu à l’Institut Catholique de Toulouse (2021). Dans le cadre de ce mastère, il me fallait rédiger un mémoire. Or, étant donné que j’enseigne la philosophie dans mon abbaye, depuis longtemps j’avais écrit un exposé sur le mystère, afin de montrer plus en détail à mes élèves, au terme de leur parcours, ce que je leur disais tout au long de leurs études, que la philosophie n’est pas un système rationaliste. Dans mon mémoire de mastère, j’ai d’abord pensé reprendre simplement cet exposé, en l’étoffant quelque peu. Mais je me suis bien vite rendu compte qu’il fallait que je révise à fond tout ce que j’avais écrit sur le sujet (enquête historique et réflexions). Mes lecteurs bénéficieront de ces investigations et des multiples découvertes que j’ai faites.

Ceux que l’on appelle les philosophes de l’absurde le sont-ils parce qu’ils ont été rebutés par les mystères chrétiens, notamment le mystère du mal ?

Oui, le mystère du mal est au coeur des réflexions des « philosophes de l’absurde ». Précisément, j’étudie le mystère du mal, dans un paragraphe de mon livre.

Mais, en gros, je dirais que les philosophes de l’absurde sont plutôt rebutés par les mystères divins que par les mystères chrétiens. Le Christ les attire parfois (c’est le cas pour Camus). Dieu leur fait peur. Les penseurs de l’absurde sont, à juste titre, des promoteurs de la raison humaine. Mais certains voient une rivalité entre la raison humaine et Dieu. Ils pensent que la reconnaissance d’un Dieu n’est pas compatible avec ce que, croient-ils, cette raison découvre d’absurde dans le monde, avec ce que cette raison dicte pour la liberté humaine.

Face à ces impressionnantes objections, mon livre prend position. Il s’efforce de situer la place qui peut revenir à l’absurde, au mystère et à Dieu, pour la simple réflexion humaine, même sans la foi chrétienne. Notamment, il examine en détail les arguments avancés par Jean-Paul Sartre contre l’existence de Dieu. Il situe la place de la science, de notre ignorance, de l’humilité ou de la magnanimité qui nous reviennent, au milieu des ténèbres de cette vie. S’ouvre alors, pour la magnanimité de l’intelligence, jointe à l’humilité, ce que je me suis permis d’appeler l’« aventure du mystère » (je ne vous en dis pas plus, mes lecteurs découvriront).

A quel public est destiné ce livre ? Faut-il, par exemple, avoir une solide culture philosophique ?

Pour répondre à votre question, je ne peux mieux faire que de citer une personne qui avait un a priori plutôt défavorable, car elle redoutait la philosophie et ses complications. Or, voici sa réaction :

« superbe cadeau (…). J’en reste “baba”. (…) à ma grande surprise (car je ne suis pas du tout compétente en la matière) la lecture de ces pages se fait pour moi assez aisément grâce au style alerte et vivant. Ce n’est pas du tout ennuyeux ! et j’ai même du mal à m’en décrocher. Donc, bravissimo et chapeau bas. Espérons aussi que ces pages, aussi objectives que possible, atteindront certains qui sont braqués sur le sujet. »

Des lecteurs plus instruits de philosophie portent les jugements suivants :

« C’est évident que vous maîtrisez votre sujet. » « Votre mémoire sur le mystère m’a absolument passionné. Cela fait du bien de lire de tels travaux. »

Je soumets les pages que j’ai écrites à l’attention du lecteur bienveillant, et je lui demande de m’aider à les améliorer (nul n’est une île et nous avons besoin les uns des autres).

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services