Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
Il y a les sentences évangéliques du Christ. Il y a les fameux apophtegmes des Pères du désert, les lumineuses pensées de Pascal, les narrations enchanteresses des spectacles du Puy du Fou. Il y a encore les envolées lyriques de Cyrano, les formules mordantes de Bernanos, les prophéties de Soljenitsyne. Et puis, il y a Antoine de Saint-Exupéry. Le pilote écrivain, dans la pleine maturité de sa réflexion, confiaitdans Citadelle : « Je ne connais rien au monde qui ne soit d’abord cérémonial. Car tu n’as rien à attendre d’une cathédrale sans architecture, d’une année sans fêtes, d’un visage sans proportions, d’une armée sans règlements, ni d’une patrie sans coutumes. »
« Je ne connais rien au monde qui ne soit d’abord cérémonial. » Oui, le cérémonial signifie : il inspire une conduite et, mieux encore, guide les âmes. Pour l’auteur du Petit Prince, un monde sans cérémonial, comme une patrie sans coutumes, court à sa perte. Notre univers postmoderne, plus que jamais, a besoin de rituels qui sont autant de phares dans la nuit, de tremplins vers le ciel et d’assises protégeant la vitalité des racines. Héritées de la sagesse des hommes et de pratiques cultuelles venues du fond des âges, nos manières de célébrer la vie, la mort et les mystères de notre destinée disent l’épaisseur de notre culture, la profondeur de nos consciences. Lâchers de ballon ou requiem de Mozart ? Twerk lors des meetings d’EELV ou rigodon, gavotte, farandole et laridé de nos régions ? Culture du débraillé dans l’hémicycle ou maintien royal à la Kate Middleton ? Dis-moi ce que tu célèbres et comment tu le célèbres et je te dirai qui tu es !
« Peut-on prétendre à la fois défendre la “France éternelle” et vivre raisonnablement le réveillon de Noël sans honorer Jésus ? »
La crise identitaire qui traverse notre pays ne saurait se cantonner à de simples considérations esthétiques. L’affaire n’est pas cosmétique, elle est spirituelle. Les lancinantesquerelles autour des célébrations de Noël, qui chaque année reviennent, témoignent d’un mal-être civilisationnel installé. Crèche dans les mairies ? Sapin artificiel ? Nativité rebaptisée en “fête de la créativité” ? Toutes ces questions n’ont rien d’anecdotique. Renan avait déjà fustigé l’impasse intellectuelle et morale du citoyen idéal, sans attache et sans lien, « naissant enfant trouvé et mourant célibataire ». Nous y sommes.
« Sauver l’esprit chrétien » titrait Valeurs Actuelles en couverture cette semaine. « Sauver » ? Vraiment ? Les mots ayant un sens, sauver une personne, une cause, une œuvre ne saurait se réaliser dans la demi-mesure. « Sauver » engage tout l’être. Ce peut être même l’ambition de toute une vie. Sauver son pays du péril, sa famille du danger, le graal de l’oubli, son âme des ténèbres éternelles. Chaque petit chrétien est censé l’apprendre dès son plus jeune âge au catéchisme : son baptême l’engage à suivre l’enseignement de Jésus et à imiter ses vertus pour… sauver sa vie. « Si tu veux obtenir la vie éternelle, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi » (Mt 19, 21). Parce que notre façon de fêter Noël dit un peu ce que nous sommes, pouvons-nous prétendre à la fois désirer « sauver la France éternelle » et vivre raisonnablement le réveillon de Noël sans honorer Jésus ? La devise des sapeurs-pompiers de Paris, « Sauver ou périr », exprime bien l’enjeu. Il n’y a pas de voie médiane, de terrain neutre, de porte de sortie à la dérobée. « Sauver l’esprit chrétien » tient de la même alternative que celle des soldats du feu. On ne peut défendre le socle civilisationnel de l’Occident des « flammes » du wokisme ou de l’islamisme, proclamer les racines chrétiennes de la France « fille aînée de l’Eglise » eten rester aux simples phrases pour mener un tel combat. « Sauver ou périr », sauver l’esprit chrétien en mettant sa peau au bout de ses idéaux ou périr dans la médiocrité, déserteur de sa propre âme. « Les modérés survivront, seuls les passionnés auront vécu » écrivait Rivarol. Clovis s’est plongé dans l’eau à Reims non pas pour « donner l’illusion », mais pour se transformer. A l’invitation de son épouse Clotilde, il reçut le baptême des mains de l’évêque saint Rémi qui lui adressa une monition d’importance : « Courbe la tête fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré ».
Sauver l’esprit de Noël, et l’esprit chrétien en général, consiste ainsi non seulement à mettre en valeur le message de l’Evangile et de l’Eglise, mais aussi à pointer du doigt tout ce qui contrarie la bonne nouvelle du Seigneur : s’agenouiller, oui, mais pas uniquement. Il faut encore « brûler les idoles ».
Remettre le clocher au milieu du village
« Sauver l’esprit de Noël » commencera donc par remettre le Christ au centre de cet évènement. Une recommandation qui pourrait paraître naïve si elle n’était pas déjà transgressive dans un quotidien occidental transi de timidité religieuse. Le maire d’Asnières-sur-Seine par exemple, Manuel Aeschlimann, ne se trompe pas lorsque dans ses vœux à ses administrés, il constate : « La société de consommation a fait de Noël une fête commerciale. Tant mieux si ce moment departage est aussi une occasion d’échange et de gastronomie. Mais n’oublions jamais qu’avant tout, Noël est une fête qui vient célébrer la naissance de Jésus-Christ. Dans le monde actuel, en manque de repères sérieux et intangibles, il est parfois utile de rappeler que certaines choses ont un sens. »
« Sauver l’esprit de Noël », c’est encore accepter de renouer avec l’esprit d’enfance de ses contes, de ses scintillements et de ses joies simples. Philippe de Villiers, en conteur hors-pair, s’est laissé aller, dans son émission sur CNews, à imaginerune histoire de Noël, plaçant dans l’étable de Bethléem une foule d’adorateurs du Divin Enfant. « Tandis que la musique Douce nuit monte dans l’obscurité, derrière les bergers qui déposent leurs cadeaux sur le lit de paille, arrivent les Rois Mages. Après les mages de l’Orient, arrive depuis la pointe de l’Occident le marchand de quenouille du vieux pays profond qui dépose ses poupées de lin pour envelopper l’enfant qui grelotte. » Et le créateur du Puy du Fou de poursuivre son récit en évoquant le haut lignage qui donne de savoir d’où l’on vient : Blandine, la martyre aux tresses d’or, Martin de Tours avec sa chlamyde de miséricorde, un anonyme – c’est l’architecte de Notre-Dame – offrant au petit Jésus une rosace et les plans d’un vaisseau renversé, saint Louis, le roi croisé aux pieds nus, Michel-Ange déposant en cadeau sa pieta, Pascal ses écrits, Bach son orgue et Verlaine sa romance d’amour, son Noël. Jusqu’à Brassens l’inclassable, mettant en musique les vers de Francis Jammes.
Le regard lucide de Philippe de Villiers ne trompe pas : tant qu’il y aura des personnes pour s’agenouiller dans la crèche, prier le petit Jésus et puiser dans la mangeoire des forces pour mener un combat à la fois spirituel et culturel, les principes qui ont fondé le doux royaume de France continueront à faire germer les croix et les lys. Tant qu’il se trouvera des mères de famille pour lire des contes de Noël à leurs petits auprès de la cheminée, la petite flamme espérance continuera d’alimenter nos permanences.
Les conditions de notre continuité
Depuis la grotte de Bethléem, nous distinguons mieux que jamais l’inattendue pédagogie de Dieu : un Dieu enfant confondant les superbes et les puissants par la médiation des petits et des sans grades. Le roi Hérode déconfit par des bergers comme Goliath l’avait été par les trois petits caillouxdu jeune David. Les hordes mongoles d’Attila repoussées de Paris par les prières de la frêle Geneviève. Les Anglais renvoyés sur leur île par une jeune pucelle en armure.
« Sauver l’esprit chrétien » ne peut se limiter à constater la soif de Dieu chez nos contemporains ». Il faut encore s’engager à offrir à boire le meilleur des élixirs : le décalogue, les béatitudes, les vertus chrétiennes, les liturgies dignes et verticales…
En assistant à la messe de Noël, nous ne réalisons pas simplement une œuvre de piété, nous œuvrons aux conditions mêmes de notre continuité. Nos permanences ont fait leur lit dans la paille de Bethléem. Pourrait-on les préserver en désertant l’étable ? Sauver l’esprit chrétien et sauver Noël invitent en somme à se poser la seule question qui vaille : suis-je désireux de sauver mon âme en allant résolument à la rencontre du Christ ?