De Thibaud Collin dans L’Appel de Chartres :
On oppose souvent repli et ouverture. Dans le cas de l’Eglise, soit ouverture au monde soit repli identitaire. Or la critique de l’ouverture ne vaut pas automatiquement approbation du repli et vice-versa. De même qu’il y a une bonne et une mauvaise ouverture, il y a un bon et un mauvais repli. Toute la difficulté est de tenir cette tension entre deux pôles, à savoir articuler une (bonne) ouverture et un (bon) repli. Loin d’y voir deux attitudes contradictoires, il s’agit de les saisir comme les deux moments d’une pulsation, celle-là même de la vie. L’ouverture, en l’occurrence au monde, a souvent été l’occasion d’une altération voire d’une dilution de la foi catholique. Au nom d’un légitime souci de crédibilité, certains ont intégré les critères de jugement du monde et ont réduit la foi à ce que le monde peut en accepter : de vagues valeurs évangéliques confirmant les valeurs modernes. Or le monde moderne n’est pas neutre par rapport à la foi. La modernité est ce mouvement de l’esprit né dans l’Europe de chrétienté et par lequel il s’en émancipe. Si la modernité est postchrétienne, la foi ne lui apparaît plus logiquement comme une Bonne Nouvelle mais comme le rabâchage d’un discours obsolète et aliénant. Si l’ouverture au monde signifie l’intériorisation de ce critère d’émancipation d’un esprit qui refuse de dépendre de Dieu et de recevoir de l’Eglise la vérité sur sa destinée et son salut, alors l’ouverture est logiquement auto-dissolution de la foi. Les partisans d’une ouverture au monde ne sont pas toujours assez sensibles à cette logique. On le constate encore aujourd’hui quand certaines recommandations du rapport de la CIASE sont reçues sans discernement comme des réformes ecclésiologiques nécessaires pour retrouver de la crédibilité sociale. Est-ce, par exemple, au droit commun de mesurer ce que sont le sacerdoce ou le sacrement de la pénitence ?
Mais le repli devient critiquable lorsqu’il est considéré comme une fin en soi. Le but de la contre-culture est de féconder la culture. Le but de la formation chrétienne est d’annoncer l’Evangile à tous, spécialement à ceux qui sont les plus éloignés idéologiquement et religieusement de la foi. Le but du bon repli est donc la bonne ouverture ; et l’ouverture ne peut être bonne que si elle jaillit d’un repli non pas sur soi mais sur la Source divine et ses médiations. L’oasis n’a de valeur vivifiante que pour celui qui traverse le désert vers ses périphéries. Mais l’oasis n’existe que parce qu’il est le lieu d’un puit rendant possible la vie au cœur d’un monde invivable.
La polarité ouverture/ repli n’est donc féconde que si elle est portée vers un au-delà : lorsque l’oasis aura de proche en proche redonné vie aux terres mortes. Tel est le Royaume de Dieu auquel tous sont appelés et dont la chrétienté n’est que le signe, réel et imparfait.