D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Le 25 janvier 1959, le pape Jean XXIII prononça ces paroles :
« Vénérables Frères et Très Chers Fils ! Nous proclamons devant vous, certes en tremblant un peu d’émotion, mais en même temps avec une humble résolution, le nom et le projet de la double célébration : d’un Synode diocésain pour la Ville de Rome, et d’un Concile œcuménique pour l’Église universelle. »
C’était l’annonce de ce qui deviendra le Concile Vatican II. Ce jour-là, on fêtait la conversion de saint Paul, et le Pape avait demandé au maître de chapelle, Domenico Bartolucci, un motet au ton pénitentiel. Le Maître lui-même s’en souvient dans une interview accordée à Paolo Mattei en 2010 :
« Mgr Capovilla me transmettait les désirs du pape Roncalli, et je composais des messes, des offertoire et des motets pour les liturgies qu’il présidait. J’écrivais en continu, même pour des occasions particulières : je me souviens du Tu es Petrus pour le couronnement du pape Jean, de l’Attende Domine, lorsque, en 1959, le même Pontife annonça la convocation du Concile, et de la Missa pro defunctis pour les funérailles tant de Pie XII que de Jean XXIII. »
C’est ainsi qu’à cette occasion, le Maître composa Attende Domine, pour soprano soliste et chœur à cinq voix a cappella. L’un des plus beaux motets du célèbre compositeur, basé sur la mélodie du chant grégorien. Le chant Attende Domine est l’un des plus populaires du répertoire grégorien, aussi grâce aux nombreuses versions en langues vernaculaires apparues ces dernières décennies. Son origine semble remonter au Xe siècle, dans le répertoire mozarabe de la péninsule ibérique, même si sa forme actuelle pourrait avoir été fixée au XIXe siècle en France. Le chant exprime la reconnaissance de notre état de pécheurs mais aussi la grande miséricorde de Dieu. Dans une traduction non littérale mais fidèle, on lit :
« Vers toi, Seigneur, qui nous as rachetés,nous élevons nos yeux en pleurant ;écoute, ô Christ, notre humble plainte.Fils de Dieu, chef de l’Église,tu es le chemin, tu es la porte du ciel ;avec ton sang, purifie nos cœurs.Tu es grandeur, amour absolu ;nous sommes poussière que tu as façonnée :recrée en nous ton image.Nous confessons notre infidélité,mais notre cœur s’ouvre sincèrement à toi ;toi, Rédempteur, regarde-le et pardonne.Tu t’es revêtu de notre péché,tu t’es offert comme Agneau pur :tu nous as rachetés, ne nous abandonne pas, ô Christ. »
Le texte exprime clairement la filiation de la créature envers le Créateur, la reconnaissance d’une dépendance absolue pour le salut. Le motet de Domenico Bartolucci est un chef-d’œuvre absolu. Il parvient à utiliser le thème grégorien et à le recréer en polyphonie, avec l’usage d’un soprano soliste (qui était un enfant de la Chapelle Sixtine, non une femme) qui, notamment dans la dernière reprise du refrain, confère à l’œuvre une saveur de poésie liturgique inégalable. Cela nous rappelle le grand enseignement de saint Pie X dans son motu proprio de 1903 :
« Le chant grégorien a toujours été considéré comme le modèle suprême de la musique sacrée, et l’on peut établir la règle générale suivante : plus une composition pour l’église s’approche, dans son mouvement, son inspiration et sa saveur, du chant grégorien, plus elle est sacrée et liturgique ; plus elle s’en éloigne, moins elle est digne du temple. Il faut donc largement rétablir l’ancien chant grégorien traditionnel dans les fonctions du culte, avec la conviction ferme que la solennité d’une cérémonie ecclésiastique n’en pâtit en rien lorsqu’elle n’est accompagnée que de ce seul chant. Il faut notamment s’employer à rendre au peuple l’usage du chant grégorien, afin que les fidèles prennent à nouveau une part plus active à l’office ecclésiastique, comme il était d’usage dans l’antiquité. »
Dans cet usage du chant grégorien, le Maître Bartolucci fut insurpassable, dans la lignée des grands maîtres de la Renaissance. Une véritable recréation des mélodies, qui demeurent les mêmes mais deviennent de monodiques, polyphoniques. Le chant dont nous avons parlé est une magnifique méditation sur la relation entre la créature et Dieu, à une époque où l’homme ose parfois s’élever jusqu’à la hauteur de son Créateur et, comme Icare, tombe inévitablement.