De Louis Jamin dans l’Homme Nouveau :
[…] Le Kosovo est ainsi le territoire européen qui a fourni le plus de combattants étrangers à Daech, proportionnellement à sa superficie. Ils sont au moins 300 à avoir combattu en Irak ou en Syrie… et à revenir au Kosovo peu à peu, le cerveau rempli d’images atroces et le cœur plein de haine. « Fitim Lladrovci avait 24 ans quand il a vu un Syrien exécuté à la grenade », écrit ainsi le Timesdans un article du 5 octobre 2018 intitulé « De retour au Kosovo et prêt à mourir pour le califat ». « Le califat arrive », c’est d’ailleurs ce que les moines du monastère de Visoki Decani ont découvert un matin d’octobre 2014, tagué en anglais et en arabe sur une des portes de leur monastère. En janvier 2016, les troupes de l’Otan qui continuent de le protéger ont arrêté quatre hommes armés de ka- lachnikovs qui tentaient de s’introduire en pleine nuit dans le monastère.
Début octobre 2018, quatre Albanais du Kosovo ont été mis en examen à Pristina : ils sont accusés d’avoir préparé des attentats islamistes en France et en Belgique, mais aussi au Kosovo, contre une église serbe orthodoxe de Mitrovica, ville majoritairement serbe du nord du Kosovo, et contre des cafés de l’enclave serbe de Gracanica, au sud de Pristina.
La menace islamiste, dans sa version la plus radicale, n’est donc pas négligeable dans les enclaves chrétiennes du Kosovo. Mais ce n’est pas forcément ce qui inquiète le plus les Serbes du Kosovo. Depuis plusieurs mois en effet, Belgrade et Pristina négocient un échange de territoires : une petite partie au nord du Kosovo, encore majoritairement serbe, serait rattachée à la Serbie pendant qu’une partie du sud de la Serbie serait, elle, rattachée au Kosovo. « Ce serait une catastrophe », affirme le Père Sava Janjic, supérieur du monastère de Visoki Decani, qui milite activement pour la cohabitation pacifique entre les communautés depuis avant le conflit de 1999. « Cela signifierait que les Serbes n’auraient plus la moindre place dans toute la partie sud du Kosovo, qui est celle où nous avons le plus de lieux saints, celle où se trouvent nos racines spirituelles. »
« Si cet échange se fait, il ne fait aucun doute que la majorité des Serbes vivant au sud quitteraient le Kosovo en quelques jours. Et ceux qui resteraient seraient dans une situation dramatique », prévient Strahinja, habitant de l’enclave serbe de Gracanica, très impliqué auprès de l’Église orthodoxe dans l’aide aux enclaves. « Aujourd’hui, il est très difficile pour tous les Serbes du Kosovo de regarder l’avenir autrement qu’avec angoisse. » Un moine du monastère de Draganac, à l’est du Kosovo, confirme : « Nous savons que l’avenir sera sombre, surtout pour les fidèles autour de nous, qui risquent de tout perdre en quelques jours. »Ces négociations ont déjà rendu la situation encore plus difficile : depuis début 2018, les atteintes aux biens et aux personnes se multiplient dans les enclaves, comme si les plus acharnés des partisans d’un Kosovo ethniquement pur espéraient ainsi affaiblir la résistance des Serbes et les pousser à accepter enfin cet échange qu’ils refusent en bloc.
À l’heure où tous les regards sont tournés vers le martyre des chrétiens d’Orient, les chrétiens du Kosovo, eux, reconnaissent parfois se sentir abandonnés. […]