Soucieuse d'offrir aux jeunes de notre société un regard nouveau sur la sexualité, Anne-Sixtine Pérardel – conseillère en vie affective et sexuelle – vient de publier Révolutionner sa vie affective – 10 exercices pour réussir. (vendu à plus de 2000 exemplaires en 3 mois et en cours de traduction). Revenir sur une idée fondamentale : apprendre à s'aimer, se connaître avant d'aimer et de construire sa vie en posant des choix qui correspondent à ce que nous sommes. Pas si simple dans une modernité destructrice de ce qu'est l'homme profondément et de son rapport aux autres; la fameuse «révolution sexuelle» ayant ravagé le regard que l'on peut porter sur soi et autrui. Entretien avec l'auteur :
Les ados semblent décomplexés sur la sexualité. Le sont-ils vraiment ?
A peine pubères, ils se lancent dans des relations amoureuses ou une sexualité précoce. Ils regardent des « sexe-tape » (vidéos à caractère sexuel), s’envoient des « nudes » (photos dénudées ou suggestives envoyés par snapchat ou Instagram)… Cette mode de l’épilation intégrale, ce souci de performance, ce questionnement sur le nombre d’orgasmes sont directement issus de la culture porno. 43% des jeunes disent eux-mêmes que ces images influencent leur sexualité. Pourtant, c’est une apparence qu’ils cherchent à se donner. Ils voudraient montrer qu’ils sont des pros de la sexualité, mais ils se posent d’autres questions.
Quelles sont les questions que les adolescents se posent ?
Évidemment, il y a toujours des questions anonymes et crues qui tournent autour des « plans à trois », de la « fellation » … Mais en fait ils cherchent des repères et des réponses à leurs angoisses. Dès la classe de 6e, il y a systématiquement des questions sur l’orientation sexuelle, qui n’existaient pas il y a dix ans : « Qu’est-ce que ça veut dire si je suis attiré par une personne de mon sexe, comment je sais si je suis vraiment homo… » Leurs interrogations tournent surtout autour de sujets plus larges que ceux qui concernent directement le sexe. Filles ou garçons, ils se demandent ce qui est important pour réussir leur vie amoureuse, comment faire pour être heureux, comment on sait que c’est le bon… A moi ensuite de leur donner des clefs pour qu’ils puissent discerner. Pour le porno, je leur demande par exemple : « Est-ce que cela vous aide à vous construire ou à vous affirmer, est-ce que cela peut aider un couple à durer ? » La réponse est assez vite vue…
Vous parlez à l’intelligence pour aborder le cœur ?
Je parle à l’intelligence et au cœur en même temps, car tout est lié. On n’est pas fractionné entre raison, volonté, cœur et corps. Je remarque justement que les jeunes fragmentent, c’est une tendance de fond. Ils sont attirés par quelqu’un, ils y vont. La difficulté est d’accueillir le sentiment amoureux, puis de réfléchir sur la manière d’y faire face, ce qui n’est pas toujours simple. Ils ne réalisent pas toujours que la sexualité est d’abord un don réciproque dont le fruit est le plaisir.
Que peuvent faire les parents ?
On me pose régulièrement cette question de manière angoissée : « Est ce qu’il est trop tard pour leur parler de sexualité » ? Rien n’est trop tard, mais si l’habitude d’exprimer ses émotions n’a pas été apprise à la maison, cela peut s’avérer compliqué. Beaucoup de parents sont incapables de parler de sexualité directement. A défaut, ils peuvent créer un climat d’accueil d’écoute, de discussion, de bienveillance. Ils peuvent s’intéresser à ce qui intéresse leur enfant, pas seulement les notes, mais lui proposer de l’aide, l’interroger sur ses projets… On n’a pas besoin de se limiter au sexe pour parler sexualité. Ils peuvent aussi être un modèle pour les enfants ; les jeunes sont très sensibles à la cohérence entre les actes et le discours. En même temps, que les parents se rassurent, c’est à l’adolescence que les enfants doivent s’affranchir de leurs parents, penser par eux-mêmes.
Pourquoi les jeunes se fragmentent-ils ?
Le dualisme entre l’âme et le corps ne date pas d’aujourd’hui… et la mise en avant de l’intelligence, à côté du dénigrement du corps, est toujours de mise. La société ne supporte pas le corps limité, imparfait, elle veut le changer dans un objectif intellectuel ou physique. Seul le christianisme, pour qui même le corps faible a de la valeur, prend le corps tel qu’il est.
Comment l’unifier ?
Les parents peuvent déjà être authentiques : penser, dire et agir de manière cohérente et unifiée. Ils peuvent aussi éduquer leur enfant à s’unifier, en accordant de l’importance à chaque partie de leur vie, sans en privilégier une. Concrètement, ils peuvent lui apprendre à reconnaître une émotion (lui apprendre à dire « je me sens épuisé/motivé».), former son intelligence (via des discussions, des livres…), l’aider à vivre sa foi (prier, aller à la messe…) ou prendre soin de son corps. Je constate un grand manque de vocabulaire concernant l’expression des émotions : aux parents de le transmettre !
Le message de l’Église est-il recevable sur la sexualité ?
Le message de l’Église est non seulement recevable, mais le monde n’attend que ça ! Regardez le succès du chapitre 7 d’Amoris Laetitia, des Forum Wahou, de la formation sur la grammaire de la vie…. L’Église prend en compte la personne dans son intégralité et refuse de la couper en morceaux. L’apprentissage de l’amour commence souvent par de petites actions vertueuses au quotidien. Arrêter la « culture du provisoire » peut commencer en instaurant par exemple un rapport vertueux avec les réseaux sociaux (cesser de guetter les « like » et de se prendre en selfie tout le temps).
Néanmoins, il faut arrêter d’arriver avec de gros principes, ou de mettre Dieu à toutes les phrases dans l’éducation affective et sexuelle. C’est bien, mais beaucoup ne peuvent pas l’entendre. Il faut savoir y aller étape par étape quand c’est nécessaire. Quand on parle d’amour, évidemment qu’on parle de Dieu. Quand je parle de l’anthropologie réaliste, de la réalité de la création, du bonheur, du pardon, mon discours est profondément chrétien. Je veux mener les jeunes vers Dieu, qu’ils découvrent Dieu un jour et qu’ils soient saints, mais il ne suffit pas de le dire. Il faut montrer le chemin pour y arriver. Ils ne peuvent éluder la question : « Que veux-tu vraiment ? », ni le défi de s’accueillir tels qu’ils sont avec leurs défauts, même physiques. « Aimer son prochain comme soi-même » c’est d’abord s’aimer soi, pour ensuite être capable d’aimer vraiment son prochain. C’est le Christ qui le dit !