Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur l’utilisation à outrance du terme “intégriste” pour dénigrer :
Trois jours à peine après les attentats de Charlie Hebdo, dans son intervention hebdomadaire d’alors sur Salut les terriens, Gaspard Proust devait tenir son rôle et assumer sa chronique d’humoriste. Faire rire et amuser la galerie. Distraire le parterre d’invités et le public présent. Quand toutes les salles de rédaction étaient encore abasourdies de ce qui s’était passé dans celle de Charlie Hebdo, il fallut tout son génie, et son sens affuté de la formule, pour réussir à dépasser par le haut le carnage des frères Kouachi. Entre autres choses, l’humoriste fit remarquer, non sans ironie, qu’« un chrétien intégriste qui applique le Nouveau Testament à la lettre, c’est un mec qui se met à embrasser tout le monde dans la rue ».
L’intégrisme, suivant les religions, n’avait donc pas les mêmes résonnances. Ni les mêmes implications. En une phrase, Gaspard Proust soulignait la différence de nature qui peut exister entre un christianisme ébahi et un islam conquérant. Cinq ans plus tard, pour s’en convaincre, il suffit, si besoin était, de regarder les chiffres de plus près. Ces derniers ne mentent pas. Surtout, ils permettent – à qui acceptent de les interpréter de bonne foi – d’en retirer des conclusions percutantes. Souvent même plus rapidement que n’y arrivent de besogneux raisonnements théologiques. Ainsi, depuis 7 ans, il est établi que 18 attaques islamistes aux issues mortelles ont été perpétrées sur le sol français. De la folie meurtrière de Mohammed Merah dans les rues de Toulouse et de Montauban jusqu’aux quatre agents assassinés au cœur de la préfecture de Police de Paris par Mickaël Harpon, 263 victimes sont tombées sous les balles ou les coups de couteaux de l’islam radical.
Dans un éditorial enlevé, Alexis Brézet diagnostiquait récemment, et avec précision, les dessous du fiasco de l’attentat à la préfecture de Paris. Pour le directeur des rédactions du Figaro « si nous n’avons rien vu venir, c’est que nous n’avons rien voulu voir ». Et de caractériser le mal intellectuel présent par un néologisme : « le dénislamisme ». Soit le déni de l’islam radical ou cet aveuglement de l’intelligence qui brouille la perception de la menace et désarme les esprits. Ce réflexe instinctif qui consiste à voir davantage de folie dans un camion que d’intégrisme chez son conducteur. « Intégriste ! » Cette apostrophe peu flatteuse, il m’est arrivé de l’entendre seulement deux ou trois fois depuis la quinzaine d’année que je porte la soutane. A chaque fois, en souriant et l’air badin, je me suis appliqué à répondre de façon décontractée : « si ‘‘intégriste’’ signifie ‘‘vivre intégralement et radicalement sa Foi’’, hélas je crois cher ami en être encore loin. Cependant croyez-moi, j’y travaille tous les jours ».
A vrai dire, le début d’une réflexion sans langue de bois sur les attentats, les égorgements, les fusillades, les voitures béliers (ce qu’on enveloppe du nom pudique de « drame ») ne saurait faire l’économie du constat de Gaspard Proust : l’intégrisme, suivant les religions, n’a pas les mêmes répercussions. A l’école d’Aristote, pour avancer dans la résolution d’un problème, il s’agit de commencer par distinguer. Cela vaut pour la question de l’intégrisme. Le chrétien qu’on appelle « intégriste » n’a pas de sang sur les mains. La déclinaison de sa vie ne passe pas par la case « attentat ».
Le chrétien qui s’efforce de vivre intégralement sa Foi se rend à la messe le dimanche matin et agence son emploi du temps pour conduire ses enfants au catéchisme le mercredi. Le chrétien habité par une Foi totale vote en fonction des « principes non négociables » qui touchent le respect de la vie et non suivant les intérêts du négoce et de son portefeuille. Il prie pour le repos de l’âme de Jacques Chirac, de Johnny ou de son vieil oncle défunt parce qu’il sait que la vie éternelle est un enjeu et non un acquis. Le chrétien aux convictions absolues descend dans la rue défendre la famille, le mariage chrétien et un certain modèle de société. Le lecteur assidu de l’évangile ne se reconnait pas dans la logique du marché et préfère la maison familiale au déracinement mondialiste.
Le chrétien imprégné de la Tradition de l’Eglise ne se satisfait pas de la laideur généralisée et du déconstructivisme ambiant. Soucieux de préserver ses enfants des théories du genre, du catéchisme du « vivre ensemble » qui fait fi de la réalité du péché originel, le fidèle du Christ monte des écoles indépendantes lorsque les écoles privées ne garantissent plus ces exigences. En résumé, le chrétien « intégriste » se dispose à beaucoup de sacrifices. Il accepte au besoin de se tuer à la tâche pour nourrir sa famille, souvent nombreuse. De tuer sa vie sociale pour vivre libre. De mourir au monde pour suivre le Christ et gagner son Ciel. Mais ses ennemis, ils ne les tuent pas. Il arrive même qu’il leur tende la joue gauche. Foncièrement, il prie pour eux.
Le fondamentalisme islamique, on l’aura compris, ne joue pas dans la même cour. La question politique de l’islam et ses résonnances guerrières radicales invitent à s’interroger avec sérieux sur le contenu de son enseignement. Refuser cette étude critique, c’est s’empêcher de comprendre les causes de ce à quoi nous assistons. Jean Anouilh, qui s’est opposé avec force aux folies de l’épuration, écrivait en 1964 que « l’indifférence et la frousse sont les deux maladies des guerres civiles ». Regarder l’islamisme avec désinvolture ou avec crainte, ne serait-ce pas nous y conduire tout droit ?