Quelques questions à Guillaume d'Alançon, qui revient de Russie :
Etes-vous surpris par la rencontre prévue le 12 février prochain à la Havane entre le Pape François et le Patriarche Kirill ?
Oui et non. Il faut bien dire que ce moment était attendu depuis longtemps et préparé tout autant en diverses manières. Nous n’allons pas ici faire l’histoire du réchauffement des relations entre la papauté et l’orthodoxie russe mais n’importe quel observateur remarquera les efforts de la diplomatie ces dernières décennies. Benoît XVI espérait une telle rencontre. Pour ma part, je suis très heureux de cette rencontre qui sent bon les retrouvailles et qui relance notre espérance.
Y-a-t il un point qui vous semble particulièrement crucial ?
Si le Patriarche Kirill a estimé opportun de rencontrer le Pape François, c’est probablement parce qu’il mesure la gravité des enjeux d’aujourd’hui. Les chrétiens doivent être toujours plus unis pour affronter les difficultés de notre temps. Je me réjouis profondément que la Russie, retrouvant progressivement sa culture chrétienne, soit davantage reconnue par le monde catholique. Un autre point me semble crucial : le renouvellement des liens avec l’Occident. En effet, face à une Europe de l’ouest assez matérialiste et superficielle, les peuples de Russie éprouvaient et continue d’éprouver une certaine réserve. N’oublions pas aussi que pour un russe, l’Occident c’est la latinité. Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de points communs entre les deux mondes, mais la révolution bolchevique de 1917 a fragilisé les relations entre les deux poumons de l’Europe. Les Romanov ne cousinaient-ils pas avec les souverains d’Occident et d’Europe Centrale ? Après la 1ère Guerre Mondiale, l’Empire désormais décapité est forcé d’épouser le marxisme en faisant table rase de son histoire, comme la France en 1789. C’est pourquoi un français catholique peut être en mesure d’entrer en amitié profonde avec la Russie blessée et restaurée dans sa foi.
Quelles peuvent être les conséquences d’un rapprochement entre le Patriarcat de Moscou et le Vatican ?
Une question aussi vaste ne trouvera certainement pas une réponse satisfaisante en quelques lignes. Quelques dossiers essentiels seront certainement mieux défendus : la cause des chrétiens d’Orient, la défense de la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son terme naturel, la promotion du mariage et de la famille… En décembre dernier, Monseigneur Hilarion de Volokolamsk, Président du Département des Relations extérieures du Patriarcat de Moscou, m’écrivait qu’il espérait « que notre collaboration pour la défense des valeurs chrétiennes traditionnelles et de la dignité humaine dans les pays d’Europe continuerait à se développer ». Ces chantiers sont immenses et les bénéfices prometteurs.
Quels seraient ces bénéfices ?
Au plan de la théologie spirituelle, je crois savoir que les saints de « l’Eglise indivise » (avant le schisme de 1054) attirent l’attention et suscitent la dévotion d’un certain nombre d’orthodoxes russes. J’ai pu avoir la confidence d’un higoumène en ce sens et y vois un enjeu très profond : imaginons un rayonnement de Saint Benoît vers les vastes terres de l’Est… N’oublions pas la grande figure de Saint Cyrille, l’évangélisateur des peuples slaves, dont le corps repose dans une chapelle de la basilique Saint Clément à Rome. Dans l’autre sens, la découverte de belles figures de sainteté comme Séraphim de Sarov, Féodor Kouzmitch, des martyrs orthodoxes du XXème siècle… par les fidèles catholiques est riche de promesses.
Sur le plan liturgique, Benoît XVI a voulu renouveler la conscience des fidèles en les ouvrant au véritable esprit de la liturgie, notamment avec la mise en application du Motu Proprio Summorum Pontificum (2007). Nous savons que cet événement liturgique a été salué par de nombreuses personnalités du monde orthodoxe habitué à vivre les cérémonies liturgiques selon l’antique tradition.
Sur le plan doctrinal, pourquoi ne pas envisager à frais nouveaux l’approfondissement de certains points du dogme dans un plus grand souci de vérité et de fidélité, par-delà les parasitages de l’histoire liés à des questions politiques ou à l’orgueil humain ? Je veux parler ici de l’approfondissement théologique qui a besoin de l’Ecriture Sainte et de la Tradition des Pères du premier millénaire de l’Eglise. Catholiques et Orthodoxes pourraient travailler ensemble avec fruit le fameux Commonitorium de Saint Vincent de Lerins (5ème siècle) et l’essai sur le développement du dogme du Cardinal Newman (19ème siècle). Nous avons là un rocher doctrinal très sûr pour nous mettre à l’écoute de l’Esprit-Saint qui ne s’est pas arrêté de parler pendant le deuxième millénaire.
Le Pape a-t-il une idée derrière la tête ?
Dieu seul le sait ! Ce que pour ma part je constate, c’est que cette rencontre arrive au terme de l’année de la vie consacrée et au début du jubilé de la Miséricorde proposés par le Souverain Pontife à l’ensemble de l’Eglise Catholique. La Providence a ses desseins. En effet, le réveil du monachisme en Russie ne passe pas inaperçu dans le monde catholique et la riche doctrine spirituelle des anachorètes orthodoxes est bien souvent en osmose avec celle de leurs homologues latins. Dans le secret des skites de Valaam on n’est pas loin de l’esprit qui règne à la Grande-Chartreuse.
Selon vous, cette rencontre historique plaît-elle à tout le monde ?
Si certains dans l’Eglise en France peuvent avoir quelques réticences face à un rapprochement avec l’orthodoxie russe, c’est parce que les idées libérales de mai 68 n’ont pas encore totalement disparu. Les temps sont autres maintenant car des franges de plus en plus larges de l’Eglise Catholique, je parle ici de la situation française, n’ont plus peur désormais d’aller à contre-courant de la société et ne redoutent pas la pensée dominante. Il faut bien se le dire, et la Manif pour tous l’a révélé, des millions de catholiques français sont heureux et fiers de suivre le Christ et n’ont pas peur des intimidations de la culture mortifère d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle ils sont et seront heureux de coopérer avec les orthodoxes de Russie. Ne partagent-ils partagent les mêmes convictions pro-vie et pro-famille face à un monde qui, de bien des façons, est sous l’emprise du Mal ? En d’autres termes, n’ayons pas peur de nous mouiller dans les eaux de la Moscova, elles n’ont rien à envier aux rapides de la Seine.
Comment vous qui êtes catholique romain percevez-vous le Patriarche Kirill ?
Je garde un souvenir marquant. Il se trouve qu’il y a quelques mois j’ai retrouvé une photo prise lors d’un pèlerinage en Russie en juillet 1993. Nous étions près de 80 participants, français et russes, catholiques et orthodoxes, à marcher pendant une centaine de kilomètres au cœur de la Russie post-soviétique. Lors d’une pause dans un village, nous avons rencontré un jeune métropolite. En regardant cette photo, je reconnus celui qui devait devenir le Patriarche Kirill. A l’époque, nous avions perçu son ouverture de cœur à l’endroit des catholiques que nous étions, ce qui était prometteur et n’était pas partagé par tous en Russie.
La Moscova peut-elle se jeter dans le Tibre ?
Attention aux formules toutes faites. Ici-bas les choses sont complexes. Comme toujours lorsqu’il s’agit de l’extension du règne du Christ dans les âmes, il faut apprendre à lire de l’intérieur et chercher à entendre les désirs de Dieu pour y répondre. Lui seul sait ce qui est bon. « Qu’ils soient un » avait prié le Christ. Sans oublier l’intercession de la Vierge Marie, tant aimée de l’Atlantique à l’Oural.