Discours de Jacques Bompard clôturant la journée parlementaire pour la vie :
"Tant a été dit, tant a été évoqué au cours de cette journée. Il me reste la lourde charge de synthétiser en une application politique, ce que vous, la société civile, les êtres parfois plus libres que nous autres, nous avez apporté. Les hommes politiques aiment s’identifier à des figures : les unes rêvent d’être Jeanne d’Arc, les autres voudraient se grimer en Napoléon. A chaque fois le désir est d’être équivalent, comparable. Ce n’est pas forcément le plus mauvais moteur, mais l’urgence n’est plus là. L’urgence est à l’identification à des combats. A des combats si âpres soient-ils, si médiatement impopulaires, si clivant qu’ils paraissent. Le combat pour la vie en fait partie, et sa désertion est la plus infâme trahison faite à notre peuple et à notre Nation.
J’ai voulu organiser cette journée parlementaire pour la vie pour marquer une étape. Mon combat pour la vie a commencé dès mon engagement politique. Combien de fois, avec Marie-Claude ici présente, avons-nous arpenté les manifestations, dérangé les réunions, activé les énergies pour rappeler que la préservation de la vie de son commencement à son terme naturel n’était pas négociable. J’ai poursuivi cette action par l’activité parlementaire : nombreuses propositions de lois, amendements, interventions en commission. Et l’année dernière, alors qu’un hommage unanime était prononcé pour la loi Veil, j’ai demandé pardon. Je l’ai fait pour tous ceux qui ne peuvent pas parler mais aussi pour tous ceux qui craignent que cette cause ne déserte les institutions.
Aujourd’hui nous avons montré la nécessité d’un retour à l’essentiel. Il était important de le montrer au cœur de l’assemblée nationale. Je crois que depuis les brillants efforts de mon ami Michel de Rostolan, rien de tel n’avait été entrepris ! J’ai prononcé aussi ce discours pour les hommes de bonne volonté qui partagent cette conviction, intimement, mais qui n’osent l’affirmer. Je leur répète qu’il n’est plus temps : soit nous combattons, soit nous laissons la politique et la société finir de se dissoudre au profit de ceux qui choisissent la mort, l’hédonisme, le matérialisme, l’individualisme le plus obtus comme principes fondateurs de notre civilisation. Le combat pour la vie est bien l’affirmation de la supériorité de la civilisation sur la barbarie. Une affirmation paisible, sereine, mais une affirmation non négociable. Si l’homme est un animal sociable, si la société est une famille de familles, si la Nation est un plébiscite quotidien de patries libres, c’est alors que la vie, sous toutes ses formes, dans toutes ses glorieuses fragilités, est toujours revêtue de dignité. Sans cette conviction pour fonder notre définition de la politique nous œuvrons sur des sables mouvants.
Nous trahissons aussi l’antique sagesse de nos Pères qui firent de l’harmonie dans les foyers et les cités, l’acquis fondamental dont nous héritons. Ainsi Thomas d’Aquin : « Toutes les choses immatérielles jouissent d’une certaine infinité, dans la mesure où elles embrassent tout, ou parce qu’il s’agit de l’essence d’une réalité spirituelle qui sert de modèle et de ressemblance à tout, comme c’est le cas pour Dieu, ou bien parce qu’elle possède la ressemblance de toute chose, soit en acte comme chez les Anges, soit en puissance comme dans les âmes. » Si l’infini est dans chaque âme, quel sera le sort de ceux qui marchandèrent les enfants à naître, qui éradiquèrent les enfants handicapés, qui maltraitèrent des fœtus, qui assassinèrent des impotents ? Et quel sera le regard de l’Histoire sur un monde politique qui accepte, sans sourciller, le grand génocide des âmes innocentes ?
Or j’aime cette phrase de Philippe de Villiers qui nous rappelle si opportunément qu’est revenu le temps des murs fondateurs, inébranlables, qui rendront à la dignité son immortelle préséance. Voilà ce que nous sommes, les résistants de la dignité. De la dignité prise comme condition du droit, de la dignité considérée comme condition sine quo non à des progrès réels, de la dignité contre les ombrages du marché, de la dignité enfin qui rappelle que l’Europe se fonde sur la défense des innocents contre les puissants. Les violations des règles les plus élémentaires de l’anthropologie chrétienne n’est pas simplement le fruit d’un manque d’informations, d’élus non avertis. Elles procèdent bien d’un projet philosophique de construction d’un homme nouveau. Nous connaissons les citations violentes qui ont émaillé ce quinquennat : arracher les enfants à leurs familles, combattre les stéréotypes de genre, interdire aux médecins et aux maires les objections de conscience. Voilà qui revient à brimer tous les opposants, tous ceux qui participent d’une éthique qui ne trouve son origine ni dans la déconstruction de mai 68, ni dans les délires messianiques de la Terreur.
L’Homme est digne parce qu’il est, pas parce que l’on dispute des normes qui discutent sa dignité. L’Homme et ses manières d’être au monde ne sont pas le résultat d’un contrat ou de la volonté d’un groupe, ils sont la grâce de la vie. A ce titre rien n’est plus explicite dans le projet totalitaire des ennemis de la vie que leur action permanente contre la famille. La famille reste en effet la dernière forteresse du bon sens dans la considération des enfants, de leur éducation, de leur première inscription dans la vie. Le brillant élan de la Manif Pour Tous et l’orgueil incroyable avec lequel la cohorte des ministres et des médias répliquèrent sont là pour nous rappeler que notre lutte nécessitera une infinie intensité politique.
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise nous donne un rappel extrêmement éclairant sur l’importance de la famille pour toute la société : « Une société à la mesure de la famille est la meilleure garantie contre toute dérive de type individualiste ou collectiviste, car en elle la personne est toujours au centre de l’attention en tant que fin et jamais comme moyen »
A la société des droits sans devoirs, échoie forcément des drames. Celui par exemple de l’absence du droit au travail pour tous, et donc du travail comme facteur d’affirmation, pour le chef de famille, d’une autonomie, et d’une liberté qui ne sont plus siennes. Ces dérives, chacun les contemple au quotidien. Le collectivisme financier c’est celui qui aligne des embryons frigorifiés, c’est celui qui séquence la génétique au profit du cosmopolitisme financier, c’est celui qui crée un marché parallèle des membres humains conservés après l’avortement comme le planning familial américain. C’est aussi celui qui, dans le monde, humanitaire, oblige à la régulation des naissances des êtres dispersés par la misère pour que des boutiquiers administratifs se satisfassent. L’individualisme outrancier, c’est celui de la société déresponsabilisée. De ces entreprises ou l’on réclame que les femmes s’interdisent la grossesse, de ces écoles ou l’on intime l’ordre aux jeunes de martyriser leurs corps pour le sexualiser le plus rapidement possible. C’est aussi cette odieuse logique comptable sise dans la loi Léonetti Clayes qui acte en réalité l’euthanasie dans notre pays. Voyez comme ils poursuivent Vincent Lambert jusque sur son lit d’agonie, ou de survie, afin de prouver l’inéluctabilité de leurs logiques. Face à leur dessein de mort, que rencontrent-ils ? La vaillance d’une famille, d’un père et d’une mère, que rien n’empêchera de combattre pour sauver la vie de leur fils. C’est ça la famille, ce lien unique qui refuse les compromissions d’un monde réduit à sa pire expression.
Je veux saluer tous ceux qui ont combattu cela. Je veux aussi saluer ceux qui ont préservé la flamme de l’opposition à l’avortement. Quels qu’ils soient, l’Histoire se souviendra d’eux comme les « veilleurs aux frontières du temps et de l’Europe », et l’honneur qui leur revient sera rendu. En France, 225 000 enfants ne peuvent voir le jour chaque année. Si l’on ose une comparaison morbide, aucun pays d’Europe n’est ainsi affligé. Aucun pays d’Europe n’a laissé autant que le nôtre des associations idéologiques formater l’esprit des plus jeunes. Aucun pays d’Europe n’a fait de l’avortement une donnée sacro-sainte devant laquelle tous doivent se prosterner pour que l’on consente à les mettre en avant. Aucun pays d’Europe ne fait comme nous l’insulte à des états voisins de vouloir faire pression contre toute loi tentant de rétablir un peu de sacré dans l’accueil de la vie. L’Etat et les médias ont établi en France une police de la pensée sur ce sujet, comme sur d’autres, qui montrent à quel point ils sont conscients de l’artificialité de leurs arguments.
Si l’on abandonne le combat contre l’avortement, l’on abandonne la clef de voûte de toute proposition politique vraiment humaine. J’ai longtemps parlé de dignité. Et il le fallait puisqu’en réalité nous touchons là à un sujet qui devrait être exclu de la politique. Le petit de l’homme n’est pas le fruit d’une délibération, d’une gestion, ou pire d’une bataille d’assemblée. Non, les politiques devraient savoir se retirer de sa conception. En principe, c’est d’ailleurs le plus pur bon sens qui l’en avait préservé. Le rôle d’une assemblée serait de considérer au mieux les moyens que la Cité peut offrir à l’accueil et à la défense des plus petits d’entre nous. Et les majorités successives préfèrent pourtant débattre de la meilleure méthode pour éliminer les enfants trisomiques. J’ai eu l’occasion de visiter la fondation Lejeune. Cette œuvre prouve l’infinie richesse que sont ses enfants. En tant que responsable politique, je suis donc victime de cette confusion des genres établi depuis que l’Homme n’est plus respecté en tant qu’homme. Mon rôle devrait être de me cantonner à la politique d’abord. A la politique pour justement combattre toutes les influences qui au bout de leurs logiques parviendraient à mutiler l’ordre des choses. Mais voilà, la mutilation nous la subissons dramatiquement.
Alors avec vous je mène le combat, et je vois à la qualité de nos intervenants que nous sommes bien plus nombreux que beaucoup voudraient le croire. A la fin de son intervention devant la marche pour la vie italienne de 2008, Benoît XVI prononçait ces mots : « Chers frères et sœurs, en vous rencontrant le 22 mai 1998, Jean-Paul II vous exhortait à persévérer dans votre engagement d'amour et de défense de la vie humaine, et rappelait que, grâce à vous, beaucoup d'enfants pouvaient faire l'expérience de la joie du don inestimable de la vie. Dix ans après, c'est moi qui vous remercie pour le service que vous avez rendu à l'Eglise et à la société. Combien de vies humaines vous avez sauvées de la mort! Poursuivez sur ce chemin et n'ayez pas peur, pour que le sourire de la vie triomphe sur les lèvres de tous les enfants et de leurs mères. Je confie chacun d'entre vous, et les si nombreuses personnes que vous rencontrez dans les Centres d'aide à la vie, à la protection maternelle de la Vierge Marie, Reine de la Famille, et alors que je vous assure de mon souvenir dans la prière, je vous bénis de tout cœur ainsi que ceux qui font partie des Mouvements pour la vie en Italie, en Europe et dans le monde. »
Notre combat à ses exigences. Il a aussi les plus beaux fruits qui peuvent être portés. Et c’est finalement pourquoi le politique doit combattre pour en revenir à une définition normale, une définition ou l’Etat ne s’introduit pas dans des sujets qu’il ne peut qu’abîmer. Parce que son pouvoir, sa légitimité seront jugés à l’aune de sa vigueur à ne rien lâcher dans ce que la société doit absolument préserver ? Humains et Politiques d’abord, nous n’aurons de cesse d’affronter ceux pour qui l’homme fragile est un déchet. Humains et politiques d’abord, nous n’aurons de cesse de rappeler que le discours politique n’est qu’un tissu de mensonges quand il refuse des fondements explicites et intransigeants. Humains et politiques d’abord, nous assumons que pour nous des points sont non négociables, que cela plaise ou non aux caciques d’une assemblée aux abois."