Partager cet article

L'Eglise : L'Eglise en France

« Si tu savais le don de Dieu ! »

« Si tu savais le don de Dieu ! »

Voici l’homélie de l’abbé Jouachim (FSSP) prononcée vendredi 4 juillet à l’occasion de la messe célébrée par l’abbé Berg (supérieur général de la FSSP) pour les 10 ans du rappel à Dieu de l’abbé Denis Coiffet :

Monsieur le Supérieur Général,

Mes chers confères,

Mes chers amis,

Nous savons tous qu’une image d’ordination, bien souvent, n’est pas seulement le souvenir d’une émouvante cérémonie ; elle n’est pas non plus un simple marque-page dans un bréviaire ou dans un missel. Cette image traduit quelque chose de la spiritualité du nouveau prêtre et, en ce qui concerne l’abbé Denis Coiffet dont nous célébrons les 10 ans du rappel à Dieu ce soir, elle dressait pour sa famille et ses amis il y a près de 50 ans, comme elle le fait toujours pour nous en 2025 d’ailleurs, un véritable programme de vie sacerdotale.

Cette image, en date du 29 juin 1977, représentait Notre Seigneur au pied d’un puits avec la samaritaine, et au verso on trouvait la phrase-clé de cet épisode célèbre de l’évangile : « Si scires Donum Dei » : « Si tu savais le don de Dieu ! ».

On y voit, de la part du Sauveur, la marque d’une extrême délicatesse : il ne juge pas, il ne condamne pas, et même s’il rappelle habilement en temps opportun à cette femme ses fautes actuelles et ses fautes passées, c’est dans une perspective de salut et de miséricorde.

Je pense, mes chers amis, que cette belle page de saint Jean a inspiré l’abbé Coiffet tout au long de sa vie de prêtre avec une mission bien précise : éveiller les âmes à l’amour de Dieu, leur révéler ses dons et sa miséricorde, mais aussi et surtout les aider à prendre conscience de la beauté de la vie ici-bas lorsqu’elle est dirigée vers la splendeur du Ciel.

Alors bien sûr, le Bon Dieu, pour ce faire, avait équipé l’abbé Coiffet en conséquence : il lui avait donné une carrure impressionnante et un tempérament de feu. L’abbé avait en outre cette capacité peu commune de susciter trois types de réactions successives chez ses interlocuteurs, qu’il s’agisse d’un petit pèlerin de Chartres dans le chapître enfant, d’un scout du Chesnay, d’un lycéen de l’Espérance, d’une mère de famille nantaise, d’un séminariste à Wigratzbad, d’un viticulteur bordelais, d’un général cinq étoiles ou d’un prélat dans son évêché.

La première réaction, c’était tout d’abord la sympathie car l’abbé Coiffet était d’un naturel jovial et prévenant. On retrouvait chez lui un je ne sais quoi de Jean Gabin, de Lino Ventura, et du Capitaine Haddock. Il possédait en outre cette capacité à mettre son interlocuteur, pourvu qu’il soit bienveillant à son égard, dans un rapport immédiat d’estime et de confiance. Auprès de lui, on se sentait écouté et compris.

La seconde réaction, c’était l’intérêt, car à une intelligence naturelle et à un esprit curieux et alerte, ses parents et ses éducateurs n’avaient pas manqué de greffer une bonne formation intellectuelle, humaine et même artistique ; et il n’est nul doute que ses parents et toute la fratrie de la place Bellecour ont eu pour lui, le petit dernier de la famille, un rôle essentiel.

Même si son père était mort prématurément, alors que le jeune Denis était au séminaire, celui-ci a gardé toujours une profonde admiration pour un homme au caractère bien trempé et aux valeurs solidement ancrées ; un homme dont le bon sens faisait l’unanimité autour de lui. On l’imagine, répondant à son fils qui lui annonçait sa prochaine rentrée à la Grande Chartreuse : « A la semaine prochaine ! ». Et la semaine suivante, le jeune Denis était de retour. Par ailleurs, l’abbé aimait à rappeler cet évènement de mai 68, lorsque des agitateurs firent irruption dans l’entreprise paternelle à Lyon afin de mutiner les employés, et qu’ils se firent mettre dehors sans le moindre ménagement par ces mêmes employés : « On ne touche pas au patron ! »

Peut-être cet évènement a-t-il consolidé une conviction durable chez un jeune homme qui allait vivre son sacerdoce dans les années perturbées de l’après-Concile : le respect du père ; le respect de l’autorité légitime. En 1988, le cœur brisé mais l’âme en paix, il quittera ainsi celui qui pour lui était pour lui un seconde père à Ecône, afin de rester fidèle à celui qui incarne à la fois la paternité suprême et l’autorité, c’est-à-dire le pape : « Je vous quitte, dira-t-il à Mgr. Lefebvre, en raison des principes mêmes qui m’ont été transmis dans votre propre séminaire ».

L’autre personnalité qui aura sur le jeune prêtre une influence de premier ordre, ce sera le curé de Garges les Gonesse, « Monsieur le Curé », comme il l’appelait. Le vieux prêtre lui transmettra, si je puis dire, « les vieux trucs du métier », qui ne s’apprennent pas dans un séminaire, mais sur le terrain. C’est lui, en particulier, qui aidera le jeune Denis à devenir un vrai pasteur : un bon pasteur. Et cela commença ici-même, à Saint Martin de Bréthencourt.

Enfin, la troisième réaction que l’abbé Coiffet provoquait chez son interlocuteur, eût-il des sentiments hostiles à son égard, c’était après la sympathie, après l’intérêt, une certaine admiration. Admiration en raison de sa capacité à entraîner les autres, de rebondir face aux échecs, de persévérer dans les difficultés, mais aussi admiration provoquée par sa foi profonde et cette certitude qui ne l’avait jamais quittée, cette voix intérieure qui lui rappelait sans cesse que le Seigneur, pour des raisons que lui seul connait, avait voulu qu’un jour il soit son prêtre.

L’homme de Dieu forçait aussi l’admiration, car malgré sa stature, son charisme, sa gouaille, ses éclats de rire, ses envolées lyriques, ou ses prières du soir qui nous nouaient à tous la gorge dans les bivouacs de Choisel ou de Soulaires, il n’a jamais été celui qui s’impose, celui qui écrase, celui qui recherche le pouvoir, celui qui court après l’estime ou la récompense.

Quand on lui propose une responsabilité, que ce soit dans un apostolat, que ce soit Supérieur de District ou aumônier général de Notre-Dame de Chrétienté, il l’accepte en y voyant la volonté de Dieu, tout en estimant qu’il y a sans doute plus compétent que lui pour cette charge ; le pouvoir pour le pouvoir ne l’intéresse pas ; et quand il pense que le temps est venu de passer la main, il remet sa charge sans aigreur. Combien de fois n’a-t-on pas entendu ce fameux « place aux jeunes ! », qui traduisait si bien la confiance qu’il accordait aux autres, parfois à ses dépens, mais aussi la certitude qu’une autre aventure, qu’un autre défi l’attendait ailleurs.

Finalement, mes chers amis, notre bon abbé ressemblait sur bien des plans au saint patron de la Fraternité à laquelle il appartenait : comme lui, il était plein d’enthousiasme, d’une foi solide comme le granit breton, capable de fédérer, de motiver, mais aussi comme Pierre il était épicurien à ses heures, gaffeur en de nombreuses occasions, en particulier lorsqu’il programmait plusieurs invitations ou cérémonies le même jour dans les quatre coins de notre beau pays. Et ce qui était merveilleux, c’est que personne n’arrivait vraiment à lui en vouloir !

Mais tout comme saint Pierre aussi, mes chers amis, l’abbé Coiffet a sans doute entendu dans son cœur cette parole du Seigneur Jésus : « En vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas. ». Il y a plusieurs manière de comprendre le verbe « ceindre ». Dans le langage biblique, cela signifie : «se tenir prêt pour la marche, ou pour l’action ». Les talents de l’abbé et la grâce de Dieu ont donc favorisé un ministère fécond qui a marqué les scouts, les paroissiens et les milliers de pèlerins de Chartres.

Mais voilà mes chers amis, le verbe « ceindre » veut dire aussi être prisonnier, être enchaîné. Et pour être le disciple du Seigneur, il faut prendre parfois prendre sa croix pour le suivre. Aussi l’abbé fût-il enchaîné pendant neuf mois par la maladie et il alla, comme saint Pierre, là où il ne voulait pas aller, c’est-à-dire à l’hôpital, dans ce lieu de souffrance, d’humiliation, de dépendance, puis d’anéantissement. Toutefois, nous le savons, Notre Seigneur a donné un éclairage merveilleux à ce mystère de la souffrance et de la mort : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ».

Désormais, mes chers amis, il nous reste deux choses à faire : la première est de continuer de prier pour lui, et c’est ce que nous faisons en ce moment ; la seconde est de nous montrer dignes de l’endroit qu’il nous a montré pendant toute sa vie de prêtre et dans lequel, nous l’espérons, il nous attend. Que nous soyons neveux ou cousins, prêtres, amis de longue date ou connaissances plus lointaines, nous lui sommes tous redevables de quelque chose et par conséquent, nous nous sentons tous d’une certaine manière héritiers. A nous de marcher à sa suite ; à nous de continuer notre aventure avec le Christ pour chef et pour guide.

Nous pouvons parfois être harassés par les difficultés de cette vie : situation douloureuse dans l’Eglise, surtout pour ceux qui aiment la Messe traditionnelle à laquelle l’abbé Coiffet était tant attaché ; crise de la famille ; crise de la société ; culture mort en pleine expansion et par-dessus tout, peut-être, difficultés ponctuelles ou récurrentes dans notre combat spirituel.

C’est là, mes chers amis, qu’il nous faut imaginer un lieu qui ressemble un peu au bivouac de Gas le soir de la Pentecôte avec une foule immense, des chants, des rires d’enfants, des gens harassés de fatigue et pourtant souriants, des millions d’inconnus, le visage buriné par la chaleur et le corps fourbu, des scouts qui se saluent, une magnifique adoration qui se prépare dans un endroit ombragé, la douceur du soleil qui se couche, des vieux amis qui se retrouvent ici ou là… Et dans ce lieu de joie et de paix, il nous faut imaginer notre cher abbé entouré de ses amis lumineux, l’abbé Christian-Philippe Chanut, l’abbé Claude Michel, Jean-Marie Sorlot et tant d’autres, pourquoi pas – rien n’est impossible à Dieu !- avec une cigarette dans la main droite et un verre de whisky dans la main gauche, dire à chacun d’entre nous, avec son bon sourire, son regard bienveillant, et d’une voix rauque et paternelle : « Continue ton pèlerinage ; marche droit et sois fidèle ; si tu savais le don de Dieu ! ». Amen.

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services