Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
C’était en 2006. Mais au regard du sablier politique, que sont 13 petites années sinon une éternité ? Dans le quotidien La Provence, Ségolène Royal, en pleine course à l’Elysée, déclarait comprendre la passion de ceux qui s’enthousiasment pour la corrida. Pour elle, « c’est un spectacle magnifique ». Déjà auparavant, dans un recueil d’entretiens (Mes vertes années, Fayard), l’ancien candidat écologiste à la présidentielle Noël Mamère avouait apprécier la chasse et les spectacles taurins : « je ne suis pas un ayatollah vert » soufflait-il. L’ancien monde, c’était aussi cela. Pouvoir sortir des sentiers battus sans être nécessairement rattrapé par le politiquement correct. Fleurir la tombe du Maréchal Pétain tout en s’appelant François Mitterrand. Aimer la chasse tout en étant écologiste. En somme, porter de temps à autres, tel Cyrano, son chapeau de travers sans que l’on vous enjoigne de rentrer dans le rang aussi sec.
Quoiqu’on en dise, comparé à l’ancien, le nouveau-monde apparaît terriblement ennuyeux. Aux disputatio dans l’arène politique ont désormais succédé les discours convenus. Aux débats idéologiques, les thématiques consensuelles. A l’image du sort qui fut réservé à Agnès Thill : ou vous marchez au pas ou vous êtes sifflé hors-jeu. Les banderilles ont disparu, on leur préfère les idées lisses ou les plaintes faciles. Pourvu qu’elles aillent dans le sens du vent. S’indigner devient électoralement un passe-temps lucratif. La prise de risque est minime et les gains facilement juteux.
Dernier exemple en date : la réaction indignée d’Aurore Bergé suite à la photo de deux ministres, Jacqueline Gourault et Didier Guillaume, lors de la corrida goyesque à Bayonne. La porte-parole du gouvernement promet de déposer d’ici la fin de l’année une proposition de loi visant à interdire les corridas aux mineurs. Sur France info, elle fait même valoir qu’il s’agit d’une « question sociétale majeure ». Hier le racisme, aujourd’hui le réchauffement climatique, les slogans homophobes dans les stades, les traditions taurines : les moulins de Cervantes ont encore de l’avenir, Don Quichotte ne manque pas d’héritiers.
Ainsi vraiment, la tauromachie serait une « question sociétale majeure » ? Aurore Bergé ignore sans doute un des conseils que les prêtres reçoivent au séminaire : l’emphase est une pratique rhétorique dangereuse. A trop exagérer, on finit toujours par entamer son crédit. C’est même l’un des grands principes de la prédication dominicale. Il faut dire le vrai mais sans jamais tomber dans la facilité de la dramatisation. La ligne de crête est étroite. Pour rester debout, elle nécessite intériorité et recul. Ce recul, il en faut pourtant peu pour arriver au constat suivant : il y a fort à douter que la présence de mineurs dans des arènes soit un sujet primordial pour la France des ronds-points…
Pour ma part, l’univers de la corrida je l’ai rencontré lors de mes années de ministère dans le Sud de la France. Des paroissiens, qui sont devenus des amis, m’ont partagé avec cœur leurs coutumes et traditions en m’ouvrant les portes des arènes de Nîmes, de Béziers ou d’Arles. Le breton exilé que j’étais découvrait la solennité du paseo, l’air de Carmen de Bizet qui résonne, la splendeur des habits de lumière, le mouchoir blanc du président, le Se Canto qui s’élève des tribunes et qui rajoute du frisson.
Mais au-delà de voisins et fidèles absolument attachants, ces villes chantantes du Sud avaient aussi leurs allures de poste-frontières. L’immigration conséquente rappelle à chacun sorti en ville, et à qui accepte de le voir, que deux mondes se font face. Manière de s’exprimer, façon de s’habiller, langue usitée : la violence se trouvait moins sur le sable des arènes que dans les rues de mon quartier. Plus qu’une réglementation parisienne des corridas, m’est avis que la politesse, le respect des anciens, l’amour des racines, les repères familiaux sont des combats bien plus urgents à mener au bénéfice de la paix civile. Ces batailles sont moins commodes, assurément. Elles sont plus ingrates, surtout. Ceci explique cela, sans doute.