Béatrice Bourges est interrogée dans Présent. Extraits :
"[…] Ma conviction est que tous les partis politiques existants ne
sont pas intrinsèquement porteurs d’une véritable vision
anthropologique, et que la vie politique à venir connaîtra une rupture à
son sujet, précisément. D’un côté, il y aura ceux qui se reconnaissent
dans la forme de société individualiste et hédoniste portée par le
gouvernement actuel, mais initiée par les gouvernements précédents,
quels qu’ils soient. L’homme y est réduit à un producteur-consommateur
qui se suffit à lui-même et qui n’a plus de transcendance. Le désir y
devient un droit. C’est très exactement le germe du totalitarisme, car
ce sont toujours les plus faibles qui en font les frais. De l’autre
côté, il y aura ceux qui reconnaissent l’homme dans son essence et dans
sa transcendance. Celui-là sait qu’il n’est qu’un maillon de l’humanité,
et il accepte la faiblesse et la fragilité de l’homme en tant que force
de la société.C’est un paradoxe ? Mais je suis persuadée que la force d’une
société réside dans l’accueil qu’elle fait aux plus faibles. C’est aussi
chrétien. Mais dans ce monde où prévaut le mythe du surhomme, et même
du super-enfant, de l’enfant parfait, donc déshumanisé, la société ne
tient dans son humanité que par la place qu’elle fait aux plus faibles
et aux plus fragiles, en reconnaissant qu’elle a un Créateur. Que
l’homme ne se suffit pas à lui-même. Il a cette relation verticale, mais
aussi une relation horizontale qui lui fait dire : « Je ne suis rien
sans les autres. »La rupture se fera là-dessus, elle pourra se faire dans chacun des
partis actuels. La politique de demain sera de l’ordre du
« métapartisan » : ce à quoi je travaille maintenant, c’est de savoir
comment traduire ces convictions en langage politique et aider ceux qui,
dans chaque parti politique, pensent cela. Pour qu’ils puissent en
toute liberté sortir de leur système partisan pour entrer dans une
vision politique au service du bien commun.Il faut reconnaître que c’est difficile pour les hommes politiques,
car pour le moment rien d’autre n’est proposé. Il faut leur demander
d’être des héros, mais tout le monde en a-t-il l’étoffe ? Il faut donc
travailler à leur offrir la plate-forme nécessaire, mais aussi la pensée
nécessaire. Notre objectif est de faire tomber le système, de reprendre
le pouvoir, et c’est sur cela que je mets des mots. Si nous voulons que
notre concept devienne réalité, il faut essayer de reprendre le
pouvoir, et essayer de le reprendre rapidement pour éviter que les
dégâts ne soient encore plus grands. […]Il faut d’abord fluidifier les relations entre les partis et en
finir avec la rupture artificielle : faire sauter ce « front
républicain » absurde, insensé, inventé par Mitterrand qui doit
d’ailleurs se frotter les mains car c’était un plan de génie. Le système
s’effondrera alors de lui-même. A l’intérieur de l’UMP,
on voit déjà les divisions entre Copé et Fillon, les pas en avant et en
arrière, mais à l’intérieur du Front national on observe aussi ces
divisions. Je crois que le FN tient grâce au système qu’il appelle
« UMPS » – c’est d’ailleurs joliment dit parce que c’est vrai – mais si
l’UMPS n’existait pas je ne sais pas ce que
deviendrait le Front national puisque, je pense, il est lui-même
traversé par cette rupture. Quand ce système tombera, il va bien falloir
que le Front national se questionne sur ces sujets qui sont les vrais
sujets, il y sera obligé.Ce que je reproche aux partis politiques, quels qu’ils soient, c’est
de ne pas avoir de colonne vertébrale. Ils proposent des mesures
cosmétiques comme solutions à de vrais problèmes : l’insécurité, la
nation, la justice, l’économie, la dette… Mais ils oublient la colonne
vertébrale du bien commun : cet équilibre très subtil entre l’intérêt
général et le respect des personnes.Lorsque le système s’effondrera, le Front national sera obligé de se
poser ces questions, puisqu’il deviendra le seul parti dominant. Se
bornera-t-il à proposer des mesures contre l’immigration, contre
l’insécurité, contre l’Europe ? A ce propos, je ne dis pas du tout qu’il
a tort – mais ce n’est pas un programme, c’est du « contre ». Quelle
est la société de l’espérance qu’il proposera ? […]"