Au moment où un prêtre vient d’être tué en Syrie, les éditions de L’Homme Nouveau publient un nouveau hors-série double entièrement consacré à l’association SOS Chrétiens d’Orient afin de mieux faire connaître la diversité de son action et, surtout, la réalité du quotidien des chrétiens d’Orient. Dans ce riche numéro d’environ 130 pages, Bruno Larebière interroge Pierre-Alexandre Bouclay, responsable de la communication de l’association. Extraits :
SOS Chrétiens d’Orient dépense beaucoup d’argent – certains disent trop – en communication. Est-ce vraiment indispensable ?
Par rapport à une association paroissiale, il est certain que nous dépensons beaucoup. Par rapport à Greenpeace ou Médecins du monde, c’est malheureusement bien peu. Tout est question de curseur et de nécessité. Or, aujourd’hui, communiquer est plus qu’indispensable, c’est vital – pour l’association, mais surtout pour les chrétiens d’Orient. Sans communication, vous ne mobilisez pas les donateurs. Sans donateurs, vous n’avez pas de moyens. Sans moyens, vous ne menez pas d’actions. Or, il n’y a pas encore assez de moyens pour subvenir à l’ensemble des besoins des chrétiens persécutés dans le monde, particulièrement au Proche et au Moyen-Orient.
À l’instant où je vous parle (10 octobre 2019), la crise déclenchée par l’offensive turque dans le nord de la Syrie, à la suite du retrait des forces américaines, entraîne un exode des populations et notamment des chrétiens, exode qui pourrait se transformer en drame humanitaire. L’hiver approche. Quelles ressources sont immédiatement mobilisables pour faire face aux besoins de première nécessité ? A priori, il n’y en a pas. Nous devons prévoir des milliers de couvertures, des kits alimentaires, des poêles à mazout, des médicaments… Il faudrait être irresponsable, au sein d’une association humanitaire, pour rester silencieux ! Pour résumer, la communication est nécessaire pour alerter l’opinion avant qu’il ne soit trop tard et réunir les fonds nécessaires pour réaliser des interventions en urgence ou des projets d’envergure. J’ajoute que dans l’objet social de l’association figure un point central : la sensibilisation au drame des chrétiens d’Orient. L’importance de la communication avait été l’une des grandes intuitions des fondateurs de SOS Chrétiens d’Orient et ils avaient eu raison : ces jeunes gens, que les Anglais qualifieraient de « digital natives »(ceux qui sont nés avec Internet), avaient parfaitement compris que l’on vit à une époque où, pour être efficace, il n’est plus possible de se contenter de fréquenter les couloirs du Vatican et du quai d’Orsay, même s’il faut aussi le faire.
Mais SOS Chrétiens d’Orient, c’est quand même une association caritative…
Et c’est précisément la communication qui permet l’efficacité du caritatif ! SOS Chrétiens d’Orientest une association très jeune. Nous n’avons pas un siècle d’existence, ni même un demi-siècle : nous avons six ans ! C’est le Petit Poucet de l’humanitaire chrétien ! Or, SOS Chrétiens d’Orient dispose déjà d’une notoriété considérable, et ce n’est pas arrivé par hasard, en attendant poliment que l’on nous appelle. D’autant que nous ne bénéficions pas de subventions publiques !
Pour mener à bien nos projets, il fallait donc investir beaucoup de moyens dans la communication afin de bâtir un socle de donateurs et de volontaires suffisant pour agir efficacement, car la marque de SOS Chrétiens d’Orient c’est vraiment l’action de terrain : on ne se contente pas d’un communiqué de protestation ou d’un passage à la télévision pour dire son indignation. On envoie sur le terrain des gens qui agissent concrètement.
Je vous rappelle que nos premières actions remontent aux années 2013-2015, à une époque où l’organisation État islamique était au faîte de sa puissance, où l’on se demandait si les chrétiens n’allaient pas tout simplement disparaître du Proche-Orient et où il n’était pas possible de « donner du temps au temps » ! Vous connaissez la phrase de Charles Péguy : « Celui qui ne gueule pas la vérité lorsqu’il la connaît se fait complice des menteurs et des faussaires ! » Eh bien, la question était de savoir si nous voulions être des complices ou si nous voulions « gueuler » la vérité. Et pour la « gueuler », il fallait communiquer. Celui qui prétend le contraire est un « jean-foutre », pour rester dans le vocabulaire péguyste.
À vous entendre, on comprend que SOS Chrétiens d’Orient, d’une part, a été un lanceur d’alerte, d’autre part s’est lancée un peu comme une « start-up »…
L’esprit « start-up » a inspiré l’association durant ses premières années avec, au départ, aucun moyen mais de grandes et nobles ambitions : alerter sur la tragédie vécue par les chrétiens d’Orient, mais aussi agir pour eux et – ce qui dépasse largement le simple rôle de « lanceur d’alerte » – renouer les liens entre chrétiens d’Orient et chrétiens d’Occident. Cela nous oblige à avoir des projets de grande ampleur, très loin du modèle du « charity business »où, devant les caméras, l’on accueille des réfugiés avec des couvertures chauffantes ou distribue un sac de riz à la va-vite, tout en récoltant des millions d’euros de subventions publiques, et cela au risque que l’assistanat mis en place ne ruine les populations prétendument aidées – comme c’est le cas à Haïti par exemple – ou ne vide les pays de leurs forces vives – comme c’est le cas au Proche-Orient. Nous, nous faisons de la longue durée. Nous voulons aider les chrétiens d’Orient à rebâtir leur vie sur leur propre terre au lieu d’être condamnés à la migration et au déracinement. Nous voulons aussi montrer aux au- tochtones, souvent musulmans, que la cohabitation est possible et même souhaitable avec les chrétiens, car ceux-ci apportent de bonnes et belles choses : hôpitaux, écoles, travail…
Avec quels moyens avez-vous commencé ?
Quand je dis que SOS Chrétiens d’Orient n’avait aucun moyen, c’est réellement aucun. Par exemple, quand je suis arrivé, l’association n’avait pas encore la capacité de louer des locaux. Le « local » de l’association, c’était l’appartement de Benjamin Blanchard. Vous arriviez, il y avait des sacs de voyage partout, des jeunes en transit dans tous les coins, cinq ou six personnes qui essayaient de travailler, de passer des coups de téléphone au milieu d’un va-et-vient et d’un brouhaha permanents. Dans la plus petite pièce de son appartement, Benjamin avait casé son lit et toutes ses affaires ! Chacun s’investissait corps et âme, sans hésitation, dans des conditions qui paraissaient tellement folles que tout le monde ou presque leur déconseillait de le faire. Ils ont tenu bon et je tiens à les saluer : ce sont eux tout seuls qui ont monté les premières missions (Noël en Syrie, Pâques en Irak, etc.), qui ont su communiquer sur leurs actions, et qui ont fait que SOS Chrétiens d’Orient existe.
Je ne fais au demeurant – nous ne faisons – que nous inscrire dans une longue tradition. « Bien faire et faire savoir » : telle était la devise du général Bigeard, qu’il avait lui-même prise au général de Lattre de Tassigny, et l’on pourrait même remonter jusqu’à Napoléon, voire jusqu’à Jules César avec ses Commentaires. La communication, vous voyez, n’a pas attendu le XXIe siècle pour être un élément essentiel du combat. […]
Tout cela pour quels résultats, en termes de sensibilisation à la cause des chrétiens d’Orient et en termes financiers ?
Nous pouvons être assez fiers de nous. Quelques chiffres vous donneront une idée. Grâce à notre communication (jusqu’à deux millions de courriers privés par an), plus de 700 000 personnes ont donné au moins une fois pour soutenir les chrétiens d’Orient. Parmi elles, beaucoup avouent n’avoir pris conscience de l’importance de cette cause que par nos actions relayées par nos courriers ou nos réseaux sociaux. Un autre chiffre parlant : SOS Chrétiens d’Orient a démarré, en 2013, avec un budget total de 10 000 euros ; en 2018, son budget était de 10 millions d’euros, ce qui nous permet de mener les projets ambitieux dont rêvaient les fondateurs de l’association et que vous trouverez en détail, ainsi que les comptes de l’association, qui sont publics et validés par un commissaire aux comptes, au Journal officiel.
Avec cet argent, nous avons par exemple pu aider plusieurs centaines de milliers de personnes, fournir pour neuf millions d’euros de médicaments, distribuer 60 tonnes de matériel médical (générateurs, kits médicaux…), 95 tonnes de colis alimentaires, de kits d’hygiène, de jouets, de vêtements… Nous avons pu restaurer plusieurs centaines de maisons en Irak ou en Syrie, reconstruire près de trente bâtiments religieux, huit hôpitaux, vingt-six écoles, développer des aides à la création d’entreprises pour 193 commerces, mettre en place des prêts à taux zéro pour des entrepreneurs qui avaient tout perdu durant la guerre, lancer un programme de création de villages autonomes pour les chrétiens pakistanais de telle sorte qu’ils puissent s’affranchir de l’esclavage, reconstruire quantité d’églises, etc.
Nous n’avons pas beaucoup communiqué sur le sujet mais l’aide de nos donateurs nous permet aussi de mener des actions plus discrètes, comme celle qui a consisté à aider à l’avocat d’Asia Bibi, qui se trouvait assiégé dans le tribunal et menacé de mort le jour de l’acquittement. […]