Homélie de l’évêque de Chartres, Mgr Christory, lors de la messe de clôture du pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté :
Mes amis,
Vos pas vous ont portés jusqu’auprès de Notre–Dame de Chartres, qui vous accueille en vous présentant son Fils Jésus. Ici, la relique de son voile est donnée comme un signe mais Marie est bien présente et vivante. Ce n’est pas une simple affirmation théorique et mystique. Jésus ne cesse de nous dire « voici ta mère ! ». Aussi en sa demeure ou autour de la cathédrale, installez–vous, certes confortablement mais avec la conscience que vous n’êtes pas seuls car elle est proche de chacun de vous.
Bravo pour votre enthousiasme qui a augmenté le rythme de vos pas, pour certains douloureux. Bravo pour votre fraternité si merveilleuse, permettant d’avancer ensemble en vous soutenant et en louant Dieu. Maintenant, fermons les yeux un instant afin de nous mettre en présence de Jésus, le fils bien–aimé du Père qui désire nous parler : Jésus est Dieu et offre sa vie pour nous sauver du péché et de la mort. Chacun et chacune de nous sera attentif, car l’Esprit désire déposer en nos âmes une grâce particulière, une parole de vie personnelle, un appel à nous donner pleinement.
Le thème de notre pèlerinage est le Sacré–Cœur. J’ai fréquenté dans ma lointaine jeunesse à Tourcoing un collège qui portait ce nom, de la 10ème à la terminale. Ne m’a–t–on jamais parlé du Sacré–Cœur ? Je n’en ai aucun souvenir. Est–ce pour cela que j’ai cessé toute pratique entre 15 et 26 ans ? En tout cas, l’image que j’en avais à l’époque était celle d’une simple expression catholique, un brin désuète, sans intérêt selon moi car je ne me sentais pas concerné, elle ne me parlait pas. Qu’en est–il pour vous aujourd’hui ? Il est vrai qu’en notre époque contemporaine, où Internet occupe une place grandissante, où les jeux vidéo deviennent des espaces de fraternisation, où beaucoup se parlent plus sur les réseaux sociaux qu’entre voisins et où le métavers fait une apparition encore timide mais ouvre des perspectives inexplorées, le langage change. C’est pourquoi une question se pose : que peut représenter le Sacré–Cœur pour chacun de nous aujourd’hui ?
En réalité, il nous dévoile le plus grand mystère d’amour. Celui de Dieu, créateur de cet univers aux milliards de galaxies, qui acréé l’homme et la femme à son image et les a placés sur une petite planète bleue, très probablement la plus belle. Pour comprendre comment le cœur de Jésus révèle le Mystère insondable de l’amour divin, repartons du verset de saint Jean : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » Notre foi révélée par Jésus nous apprend qu’en Dieu, il y a la vie en premier, qui émane de cet Amour parfait et incessant, la vie échangée entre les trois personnes de la sainte Trinité. Celle–ci déborde hors de Dieu pour inonder l’univers qui nous entoure. Là Dieu a façonné sa plus belle œuvre : l’être humain. Il a placé son chef d’œuvre au centre d’une création magnifique, reflet de sa bonté divine et parfaite, pour faire de nous des cocréateurs en la faisant fructifier.
Quelle merveille en réalité que ce projet. Quelle responsabilité incroyable que celle qui nous est confiée, à savoir celle defavoriser la communion entre tous nos frères et sœurs les hommes, celle d’être en harmonie avec la nature. Celle de prendre soin de la maison commune qui est comme un navire voguant sur les grandes eaux, parfois calmes et parfois en
pleine tempête. Surtout celle d’aimer Dieu lui–même qui nous offre notre liberté en vue du bien. Notre cité se trouve dans les Cieux. L’homme est destiné à vivre en présence de la Gloire céleste. Nous avons tous et toutes vocation à entrer dans l’intimité divine.
Malheureusement, depuis l’origine, par orgueil, nous usons de notre liberté pour faire le mal et brisons ainsi notre relation avec Dieu. Cependant, alors que ce péché aurait dû entraîner la suppression de l’humanité, Dieu le Père a choisi d’envoyer son divin Fils pour nous sauver en partageant notre condition, nous enseigner patiemment puis offrir sa vie jusqu’à mourir en croix. Il donne tout, il nous plonge avec lui dans sa mort et il nous ressuscite avec lui pour une vie éternelle. C’est la preuve que Dieu a tant aimé le monde, qu’il n’a pas limité la puissance de sa grâce. Il l’a étendue à tous les hommes. Jésus n’est pas venu juger le monde, ni les chrétiens ni les autres. Il vient, dit saint Paul, pour que tous les hommes soient sauvés.
Afin de faire connaître ce mystère d’amour, Jésus révèle son cœur aimant et sensible. En premier lieu, auprès des pauvres et des malades. Ceux–ci ne sont–ils pas ses bien– aimés ? Ensuite envers celles et ceux qui se font enfants, c’est–à–dire ceux qui lui font confiance et qu’il bénit. Puis il y a les disciples qu’il enseigne sans se lasser, même quand ils ne comprennent pas où il les conduit. Enfin, il se tourne vers chacun de nous et nous invite à sa suite, éliminant par son pardon le fardeau si lourd du péché. Son cœur est transpercé lorsque, cloué sur le bois de la Croix, et agonisant, il remet son esprit à Dieu le Père. Alors de son cœur coulent du sang et de l’eau, le sang de sa vie offerte pour que nous ayons la vie, l’eau comme prémisse de la grâce que nous recevons par les sacrements. Avec lui nous avons la vie en abondance.`
Ainsi le Sacré–Cœur de Jésus n’est pas un simple objet de piété. Il est l’amour transpercé et toujours vivant qui déverse les grâces préparées par le Père pour ses enfants. Il exprime parfaitement l’amour divin offert pour chacun de nous. Néanmoins, là même où il montre son divin cœur tel un brasier ardent, sous les voutes du couvent de la Visitation à Paray–le–Monial, Jésus exprime une plainte à sainte Marguerite–Marie : « voici ce cœur qui a tant aimé le monde et qui ne reçoit qu’ingratitude » ! Le cœur de Jésus est comme une porte ouverte sur le feu brûlant de son amour. Alors pourquoi sommes–nous si indifférents ? Sommes–nous attentifs à cet amour ? Sommes–nous dans une authentique gratitude, nous qui pêchons chaque jour et qui bénéficions de son inlassable remise de peine ? Combien de personnes baptisées ont oublié leur premier amour, celui qui a animé leur âme dès le sein maternel, et ont aujourd’hui renié leur créateur en prenant le risque de perdre l’essentiel : la vie éternelle ?
Depuis le buisson ardent au désert du Sinaï dans lequel Dieu se révéla à Moïse, Il n’ade cesse de donner ses grâces aux saints et aux saintes qui le suivent et lui font confiance. La vie de saint Charles de Foucault exprime si bien comment l’Esprit l’a saisi hors de la fosse aux lions pour le conduire à l’écart du monde, en haut de la montagne du Hoggar, dans son ermitage,l’Assekrem, où, dépouillé de tout attachement aux biens matériels, il s’est fait l’ami de tous pour être toujours plus celui duSeigneur. Pourtant parmi nous, chrétiennes et chrétiens, il y a tant d’ingratitude, de refus, de médiocrité. Si nous pouvions comprendre ce que veut dire « Dieu est amour » ! Cela ne mérite–t–il pas notre conversion ? Une volonté radicale de le choisir et de le suivre ?
Chers amis, voulez–vous décider de marcher à la suite de Jésus jusqu’à lui donner votre vie ? Ne craignez pas une générosité excessive ! En effet, comment celui qui a tout donné par amour pourrait–il vous ôter la vie ? « Le Christ donne tout mais il n’enlève rien » comme l’a si merveilleusement exprimé le pape Benoît XVI.
Nous sortons du temps pascal. Nous avons relu les Actes des Apôtres. Nous entendions à l’instant le récit de la conversion de Corneille, un romain païen, et de toute sa famille. Saint Pierre lui–même est bouleversé et affirme aux disciples « ne fallait–il pas donner le baptême à ceux qui avaient déjà reçu le saint Esprit ? » Il est vrai que le Saint Esprit souffle où il veut comme le vent va où il veut, dit Jésus. Notre monde est en désarroi. Les craintes sont nombreuses face à une instabilité politique et économique, face aux idéologies qui veulent tordre notre histoire et notre culture.
Fondée sur le Christ, notre vie ecclésiale est le rempart face aux vagues rugissantes de l’athéisme et du consumérisme. Le cœur de Jésus n’est pas un refuge. Il est une source pour recevoir la force d’en–haut et accueillir notre vocation propre afin de contribuer au développement d’une société promotrice de justice et de paix. Voulez–vous y participer activement ? Voulez–vous y participer de tout votre cœur ?
Mes amis, votre marche a fait étape ce jour à Chartres où je vous accueille avec joie. Désormais, cette marche ne s’arrêtera plus et se poursuivra demain et les jours suivants en portant sur vos cœurs la bannière inaltérable du Sacré–Cœur.
Soyez fidèles à votre belle vocation. Amen.