Christophe Billan, président de Sens commun, vient d’attaquer le Salon beige dans Famille chrétienne. Motif ? Le Salon beige, « sous couvert d’apporter une information, radicalise le débat auprès de l’opinion catholique ». Pire, « Sens commun a subi de leur part l’anathème sans jamais avoir la possibilité de se défendre ».
Cette critique, à la veille des primaires, me semble assez logique. Sens commun a choisi de soutenir François Fillon ; ce n’est un secret pour personne que nous avons fait un choix différent.
Mais cette attaque est aussi une bonne occasion de clarifier certaines choses.
Mais, avant cela, je voudrais préciser que je ne connais pas M. Billan et que tout ce que j’en sais me le rend éminemment sympathique. Je ne crois pas du tout qu’il soit un arriviste, « vendant » son étiquette Manif pour tous pour avoir un poste, et je suis certain que, sur le plan doctrinal, bien peu de choses nous séparent. Je connais mieux Sens commun et, là non plus, je n’ai aucune aversion. J’ai toujours dit qu’il me semblait très courageux de porter nos problématiques au sein de l’UMP – comme je trouve très courageux de le faire au sein du FN. Mais j’ai toujours dit aussi que la force d’attraction d’un grand parti était gigantesque et qu’il faudrait donc garder le contact avec le mouvement social opposé à la loi Taubira, seule force d’attraction en mesure de contrebalancer l’influence d’un parti.
En tout cas, critiquer le choix de soutenir François Fillon dès le premier tour ne vaut évidemment pas critique de Sens commun. Ne serait-ce que parce qu’il serait bien difficile de prétendre que « tout Sens commun » s’est rangé derrière l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, puisque la plupart des personnes investies aux législatives au nom de Sens commun ne le soutiennent pas et que, si j’en juge par ce que me disent de nombreux lecteurs du Salon beige, bon nombre de militants de Sens commun voteront Poisson dimanche.
Mais venons-en aux critiques de M. Billan.
Je voudrais, tout d’abord, répondre à l’expression : « sous couvert d’apporter une information ». J’ai déjà dit souvent, ici et ailleurs, que je ne croyais pas à la presse d’information. Je ne crois qu’à la presse d’opinion. Forcément, tout rédacteur choisit les événements qu’il veut commenter en fonction de sa grille d’analyse et de son idéologie. Il est parfaitement vain d’espérer une neutralité. Je prétends, quant à moi, que les journaux qui s’affirment « neutres » sont hypocrites et menteurs. Au Salon beige, en tout cas, nous n’avons aucune prétention à la neutralité. Nous sommes clairement engagés. Que cet engagement ne plaise pas à tout le monde, c’est bien normal. Mais je mets au défi M. Billan de montrer qu’il y a, si je puis dire, tromperie sur la marchandise. Ceux qui nous font le plaisir et l’honneur de nous lire – y compris ceux qui le font pour s’énerver contre les « cathos identitaires », comme une bonne partie de nos confrères de la presse de gauche et d’extrême gauche… – le font précisément parce qu’ils savent qu’ils trouveront, sur le Salon beige, une revue de presse, des articles, des annonces orientés en fonction d’une certaine vision du monde. Si je devais résumer d’un mot cette vision du monde, je dirais que nous sommes des catholiques du Christ-Roi. Nous voulons que le Christ règne non pas seulement sur nos âmes, mais aussi sur nos familles et sur nos sociétés.
Je ne vois aucun inconvénient à ce que d’autres, catholiques ou non, aient d’autres visions du monde. Je sais fort bien que nous sommes minoritaires (Je le vis d’autant mieux que je sais avec certitude que ce sont les minorités actives qui mènent le monde). En revanche, je ne vois pas comment on pourrait nous accuser de faire quoi que ce soit « sous couvert d’apporter une information ». En réalité, c’est pratiquement l’inverse qui est vrai : nous n’apportons des informations que sous couvert de promouvoir la Royauté sociale du Christ !
Je réponds rapidement aussi à la question de l’anathème sur Sens commun. M. Billan ne doit pas lire souvent le Salon beige. Nous avons, dans des dizaines d’articles, soutenu, non pas Sens commun comme tel, mais tel élu, tel militant de Sens commun. Nous traitons donc nos amis membres de Sens commun exactement comme nos amis membres d’autres partis : en soutenant ce que jugeons bon et en critiquant ce que nous jugeons critiquable.
Quant à la « possibilité de se défendre », que nous aurions refusée à Sens commun, c’est tout simplement absurde. D’une part, parce que nous avons publié plusieurs explications de Sens commun sur son choix de soutenir François Fillon. Et d’autre part parce qu’aucune autre organisation, à ma connaissance, n’a jamais eu « la possibilité de se défendre » sur le Salon beige. Encore une fois, nous faisons une revue de presse en fonction de notre grille d’analyse, parfaitement connue du public. Je comprends sans peine que, sur tel sujet, telle personne ne soit pas d’accord avec nous, mais je n’ai jamais vu une personne demander à se défendre sur le Salon beige. Imagine-t-on Valérie Pécresse, que nous avons soutenue sur certains sujets (notamment quand elle était ignominieusement attaquée par Claude Bartolone), et que nous avons critiquée sur le Pass contraception ou sur son refus de revenir sur la loi Taubira, demande à se « défendre » sur le Salon beige ? Quand elle veut dire que la loi Taubira est gravée dans le marbre, elle s’adresse à d’autres que nous et cela me semble tout à fait naturel ! En tout cas, si, par impossible, elle nous demandait d’accueillir sa justification de l’intangibilité de la loi Taubira, elle se heurterait, tout aussi naturellement, à un refus.
Si le président de Sens commun a donc ce souhait bizarre de se « défendre » sur le Salon beige, cela ne peut signifier qu’une chose : qu’une partie significative des militants de Sens commun lui ont fait savoir leur désaccord et qu’il aurait aimé que le Salon beige, notoirement engagé dans un combat partagé avec Sens commun contre la loi Taubira, défende ses arguments. Mais, ce n’est tout simplement pas possible : nous pouvions exposer les arguments – nous l’avons fait –, non les défendre, puisque nous n’étions pas d’accord.
A mon avis, ce que révèle surtout cet entretien de Christophe Billan, c’est une incompréhension du fait que nous pouvons très bien viser un même but, en utilisant des tactiques et des stratégies différentes. Nous ne sommes pas un mouvement politique, mais un blogue. De la même façon que nous soutenons la Manif pour tous, en étant entièrement libres à son égard – comme elle est entièrement libre à notre égard –, nous soutenons l’action de Sens commun pour faire avancer la question de l’abrogation de la loi Taubira au sein de l’UMP. Comme nous soutenons l’action du collectif Fraternité en ce sens au FN ou comme nous soutenons l’action du PCD, du CNI ou du MPF… Ce n’est pas que nous refusons de choisir. C’est tout simplement que nous ne sommes pas, nous-mêmes, un mouvement politique, ni un think tank, ni un organisateur de manifestation… Nous sommes suffisamment peu nombreux sur la brèche pour que nous n’essayions pas de faire – moins bien – ce que certains de nos amis font très bien de leur côté.
Cependant, il demeure une question de fond. M. Billan oppose dans cet entretien la clarté et la radicalité. Je dois dire d’abord qu’il me semble très optimiste, s’il pense que le positionnement de François Fillon est « clair ». Personnellement, je ne sais pas ce que pense l’ancien Premier ministre sur un certain nombre de sujets majeurs – de la souveraineté de la France à la défense de la vie, en passant par la place de la religion dans l’espace public. Et je sais trop bien ce qu’il pense d’autres sujets majeurs comme la promotion du « droit fondamental à l’avortement », l’impossibilité d’abroger la loi Taubira ou la liberté scolaire, que son gouvernement, naguère, limita drastiquement, notamment en interdisant l’école à la maison pour plusieurs familles.
Mais, surtout, je ne vois pas en quoi être « radical » serait problématique. Bien sûr que nous essayons d’être « radicalement » catholiques ! Que l’engagement politique s’accompagne de la vertu de prudence est une chose, mais cela n’exclut pas nécessairement la radicalité. Et surtout pas sur le sujet de débat majeur que nous avons, entre la direction de Sens commun et le Salon beige, sur la question de l’abrogation de la loi Taubira. Ce n’est pas le Salon beige qui a inventé la notion de « principes non négociables » ; c’est Benoît XVI. Mais nous avons embrassé cette notion avec enthousiasme, non seulement parce qu’elle nous paraît juste (nous ne croyons pas que le parlement soit compétent pour dire ce qu’est le mariage ou ce qu’est un être humain ; ces notions préexistent au pouvoir politique et ce dernier n’a sur elles aucun pouvoir…), mais aussi parce qu’elle nous semble extrêmement prometteuse au plan politique. Certes, quand on se bat pour les principes non négociables, c’est que nous avons perdu beaucoup de batailles. Mais, en sens inverse, les principes non négociables offrent une position solide, à laquelle l’immense majorité des citoyens de bonne volonté peuvent se rallier.
Or, la question de l’abrogation de la loi Taubira est le principe non négociable le plus « porteur » pour 2017 : un mouvement social d’une ampleur incroyable a mis des centaines de milliers de personnes – très largement électrices de droite – dans la rue pour défendre la famille naturelle. Les politiciens de droite savent très bien qu’ils ne peuvent pas gagner sans nous. C’est donc le moment d’accentuer la pression pour obtenir que ce sujet figure en bonne place dans la plateforme de gouvernement de la droite pour l’alternance. Et je le dis tout net : si la droite ne fait qu’entériner les lois de la gauche, je préfère que la droite perde les élections. Il vaut mieux perdre sur ses idées que gagner sur celles de l’adversaire. C’est tellement évident que l’on rougit d’avoir à le rappeler.
Donc, oui, bien sûr, nous sommes « radicaux ». Pas pour le plaisir de faire la « politique du pire », mais par réalisme politique. Nous ne serons jamais pris en compte si nous ne sommes pas capables de dire : ceci est, pour nous, la ligne jaune à ne pas franchir.
J’ajoute que cela fonctionne. Je connais un peu l’UMP de l’intérieur – mieux sans doute que la plupart des élus de Sens commun. Il se trouve que j’ai été pendant plusieurs années l’assistant de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et l’un des caciques de ce parti. Ce n’est pas vraiment un secret que ce dernier aurait bien aimé que son collaborateur soit un peu moins actif dans l’opposition à la loi Taubira – et les médias gauchistes l’ont maintes fois « cherché » sur le sujet. Moyennant quoi, pendant les municipales de 2014, plusieurs sources marseillaises m’ont rapporté que ma présence à ses côtés était en quelque sorte un argument de campagne (non seulement auprès des « cathos », mais aussi, ce qui était plus cocasse, auprès des mosquées qui ont lâché le parti socialiste à cause de la loi Taubira !) : puisque j’étais là, c’était bien la preuve qu’il était un homme de la droite conservatrice. Réunissant son camp, il a gagné – et les voix des opposants à la loi Taubira n’y ont pas été pour rien.
La réalité, c’est que les hommes politiques savent compter – et bien mieux que nous. Et, n’étant pas très armés idéologiquement pour la plupart d’entre eux, ils sont prêts à tenir à peu près tous les discours qui peuvent plaire à leurs électeurs. La seule condition, c’est que lesdits électeurs disent clairement leurs exigences. C’est exactement à cela que servent des « radicaux » !
Guillaume de Thieulloy