Le père Matthieu Rougé, curé de Saint-Ferdinand-des-Ternes à Paris et ancien responsable du service pastoral d'études politiques, interprète dans le Figarovox les derniers propos du pape dans La Croix :
"Le Pape François vient de donner à un grand quotidien confessionnel français un entretien particulièrement déconcertant. Il y multiplie les prises de position que certains pourraient estimer contradictoires avec l'enseignement de ses prédécesseurs et avec les expressions catholiques habituelles. En réalité, avec son originalité et son exigence coutumières, le Saint Père déplace les questions pour mettre les catholiques en mouvement.
«Quand j'entends parler des racines chrétiennes de l'Europe, j'en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse», affirme le Pape. Tel haut responsable politique français, encore ému de l'intensité avec laquelle Jean-Paul II l'a littéralement supplié en 2003 de «ne pas oublier les racines chrétiennes de l'Europe», ne pourra qu'être frappé de ce changement de ton. François cependant ne cherche manifestement pas à faire passer les racines chrétiennes de l'Europe par profits et pertes mais à en préciser la portée: il ne s'agit pas d'un privilège culturel mais d'une responsabilité de service «comme pour le lavement des pieds».
Le rapprochement établi par le Pape entre l'islam et le christianisme est encore plus surprenant: «L'idée de conquête est inhérente à l'âme de l'islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter, avec la même idée de conquête, la fin de l'Evangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations». Les chrétiens authentiques, s'ils veulent vivre en artisans de paix, devraient-ils aller jusqu'à se défier des paroles de Jésus, leur Seigneur et leur Maître, et à renoncer à tout engagement missionnaire? Ce serait contradictoire avec les vigoureuses recommandations du Pape François lui-même dans son exhortation programmatique La joie de l'Evangile. Le Saint Père encourage en fait à l'évangélisation des cœurs et des libertés, qui ne doit ni ne peut se confondre avec une conquête politique.
Interrogé sur la crise persistante des vocations sacerdotales en France, le Pape, s'appuyant sur l'exemple historique de la Corée, lance sans précaution: «pour évangéliser, il n'y a pas nécessairement besoin de prêtres». Les prêtres doivent-ils du coup se sentir désinvestis et renoncer à relayer l'appel au sacerdoce? Non bien sûr. L'important est qu'au-delà du nombre de prêtres disponibles, qui peut varier selon les lieux et les époques, chaque baptisé se sache responsable de la vitalité de l'Eglise et capable de transmettre l'Evangile par le double témoignage de la parole et de la vie. […]"