Voici la préface de S. Éminence M. le Cardinal Robert Sarah au récent ouvrage du Père Jean-Paul Argouar’ch, de l’Institut de la Sainte-Croix de Riaumont, intitulé : “Passion de la Vendée“.
A noter l’évocation de l’abbé Thierry Lelièvre (cf. brève biographie : note 5 de la préface) faisant référence à sa thèse de doctorat concernant la canonisation des enfants. C’est une occasion de rendre hommage à ce saint prêtre, incardiné dans le diocèse de Rome (curé de la paroisse Saint François d’Assise) et missionnaire aux Philippines, décédé d’une leucémie à l’âge de 55 ans en 2010 :
Je suis très heureux de présenter l’ouvrage du Père Jean-Paul Argouarc’h de l’Institut religieux de la Sainte-Croix de Riaumont qui fut fondé en 1958 par le Père Albert Revet (1917-1986). Reconnu canoniquement par le Pape saint Jean-Paul II, cet ordre religieux est au service de la jeunesse en recourant à la méthode d’éducation du scoutisme prônée par le Père Jacques Sevin. Le village d’enfants de Riaumont est situé au cœur de l’ancien bassin minier de Lens-Liévin, dans le nord de la France, sur une colline dont le massif forestier est baigné du sang mêlé des soldats français et allemands de la première guerre mondiale. Il offre un cadre exceptionnel pour cette œuvre d’apostolat auprès des enfants et des adolescents, spécialement les plus déshérités. Je voudrais aussi souligner le rattachement de cette communauté religieuse à la famille bénédictine, puisque ses membres sont oblats réguliers de l’Abbaye Notre-Dame de Fontgombault.
Le 12 août 2017, j’ai eu la grande joie de me rendre sur le site du Puy du Fou à l’occasion de mon séjour en Vendée pour la célébration des sept cents ans du diocèse de Luçon à laquelle m’avait convié Mgr Alain Castet. J’avais été reçu par Philippe de Villiers, le créateur du Grand Parc et de la Cinéscénie, que je pourrais définir comme une fantastique et brillante aventure visant à illustrer la « Gesta Dei per Francos », selon le célèbre adage[1]. En présence du Rév. Père Abbé de Fontgombault, Dom Jean Pateau, j’avais affirmé dans l’homélie que « tout chrétien est spirituellement un Vendéen » et j’avais appelé le peuple de France « à se lever avec les armes pacifiques de la prière et de la charité pour défendre la foi catholique ». Avoir le courage de « se lever » : c’est sur ce verbe que je voudrais insister en guise de préface du livre du Père Jean-Paul Argouarc’h. Pour se lever, il faut entendre un appel, qui est celui de Dieu, et faire preuve de volonté et de courage.
Répondre à l’appel de Dieu : les Vendéens ont entendu l’appel de Jésus-Christ Notre-Seigneur face aux colonnes infernales qui voulaient les écraser au nom d’une idéologie dont le mensonge était le maître-mot et dont nous voyons avec effroi les derniers avatars dans le mépris de la vie, du mariage et de la famille, les manipulations génétiques, l’idéologie du genre et le transhumanisme qui marquent ce début du XXI siècle. Les Vendéens étaient conscients qu’ils allaient périr, car, contre ce déferlement « infernal » de la haine de Dieu et de la foi catholique, qui a abouti au génocide de toute une population, comme l’a bien établi le grand historien Reynald Secher, ils n’avaient comme armes spirituelles que la Très Sainte Eucharistie reçue clandestinement de la main des prêtres réfractaires, la prière du Rosaire et l’image du Sacré-Cœur cousu sur leur poitrine. Toutefois, ils connaissaient et avaient médité ces paroles de Notre-Seigneur :
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps… Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux… celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera »[2].
Comme je le disais dans mon homélie prononcée au Puy du Fou :
« Alors que grondait la tempête, les Vendéens, hommes, femmes et enfants, n’ont pas eu peur, tant ils étaient certains que, par-delà la mort, le Cœur de Jésus serait leur unique patrie ! ».
Faire preuve de volonté et de courage : lorsque le 25 septembre 1993, Alexandre Soljenitsyne vint en Vendée, invité par Philippe de Villiers, il fustigea la lâcheté des pays occidentaux libertaires et mondialistes, et il annonça leur déclin qui, disait-il, est dû en grande partie à la destruction de trois « murs porteurs » que sont la Vie, la Famille et la Tradition, c’est-à-dire l’enracinement dans la foi catholique et la civilisation qu’elle a engendrée : la chrétienté. Et pourtant, l’auteur de L’Archipel du Goulag avait aussi annoncé l’apparition progressive de « petites lucioles » en prédisant que
« des hommes se lèveront, au nom de la vérité, de la nature, de la vie ; ils cacheront, dans leurs pèlerines, des petits manifestes de refuzniks[3]. Ils exerceront leurs enfants à penser différemment, à remettre l’esprit au-dessus de la matière. Ils briseront la spirale du déclin du courage. Ainsi viendra l’éclosion des consciences dressées. Aujourd’hui les dissidents sont à l’Est, ils vont passer à l’Ouest ».
De fait, les Vendéens nous montrent l’exemple de la bravoure, celle du chevalier chrétien : quand il s’agit de Dieu et de la foi catholique, aucune compromission n’est possible, car l’honneur de Dieu ne se discute pas. Les Vendéens ont refusé cet effacement de Dieu dans la conscience des hommes de leur époque. Et ils sont morts martyrs, victimes du sabre de l’iniquité qui, dans les paroisses du Petit-Luc et du Grand-Luc, fut sans pitié. En effet, le 18 février 1794, les flammes du massacre allumées par la colonne infernale de la division Cordellier n’épargnèrent même pas l’église paroissiale où s’étaient réfugiés femmes, enfants et vieillards. Aujourd’hui, leurs noms sont inscrits sur les murs de la petite chapelle expiatoire, alors qu’à deux pas du sanctuaire, se dressent deux bâtiments plus récents, qui doivent leur naissance à Philippe de Villiers : l’Historial de la Vendée et le Mémorial de la Vendée. Dans son ouvrage, le Père Jean-Paul Argouarc’h, qui consacre sa vie de prêtre et de religieux à l’éducation de la jeunesse, fait mention du martyre des 209 enfants vendéens massacrés aux Lucs, dont beaucoup étaient des nourrissons âgés de quelques mois, véritable couronne de Saints Innocents qui, parvenus dans la Cité céleste, implorent le pardon de Dieu pour leurs bourreaux. « Il y aura des saints parmi les enfants », assurait déjà le Pape saint Pie X à l’aube du XX siècle. De fait, la canonisation des enfants n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui. C’est un signe des temps qu’on ne saurait négliger. Jusque dans les années 1980, malgré la canonisation du célèbre élève de saint Jean Bosco : saint Dominique Savio, en 1954[4], certains hésitaient encore. Voici la question qu’ils se posaient : à 5 ans, 8 ans ou même 15 ans, des jeunes peuvent-ils vraiment avoir vécu les vertus théologales et cardinales d’une façon « héroïque » ? C’est alors que dans les années 1980 parut la thèse de droit canonique d’un prêtre français, l’abbé Thierry Lelièvre[5]. Dans ce travail magistral, l’auteur a apporté un certain nombre d’éléments destinés à faire tomber ce doute et ouvrir ainsi la voie vers la canonisation de nombreux enfants et jeunes de notre époque[6]. En effet, l’abbé Lelièvre a montré que, à travers ces vies d’enfants et d’adolescents, la grâce de Dieu était à l’œuvre dans les âmes et qu’ils étaient capables non seulement d’actes héroïques accomplis d’une manière ponctuelle, mais aussi à tout instant de leur jeune vie : une vie de foi, d’espérance et de charité, vécue de manière héroïque. De telle sorte que tous ces jeunes peuvent être donnés en exemple aux enfants, aux familles, aux éducateurs, et être considérés comme des intercesseurs auprès de Dieu. Ainsi, parmi les causes les plus récentes qui ont abouti à la canonisation, l’une des plus célèbres est celle de Carlo Acutis, un jeune Italien mort d’une leucémie à 15 ans en 2006, qui a été béatifié à Assise le 10 octobre 2020. Citons aussi bien évidemment les deux pastoureaux de Fatima, François (10 ans) et Jacinthe Marto (9 ans), canonisés trois ans plus tôt, le 13 mai 2017. La liste est déjà longue de ces enfants et jeunes canonisés ou promis à l’honneur des autels : du Turinois Pier Giorgio Frassati (1901-1925), béatifié en 1990, à Chiara Luce (1971-1990) du mouvement des Focolari, béatifiée en 2010, de Anne de Guigné (morte à l’âge de 10 ans, déclarée vénérable en 1990) à Claire de Castelbajac (1953-1975), bien connue des religieuses cisterciennes de Boulaur qui ont obtenu de nombreuses vocations par son intercession, et du petit Philippin Darwin Ramos (1994-2012), enfant des rues de Manille atteint de myopathie, au jeune cristero mexicain José Luis Sanchez del Rio (1913-1928), mort martyr et canonisé en 2016, ou encore à la petite Anne-Gabrielle Caron, morte à huit ans d’un cancer, le 23 juillet 2010 dont Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, a ouvert le procès de béatification le 12 septembre 2020… De plus, je voudrais rappeler que depuis plus de trente ans, dans de nombreux pays du monde, les cloches des églises sonnent le glas, le 28 décembre à midi, en la fête des Saints Innocents, en l’honneur des saints innocents martyrs de notre époque, qui sont victimes de l’avortement et de toutes les formes d’esclavage, d’oppression et d’infanticide. Demandons pardon à tous ces enfants innocents dont l’avortement nous a privés de leur sourire. Pardon pour l’orgueil qui aveugle les âmes, les cœurs, les intelligences, les consciences. Pardon pour nos silences complices, nos lâchetés à défendre et protéger la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son terme naturel. Et à l’exemple des Vendéens, engageons-nous de manière résolue, en faveur de « la civilisation de l’amour et de la vie », selon la belle expression du Pape saint Paul VI, en faisant nôtre cette prière litanique que le Pape Benoît XVI avait prononcée à l’issue de la Veillée Mondiale de prière pour toute vie naissante, le 27 novembre 2010 :
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… réveille en nous le respect pour toute vie humaine naissante».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… rends-nous capables de discerner dans le fruit du sein maternel l’œuvre admirable du Créateur ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… bénis les familles, sanctifie l’union des époux, rends fécond leur amour ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… accompagne de la lumière de ton Esprit les choix des assemblées législatives, pour que les peuples … reconnaissent et respectent le caractère sacré de la vie, de toute vie humaine ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… guide le travail des scientifiques et des médecins, afin que le progrès contribue au bien intégral de la personne et qu’aucun être ne soit supprimé ou ne souffre l’injustice ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… donne-nous une charité créative pour qu’aucune famille ne tombe dans l’exclusion par manque de moyens financiers ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… console les époux qui souffrent de l’impossibilité d’avoir des enfants et, dans ta bonté, aide-les ! ».
Seigneur, Toi « la source de la Vie,… éduque-nous tous à prendre soin des enfants orphelins ou abandonnés, afin qu’ils puissent faire l’expérience de la chaleur de ta charité, de la consolation de ton divin Cœur ».
Je forme le vœu que l’excellent ouvrage du Père Jean-Paul Argouarc’h ait la diffusion qu’il mérite auprès des familles, et tout spécialement des jeunes et des enfants, afin que ceux-ci deviennent ces « lucioles » évoquées par Soljenitsyne qui, par leur courage, briseront la spirale du déclin des pays de chrétienté, en particulier, la France, Fille aînée de l’Eglise.
Cardinal Robert Sarah
[1] L’adage complet : « Gesta Dei per Francos ; Regnum Galliae, Regnum Mariae ! ” : l’action de Dieu passe par les Francs ; le royaume de France est le royaume de Marie. Le pape Grégoire IX (1227-1241), écrivant à saint Louis illustre bien cet adage antique : «Ainsi, Dieu choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la Foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse. Pour ce motif, l’action de Dieu passe par les Francs ; le royaume de France est le royaume de Marie ».
[2] Cf. Mt 10, 28.32-33. 38-39.
[3] Etymologiquement, le refuznik était un citoyen soviétique, d’origine juive, auquel les autorités communistes refusaient le droit d’émigrer.
[4] Saint Dominique Savio est décédé à l’âge de 14 ans en 1857.
[5] L’abbé Thierry Lelièvre est décédé d’une leucémie à l’âge de 55 ans, le 30 mars 2010. Aîné d’une famille de sept enfants, il a ressenti dès l’âge de 6 ans l’appel du Seigneur à devenir prêtre. Après son baccalauréat, il entre au Grand Séminaire de Rome et obtient un doctorat de droit canon à l’université pontificale saint Thomas d’Aquin (Angelicum). Il est ordonné prêtre à Rome en 1980, est nommé vicaire dans une grande paroisse de la Ville Eternelle, puis curé à la paroisse Saint François d’Assise de Rome. Mais touché par la misère morale et spirituelle des enfants, il part comme missionnaire en Asie : dans les bidonvilles de Manille, au Vietnam, en Thaïlande et en Inde, il vit au milieu des plus pauvres et évangélise sans relâche. Sa mission terminée, il revient à Rome quelque temps. Cependant, l’appel de l’Asie est plus forte et il demande à être envoyé comme missionnaire Fidei Donum : il repart donc à Zamboanga, petite île des Philippines, pour y installer un centre chrétien dans un secteur à majorité musulmane. Ayant découvert qu’il était atteint d’une leucémie, il doit revenir en décembre 2008 se faire soigner à Rome, où, malgré ses grandes souffrances, il a continué son rôle d’apôtre auprès des autres malades de l’hôpital Gemelli.
[6] Le titre était : « Les enfants peuvent-ils être canonisés ? » (éd. Téqui, 1984) Préface du Cardinal E. Gagnon. Vingt ans plus tard, il a réédité sa thèse sous ce titre : « Même les enfants peuvent être canonisés » (éd. Téqui, 2005).