Madeleine Bazin de Jessey, cofondatrice des Veilleurs et porte-parole de Sens Commun, écrit dans le Figaro :
"Une des plus belles surprises de l'opposition aux réformes sociétales du gouvernement a sans doute été la surprenante mobilisation de la jeunesse. Le gouvernement, en engageant sa «réforme de civilisation», s'attendait à trouver de vieux réactionnaires gouteux et arthrosés, derniers vestiges d'une «vieille France» en voie de disparition: il a dû faire face à des milliers de jeunes, étonnamment pacifiques, enthousiastes et inventifs. Rarement, dans l'histoire de notre pays, la jeunesse n'a acquis, aux yeux de ses aînés, une telle légitimité. Je vois encore ces personnes plus ou moins âgées qui, à la fin d'une Veillée, venaient nous trouver en nous disant: «Nous aurions désespéré sans vous, les jeunes. Mais vous nous redonnez espoir en l'avenir. Vous faites ce que nous aurions dû faire à votre âge. Vous êtes ce que nous laisserons derrière nous de meilleur.»
Cette espérance que nous avons allumée chez nos aînés, qu'allons-nous en faire? L'étouffer sitôt après l'avoir ranimée? Retourner à notre quotidien comme si nous n'avions rien appris? Attendre d'avoir perdu nos idéaux et émoussé toute la folle audace de notre jeunesse avant d'agir? Un effort n'obtient de résultat que s'il s'inscrit dans la durée. Dans une société où tout se consomme, s'use, se jette et se gaspille, ayons l'ambition du long-terme. Ayons le courage de cette persévérance qui seule fait gagner la guerre par-delà les batailles perdues. La mobilisation sur le court-terme est enthousiasmante et nombreux sont les volontaires. Mais ils se font nettement plus rares lorsqu'il s'agit de lancer un mouvement durable. C'est pourtant là que réside le véritable défi, là que se cache la vraie victoire: passer de la contestation à la construction, accepter d'avancer pas après pas, sans chercher à brûler les étapes, parce qu'il faut poser, brique par brique, des fondations solides si l'on veut avoir une chance d'ériger une société qui tienne debout demain.
Or cette œuvre de longue haleine passe aussi par l'engagement politique. Beaucoup de jeunes estiment aujourd'hui qu'il n'y a plus rien à attendre d'une sphère politique corrompue, pourrie, délétère, en un mot, perdue ; que le salut viendra de la société civile, des associations, des initiatives privées. Sans remettre en cause l'utilité fondamentale de pareilles initiatives, c'est par de tels raisonnements qu'on abandonne le champ politique à d'autres et que l'on se retrouve un jour confronté à la politique du pire. Ce sont de tels raisonnements qui ont laissé seuls face aux requins des hommes et des femmes de convictions qui auraient pu agir efficacement et garder le cap s'ils avaient reçu notre soutien. Et les initiatives de la société civile ne retrouveront leur pleine efficacité qu'à condition d'être relayées par les élus, à commencer par les élus locaux. La solution ne réside pas exclusivement dans la société civile ou dans la sphère politique: elle réside dans une réconciliation réelle entre l'une et l'autre, dans leur collaboration étroite au service du bien commun. Ce qui suppose un profond renouvellement des élites, ainsi que des vocations politiques nouvelles.
Certes, tous ne sont pas appelés à se jeter dans l'arène. Mais tout le monde peut trouver sa place dans une aventure politique, parce qu'un projet politique nécessite la coopération de tous: communication, mailing, réflexion, études, finances, mécénat, plumes, logistique, événementiel… Tous les talents sont nécessaires à la réussite d'un mouvement. Se former, militer, aiguillonner ses aînés: tels sont les trois terrains de conquête de la jeunesse aujourd'hui, et chacun y est appelé, quel que soit son parcours. Trop de jeunes limitent leur «action politique» aux publications sur Twitter ou Facebook, aux courageux commentaires anonymes de bas d'articles… Mais pense-t-on changer le monde du bout de son index? L'anticonformisme et les idéaux de notre jeunesse se limiteront-t-ils à quelques clics indolents ou rageurs? […]"