Le Dr Alain Toulza a rédigé une longue note (8 pages) sur l’affaire Castellucci. Je vous en livre quelques extraits :
[…] Cette pièce ayant donc déchaîné, dans nos milieux catholiques, une violente controverse dont une de mes filles, de prêtres et quelques uns de mes amis sont les principaux protagonistes, il ne m’est pas possible de me taire plus longtemps. […] L’internet est un outil tout de même précieux malgré de gros travers. On y découvre que les œuvres de M. Castellucci, Purgatorio par exemple, on toutes pour dénominateur commun de relever d’un art des scènes les plus provocatrices qui soient, au service d’un scénario « dérangeant », « cauchemardesque », « dans la continuité du théâtre de la cruauté imaginé par antonin Artaud », « des spectacles d’où la place du texte tend à s’estomper face à celle des corps, corps humains, acteurs parfois difformes ou mutilés, ou animaux, bêtes de ferme, voire serpents, qui créent du spectaculaire par leur seule présence à laquelle s’ajoutent hurlements, invectives et gesticulations ». Ce sont là des de réactions exprimées sur la toile et scrupuleusement transcrites en cliquant simplement sur « Roméo Castelluci ». […]
Roméo Castellucci, qui ne manque aucune opportunité, ces derniers temps, d’adresser un clin d’oeil aux catholiques en soif d’ouverture intellectuelle, pour mieux subvertir et diviser la catholicité, est un maître incontestable de l’ambiguïté : « Je fais un théâtre du questionnement, de l’inquiétude, qui joue sur l’ambiguïté. Et tout est ambigu dans Sur le concept du visage du fils de Dieu : Jésus, la merde, qui est aussi de la lumière… Ce que je cherche, c’est à fendre en deux la conscience, à ouvrir une blessure pour que les questions puissent entrer profondément en nous… Aujourd’hui, la religion a perdu sa capacité de poser des questions, et l’art a pris sa place…. » (entretien au Monde du 26 novembre 2011). […]
Or, dans le cas présent, la pièce pèche, d’une façon grave, au moins dans deux aspects majeurs. Le premier réside dans la profanation de l’icone du visage du Christ. Sur ce point là, il ne peut y avoir désormais le moindre doute : à la fin de la pièce, raconte Armelle Heliot dans lefigaro.fr du 30 octobre 2011 « père et fils passent derrière la haute toile et l’on entend des grondements, et l’on voit des pressions à l’arrière. De longues traînées sombres – de l’encre de Chine selon Castellucci – coulent sur le visage impassible tandis que se déchire la toile… ». Mais, à propos du regard du Christ du tableau, dont il disait dans son entretien au Monde que « Selon les moments, on peut y voir de l’indifférence, de l’ironie, voire de la cruauté », le scénographe lui-même s’était fait plus précis que la journaliste du Figaro dans son adresse aux agresseurs du 24 octobre précédent,: « C’est ce regard qui dérange et met à nu ; certainement pas la couleur marron dont l’artifice évident représente les matières fécales. En même temps – et je dois le dire avec clarté – il est complètement faux qu’on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle. »
Merci, monsieur, de cette précision ! Ah, la délicatesse ! Mais enfin, vous l’avez dit : « l’artifice évident représente les matières fécales ». Chrétiens admirateurs, l’avez-vous entendu ? Et cette fois, ce n’est pas un « intégriste » qui l’affirme : le visage sacré du Christ était censé être recouvert de merde. Alors, monsieur Castellucci, à quoi bon ajouter, si ce n’est encore pour tenter de maintenir, sur vos intentions, une ambiguïté bien moins crédible désormais : « Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d’un voile d’encre noir, descendant sur le tableau tel un suaire nocturne. » Faux jeton, va ! […]
Le second aspect majeur qui consacre le caractère évident de christianophobie de cette pièce est parfaitement décrit par Armelle Héliot dans le blog du Figaro sous le titre Les dérangeantes questions de Roméo Castellucci mais trois mois plus tôt, le 21 juillet 2011, c’est à dire dans le cadre du Festival d’Avignon. Il comporte, de ce fait, la séquence terminale de la pièce supprimée des séances du festival parisien. Ecoutons-la :
« Et, en surimpression sur le Salvator Mundi d’Antonello de Messine, You are (not) my Sheperd. Tu (n’) es (pas) mon berger. Surgissent des enfants. Ils vident leurs cartables bourrés à craquer de grenades à main qu’ils dégoupillent et lancent sur l’image immense. Bruit de tôle, explosions qui se transforment en lointaine musique. Pluie de grenades. Mais rien qui puisse déranger l’impassible figure, ni même y laisser la moindre trace. » Il ne faut quand même pas gâcher la marchandise ! Apprendre à de enfants à lancer des grenades (instruments de mort) sur le visage du Christ, ce n’est pas sacrilège ? Ce n’est pas une incitation à la haine du Christ, et des chrétiens ? Cette séquence terminale a été retirée des spectacles parisiens. A la place, se déchire la toile du visage sacré tandis qu’apparaissent les mots «You are my sheperd», tu es mon berger, et que leur négation «you are not my sheperd» s’y superpose.
La contradiction non levée des deux affirmations finales permet de rester dans l’ambiguïté entretenue, posture très « classe »d’un nihilisme pseudo spirituel et, à la fois, stratégie de désarmement des intellectuels catholiques qui se veulent « éclairés ». Mais, déchirure du visage sacré ou rejet des enfants jeteurs de grenades fictives, dans les deux cas il est évident, à moins de se boucher les yeux et le cerveau, que c’est la proposition négative qui l’emporte. Comment s’en étonner ? Toute l’œuvre de Castellucci porte la marque d’une désespérance irrépressible. […] Oui, Sur le concept du visage du fils de Dieu s’inscrit dans ce courant blasphématoire et sacrilège d’autant plus pernicieux qu’il se pare des vertus d’une pseudo quête de l’absolu. Quand l’évocation du Fils de Dieu s’immerge constamment dans des scènes pipi-caca, j’avoue que cela me donne envie d’étriper leur auteur plus que d’entrer dans son jeu radicalement diabolique. […]
Voir soi-même un spectacle de ce genre pour prétendre se faire une opinion solide est donc un leurre. Au moins, compte tenu de l’enjeu en cause, le spectateur qui en sort ébranlé devrait-il se donner le temps de retrouver sa respiration normale et d’interroger les études qui ont été publiées, avant de se lancer dans une initiative dissidente. Cela ne suffit pas. Si un doute subsiste, il faut user alors de la vertu de prudence, fille d’humilité, et réserver ses réflexions pour l’après. Car le combat ayant déjà commencé, ce n’est plus sa propre opinion qui est en cause, mais le sort de dizaines de jeunes qui n’ont pas attendu pour s’engager – courant des risques certains – au service de leur Maître qu’ils estiment gravement insulté. Même si l’on est en désaccord avec leur engagement, l’heure n’est plus à la controverse mais à l’unité sacrée. Il est en effet trop tard pour ouvrir un dialogue avec les siens, et tout message négatif diffusé tandis que l’opposition verbale s’est déjà muée en acte n’est plus susceptible d’être reçu par son propre camp et, pire encore, risque fort d’être dangereusement utilisé par le camp adverse. […]”