Voici le texte lu dimanche place de la Concorde par le R.P. Jean-François Thomas s.j, sur la Place Louis XV (« de la Concorde ») :
Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.
Souvenons-nous, avec émotion et non sans frayeur, des mots de Louis XVI à son valet de chambre Cléry le 20 janvier : « Je voudrais que ma mort fît le bonheur des Français et pût écarter les malheurs que je prévois. » Et ceux, plus terribles encore, prononcés alors qu’il était lié à la planche de la guillotine, ici-même, et rapportés par le bourreau Sanson : « Je voudrais que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. » Le sang du roi ne semble pas avoir fait beaucoup réfléchir les Français sur leur destinée, semblables à cela aux juifs condamnant le Messie lorsque Pilate déclara, se lavant les mains, qu’il était innocent du sang de ce juste : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants » répondit tout le peuple, comme le rapporte l’évangéliste saint Matthieu (XXVII. 24-25).
Dieu ne peut pas inverser le cours de la malédiction qu’un peuple choisit volontairement. Tel est le mystère de la liberté dont Il nous a revêtus, liberté totalement étrangère à celle prônée par la république athée. Prudhomme le girondin écrit dans un numéro des Révolutions de Paris ( n° 185) :
« Un citoyen monta sur la guillotine et, plongeant son bras nu dans le sang de Capet qui s’était amassé en grande abondance, il en prit des caillots plein la main et en aspergea par trois fois la foule des assistants qui se pressaient au pied de l’échafaud pour en recevoir chacun une goutte sur le front. – Frères, disait le citoyen en faisant son aspersion, frères, on nous a menacés que le sang de Louis Capet retomberait sur nos têtes ; eh bien ! qu’il y retombe. »
Horrible geste profanateur et blasphématoire qui se perpétue. Il est rapporté que quelques voix eurent le courage de s’élever contre ce crime :
« Un brave citoyen, voulant retenir la foule, lui adresse ces paroles : – Que faisons-nous, amis ? Les journaux de demain raconteront tout et l’étranger qui les lira nous prendra pour des bêtes féroces altérées de sang. – Du sang d’un despote, nous avons soif ! réplique un autre, le sang de Louis Capet est de l’eau bénite. – Et la foule bat des mains. » (Lettres de volontaires du Maine et Loire, tome III)
Le soir du 21 janvier, la Commune de Paris organisa un bal populaire à l’endroit où le sang du roi avait coulé : il fallait que le peuple fût diaboliquement baptisé en piétinant le sang de cette victime innocente.
Une telle délectation dans le mal ne peut cesser ses effets, à moins d’un repentir et d’une pénitence semblables à ceux des anciens habitants de Ninive à l’appel de Jonas. Il n’en fut rien, il n’en est rien pour la France qui persiste et signe avec une plume trempée dans le sang du roi, depuis plus de deux cents ans. Toutes nos misères actuelles trouvent leur source en ce matin froid, gris, terrifiant, du 21 janvier 1793. Nous sommes garrottés alors que Louis XVI, prisonnier, lié, condamné, était libre car tourné vers le ciel et soucieux du bien de ces sujets infidèles.
Quelques mois plus tard, le P. Pierre de Clorivière – cet ancien et ce futur jésuite, puisqu’il connut la suppression de son Ordre sous Louis XV et fut la cheville ouvrière de sa renaissance sous la Restauration – écrivit un ouvrage prophétique sur l’Apocalypse, jamais publié d’ailleurs. Il y analyse les causes de la Révolution et il y propose des remèdes susceptibles de nous laver du sang que nous avons versé. Il définit la Révolution française comme possédant trois caractères : elle a été subite, elle est grande, elle sera générale.
« Grande dans l’ordre politique, grande dans l’ordre moral, grande surtout dans l’ordre religieux. Par son objet, elle s’étend à tout ; rien n’est respecté, pas même les premiers principes de la loi naturelle ; les idées les plus universelles sont comptées pour rien, et les droits les plus imprescriptibles violés pour en forger de nouveaux. Ces droits nouveaux tendent à la suppression de toute espèce de joug naturel, religieux, divin même, comme à l’abolition de tout pouvoir légitime. Il ne suffira pas d’en avoir prévu la portée, mais lorsqu’elle aura prévalu et que la multitude s’y laissera entraîner, il faudra beaucoup de prudence, de force et de constance. La prudence sera nécessaire pour décliner sagement le danger, la force pour résister à des assauts répétés, la constance pour supporter patiemment les maux dont on doit s’attendre à être envahi de tous côtés. » (Études sur la Révolution)
Ceci fut rédigé en 1793-1794, alors que cette Révolution n’avait pas encore entraîné tous ses effets mauvais.
Le conseil du P. de Clorivière est plus que jamais d’actualité, puisque la république actuelle poursuit l’œuvre de son aïeule, celle qui a dansé ici dans le sang du roi, et de tant d’autres avec et après lui : prudence, force et constance. Appliquer à soi-même ces vertus très chrétiennes afin de se laver des souillures qui nous ont tous éclaboussés. Le mouvement de terreur déclenché en 1789 ne sera terrassé que par la conversion des mœurs et par l’agenouillement.
Dans son Testament, Louis XVI déclare qu’il laisse son âme à Dieu son créateur, et il répéta ces paroles, ultimes, lorsqu’il plaça sa tête sous le couperet : « Je remets mon âme à Dieu », comme l’entendirent les spectateurs les plus rapprochés. Comme le centurion regardant vers la Croix fut saisi par le Christ, homme juste et Fils de Dieu, certains – y compris parmi ses ennemis les plus haineux – reconnurent la sainteté de la mort de Louis XVI. L’ancien procureur-syndic de la Commune, Pierre Manuel, repenti, s’écriera, le 19 janvier : « La mort de Louis XVI sera la mort d’un saint. » (La Révolution de 92, n° 19 janvier 1793) Et Prudhomme, pourtant hostile, ne peut s’empêcher de noter, plein de regret : « Les prêtres et les dévotes qui déjà cherchent sur le calendrier une place à Louis XVI parmi les martyrs, ont fait un rapprochement de son exécution et de la Passion de leur Christ. » (Les Révolutions de Paris, n° 185) Quant au sanguinaire Hébert, il rugit dans Le Père Duchesne (n° 212) : « Le pape va en faire un nouveau saint ; déjà les prêtres achètent ses dépouilles et en font des reliques ; déjà les vieilles dévotes racontent des miracles de ce nouveau saint. » Hélas, les hommes d’Église ont été, eux aussi, gagnés par les idées révolutionnaires et ils ne se soucient guère du sang qui est retombé sur nos têtes. Contemplons ce ciel vers lequel Louis a tourné son dernier regard terrestre et implorons Dieu de nous purifier et de faire renaître notre pays bien-aimé.
Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.
P. Jean-François Thomas s.j.