De Cyril Farret d’Astiès pour Le Salon beige :
On ne peut que se réjouir de cette initiative courageuse de KTO, remercier le journaliste Étienne Loraillere qui a remarquablement tenu l’émission et être reconnaissant aux intervenants d’avoir su initier un débat salutaire tant il peut sembler difficile entre baptisés de se parler franchement, coincés que nous sommes parfois entre arguments d’autorité et esprit de maquis. D’autres initiatives verront-elles bientôt le jour ? Je ne peux que l’espérer depuis le temps que j’appelle à des échanges francs sur la question liturgique. Pour paraphraser saint Paul, « j’écris avec un peu d’audace ». Audace fondée sur la grâce d’avoir découvert il y a trente ans à l’aube de ma vie d’adulte, le trésor commun de la liturgie que je qualifierais de traditionnelle s’il faut lui donner un adjectif, et bien qu’il me semble de plus en plus que la liturgie est une, qu’elle est par nature traditionnelle, et qu’elle n’a pas besoin d’adjectif.
Je ne peux cependant réprimer un certain regret après cette première émission. Le débat ne parvient pas à aborder la question de fond : pourquoi croyons-nous mordicus que la sainte Église de Dieu ne peut vivre sans la respiration surnaturelle qu’offre la forme traditionnelle de la liturgie ? L’émission donne un peu trop de place à deux écueils dont nous risquons tous de demeurer prisonniers : les blessures réciproques et la sensibilité personnelle. Ces aspects ne sont que superficiels et ne permettent pas de soigner en profondeur la plaie brutalement rouverte qui pourtant donnait quelques signes de cicatrisation.
Peut-être faudrait-il pour de prochains échanges reprendre la question liturgique par le commencement :
Qu’est-ce que la liturgie ?
Est-elle d’abord un culte public ou d’abord une prière communautaire ?
Pouvons-nous posément étudier entre adultes ce qu’est la messe, ce que sont les sacrements, ce qu’est un prêtre sans nous réfugier immédiatement dans l’anathème, la posture outragée ou le compromis trompeur ?
Pour quel motif dans les années 1960 a-t-on réformé de fond en comble la liturgie pour la première fois de toute l’histoire de la chrétienté ?
Si les réformateurs et spécialistes ont pu critiquer (très librement et avec une imagination fertile) la liturgie traditionnelle et la transformer du sol au plafond, de la cave au grenier, au nom d’une nécessaire adaptation aux modes de l’époque, n’est-il pas légitime au nom d’une autre approche et fort de l’expérience des 50 ans de mise en œuvre de la réforme de revoir cette copie ?
Est-il possible de comparer (simplement comparer) les deux rits puisque deux rits il y a ? En particulier les aspects les plus significatifs des deux liturgies et qui, pour le cas concret de la messe, sont principalement la langue, le mode de communion, le canon, l’orientation et l’offertoire. Mais aussi, pourquoi pas, les calendriers, les lectionnaires…
Pouvons-nous convenir que poser au fond la question de la communion dans la main, de la concélébration systématisée, du remplacement de l’offertoire par une présentation des dons, des sous-diacres par des lectrices, n’est pas, et bien loin s’en faut, une déclaration de sédévacantisme ?
Comment faut-il comprendre l’expression « Église conciliaire » utilisée d’un côté comme de l’autre de l’échiquier ?
Faut-il en déduire pour une part — ce que semblent indiquer et le pape François et Mgr Roche dans le motu proprio et les dubia — qu’une nouvelle foi en accord avec la nouvelle prière publique a vu le jour après Vatican II ?
Puisque la réforme a été essentiellement voulue pour deux motifs majeurs qui sont la pleine efficacité pastorale (Sacrosanctum Concilium n° 49) et la clarté des réalités saintes qui sont célébrées (SC. 21), est-il réellement outrageant de poser la question du résultat de cette réforme plus de cinquante ans après alors que, comme aime à le répéter le cardinal Sarah, l’Église semble vivre son Vendredi Saint ?
La réforme a-t-elle atteint ses objectifs ?
Le nouveau printemps qui nous était promis a-t-il éclos ?
Est-il possible de subordonner à un motu proprio tout l’héritage mystique, spirituel, pastoral, civilisateur, artistique, coutumier engendré par la Tradition liturgique de l’Église latine ?
Et puisque citer monseigneur Lefevbre ou Jean Madiran serait malheureusement source d’incompréhension, pouvons-nous, avec le cardinal de Lubac juger que l’Église est confrontée à une crise profonde et qu’elle est menacée d’une apostasie immanente et se laisse entraîner à n’être plus qu’un mouvement de laisser-aller général sous le prétexte de rajeunissement, d’œcuménisme, ou d’adaptation ?
Pouvons-nous avec Gustave Thibon juger que c’est toujours un grand mal de croire dépassé ce qui est irremplaçable ?
Pouvons-nous avec un groupe de théologiens des années 60, être fondés à craindre que, ne mettant plus en évidence le Sacrifice de Jésus, l’ordo Missæ ne le voue en fait à l’oubli ; car ce Sacrifice est une réalité trop surnaturelle pour que l’homme puisse, sans signe, s’en souvenir et en vivre ?
Pouvons-nous avec Yvon Tranvouez, Yann Raison du Cleuziou, Michel Onfray, Paul Vigneron, Maurice Clavel, Guillaume Cuchet et tant d’autres qui ne sont pas directement de notre paroisse, nous demander si, par hasard, la pastorale liturgique mise en œuvre avec une constance et une résolution qui forcent l’admiration ne serait pas pour quelque chose, quelque chose au moins, dans l’effondrement général du catholicisme de l’occident chrétien ?
Pouvons-nous avec Paul VI, être indisposés par les fumées de Satan qui semblent s’infiltrer par quelques interstices ?
Pouvons-nous avec Jean-Paul II demander à ce que soit partout respectées les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse ?
Pouvons-nous avec Benoît XVI considérer que ce qui a été sacré pour les générations précédentes ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ?
…
Et en retour naturellement, nous attendons avec impatience les questions des tenants de la nouvelle liturgie.
Parviendrons-nous à faire tout cela avec, au cœur, la volonté de rendre à Dieu d’abord ce qui lui est dû, de favoriser le bien des âmes et de servir notre mère la sainte Église ?
Quoi qu’il en soit, encore merci à KTO, aux six intervenants et au journaliste pour cette première qui n’est, je l’espère, que la première !
Cyril Farret d’Astiès