D’Antoine Bordier pour Le Salon beige :
Le 1er octobre, au moment où l’Eglise fêtait la petite Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, qu’aimait tant Michael, ils sont nombreux à être venus lui dire « A Dieu » lors de ses obsèques, à l’église Saint Roch de Paris. Le 1er novembre, un mois après, au moment où l’Eglise fête la Toussaint, ils continuent à lui rendre hommage. Interviews croisées de fidèles amis de Michael.
Avant de parler de votre relation avec Michael Lonsdale, pouvez-vous vous présenter ?
Pierre Fesquet : J’ai 52 ans, je suis metteur en scène et comédien.
Patrice Martineau : J’ai 67 ans et je suis auteur-compositeur-interprète. Je suis un artiste professionnel, depuis 35 ans. J’ai enregistré environ 25 albums, et, j’ai fait entre 1500 et 2000 concerts en France et à l’étranger.
Serge Sarkissian : Je suis chrétien de confession protestante. J’habite à Allauch près de Marseille. Je dirige une maison d’éditions et une société de productions Onesime2000. Je suis également auteur de pièces de théâtre. Les plus récentes : Le temps qui dure co-écrite avec Mgr D Rey et Crépuscule Rouge qui sera présentée au prochain festival d’Avignon en 2021.
Le 21 septembre, Michael partait sur la pointe des pieds, vers midi. Le 1er octobre, un dernier hommage lui a été rendu, par ses amis et son public, lors de ses obsèques célébrées à Saint-Roch, la paroisse des artistes. Pensez-vous que le gouvernement aurait pu lui rendre, aussi, hommage ?
Patrice Martineau : Il l’aurait amplement mérité. Mais l’essentiel pour Michael était ailleurs. Il n’a cherché qu’à semer le bien et célébrer le beau, et, en cela il a mieux réussi que ceux qui ont la reconnaissance de l’Etat. Il n’a cherché à plaire qu’à Dieu. Le ministère de la culture ne sait pas ce que cela veut dire. Mais ce qu’il nous a laissé est plus éclatant que toutes les récompenses réunies.
Serge Sarkissian : Le talent de comédien et la personnalité de Michael sont reconnus par l’ensemble de la profession. Le grand public a une réelle estime pour lui. Concernant la raison de la non-présence des officiels à ses obsèques, peut-être que Madame la ministre de la culture avait un calendrier fort chargé, et, qu’elle n’a pu se libérer. Toutefois, on peut déplorer l’absence de l’un de ses collaborateurs.
Comment avez-vous vécu l’annonce de son décès ?
Pierre Fesquet : Ma première pensée, à l’annonce du « départ » de Michael, fut une prière. Prière pour son âme, et prière d’action de grâce, pour toutes les choses vécues et créées ensemble. La tristesse, également, entoura cet instant. J’ai également pensé à la sainte de Lisieux, la petite Thérèse que Michael allait enfin rencontrer !
Patrice Martineau : Heureux et triste. Heureux, car il est entré en Dieu vers lequel il a tendu toute sa vie. Le bonheur éternel et absolu. Et triste, parce qu‘en perdant Michael, nous perdons une petite partie de nous-mêmes. Ce sont les inconvénients de la vie charnelle. Quand quelqu’un qui nous a apporté du bonheur nous quitte, on ne peut s’empêcher de dire : « Aïe ! ». Et en même temps nous gagnons un intercesseur ami dans le ciel.
Vous connaissez Michael depuis longtemps. Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ? Et, comment êtes-vous devenus si proches, par la suite ?
Patrice Martineau : Depuis 30 ans, c’est notre ami commun. C’est Daniel Facérias qui nous l’a présenté au Festival « Magnificat » de Paray-le-Monial en 1987, auquel je participais avec mon frère Roger. Par la suite, nous avons monté 3 projets ensemble pour lesquels il a fait la mise en scène : en 2001, la Comédie Musicale « Marie-Madeleine », en 2007, « Je suis l’Immaculée Conception », et, en 2016, « Sur les pas de Montfort ».
Pierre Fesquet : J’ai rencontré Michael, en 2011. Il était venu voir une pièce de théâtre dans laquelle je jouais. Puis en 2012, j’ai créé un spectacle musical, à Orléans, pour le 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc : « Nos voix pour Jehanne ». Michael fit partie de notre petite troupe, heureux de raconter l’héroïne d’Orléans. Mais c’est en 2014, au théâtre du Poche Montparnasse qu’une collaboration durable va s’établir avec le spectacle poétique : « Entre ciel et terre : Péguy ».
Serge Sarkissian : Nous nous sommes rencontrés, il y a près de 30 ans, à Marseille, au cours d’une exposition thématique « Bible et Méditerranée », dont j’étais le secrétaire général. Michael avait très gentiment accepté de nous apporter son soutien. Depuis lors, nous avons collaboré sur plusieurs projets de livre et de théâtre. Avec le temps, Michael est devenu un membre à part entière de notre famille.
Racontez-nous des anecdotes qui vous ont marqué et qui mettent en lumière son caractère, sa personnalité, sa sensibilité, son talent. Quel est le trait de son caractère qui vous touche le plus ?
Pierre Fesquet : Plusieurs images de ces années partagées ensemble me reviennent. Un moment très fort, fut la représentation du « Péguy/Lonsdale », le 15 novembre 2015, le surlendemain des attentats. Michael, habituellement, débutait toujours par une petite méditation sur la poésie de Péguy. Là, grave, il commença par ces lignes : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle… » Puis, l’émotion gagna la salle durant le texte de la « petite fille espérance ». Lors de la signature de notre livre : « Entre ciel et terre : Péguy », qui avait lieu après chaque représentation, nous avons rencontré des familles endeuillées par ces attentats. Michael demandait à chaque personne, qui faisait signer le livre, de se mettre face à lui, à nous. Son écoute était totale.
Patrice Martineau : Michael avait un véritable esprit d’enfance. Il était plein de bon sens et ne posait que des questions simples. Il aimait le travail bienfait mais ne réclamait jamais l’impossible. Il aimait utiliser tout ce qui était à portée de sa main, il en était de même avec les artistes qu’il dirigeait, il ne cherchait pas à épater mais à tirer le meilleur de chacun, fermement mais gentiment. Et finalement il obtenait ce qu’il voulait. Il était habité par une grâce d’enfant. Je me souviens, il y a quelques années, alors qu’il était le parrain du Printemps des Poètes de l’avoir entendu sur France Inter répondre à Augustin Trapenard qui lui demandait quel rôle l’avait le plus marqué. Il avait répondu avec espièglerie : « Atchoum », le petit nain de Blanche-Neige qui avait été son premier rôle à la radio, quand il était enfant au Maroc.
Michael Lonsdale a été récompensé en 2011, lorsqu’il a reçu à Cannes le César du second rôle, pour le film Des hommes et des dieux. Avez-vous regardé ce film ? Combien de fois ?
Pierre Fesquet : Le film « Des hommes et des dieux » est bouleversant car Michael a habité le rôle de Frère Luc, avec son âme. Des scènes furent improvisées, notamment celle où il va caresser de sa joue la reproduction de « La flagellation du Christ » du Caravage. Cette scène me touche beaucoup. C’est l’éclectisme de son art au cinéma, au théâtre et en peinture qui en fait un artiste à part.
Serge Sarkissian : Personnellement j’ai vu le film à 4 reprises, et, dans des circonstances précises. Dont une représentation publique en présence de Michel, quelques mois après la sortie du film et dans le cadre d’une rencontre œcuménique organisée à Marseille où l’église était bondée nous avons dû refuser du monde.
Michael Lonsdale est aussi un personnage mystique, proche de Dieu. Il s’est converti à l’âge de 22 ans. Que pensez-vous de son côté divin ? Avez-vous un souvenir particulier à raconter ?
Pierre Fesquet : Michael était un homme de prière. Une prière vivante. Un soir, nous avions joué à côté de Paris, en Essonne, et, dans la voiture, il m’a dit qu’il allait prier pour une dame, présente au spectacle, qui venait de perdre un cheval dans son élevage. J’en étais étonné, et Michael m’expliqua combien il avait senti le chagrin, la solitude de cette personne.
Patrice Martineau : J’ai passé un peu de temps en studio pour ses prises de voix, et, je dois avouer que j’ai toujours été surpris de la musique qui s’en dégageait. Ce que je vais dire est peut-être un peu osé, mais je le pense vraiment. Il y avait en lui comme un écho du chœur des anges. D’où sa proximité avec les saints, sainte Thérèse en particulier. Mais en 2016, il nous a dit sa joie d’avoir découvert sur le tard saint Louis-Marie Grignion de Montfort qu’il ne connaissait pas à l’occasion de la préparation de la mise en scène du spectacle.
Serge Sarkissian : Michael avait une foi intuitive capable de discerner l’essentiel de la vacuité. C’est pourquoi, il pouvait dire que « Dieu était son ami ». Un jour que nous dissertions sur la question du sens de la vie, je lui ai posé cette question : « Michael as-tu peur de la mort ? ». Il m’a répondu, d’un air très malicieux avec sa voix inimitable, « mais voyons Serge pourquoi aurais-je peur de la mort ? Puisque j’ai mis ma confiance en Jésus ! ».
Pour conclure, quel message personnel souhaiteriez-vous lui adresser ?
Pierre Fesquet : Il y a quelques semaines, en ouvrant, par hasard, un livre très ancien sur sainte Thérèse de Lisieux, j’ai lu cette phrase : « Maintenant tout mon exercice est d’aimer ». J’ai cru entendre, intérieurement, Michael.
Patrice Martineau : MERCI MON CHER MICHAEL ! pour ta douce amitié et tous ces merveilleux moments passés au Vauban, chez toi ou autour de nos spectacles. Nous resterons amis dans la prière. A Dieu Michael, tu ne fais que nous précéder dans la Maison du Père où se retrouvent tous les hommes libres et aimant comme tu le fus dans ton périple terrestre. Michael est mort, Vive Michael !
Serge Sarkissian : Michael s’en est allé, mais il reste présent, avec le souvenir de son amitié et de sa foi ! Plaise à Dieu que son exemple nous encourage à suivre le chemin sur lequel il s’était lui-même engagé à la suite du Christ son Seigneur. J’ai l’intime conviction qu’en son fond intérieur, il attendait ce dernier rendez-vous sans appréhension, car il n’était pas, troublé par l’idée de la mort, ayant fait sienne, je le crois, les paroles du Christ-Jésus : « Que votre cœur ne se trouble pas, croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père, et, je vais vous préparer une place. Afin que là où je suis, vous y soyez aussi et là où je vais vous en savez le chemin. »
Entretiens croisés réalisées par Antoine BORDIER