Me Yann Streiff a comparu le 23 décembre devant la formation de jugement de l’ordre des avocats de Paris, pour avoir soutiré 1,6 million d’euros à l’une de ses clientes en situation de faiblesse, qui alternait tentatives de suicide et séjours à l’hôpital. Il a été condamné à trois ans de suspension d'exercer par le barreau de Paris. Fait rare, cette sentence disciplinaire est frappée d’appel à la fois par le procureur général de Paris et par le bâtonnier de la capitale, Pierre-Olivier Sur, dont le mandat s’achevait deux jours plus tard. Au vu de la gravité des faits, ils veulent que Me Streiff soit radié définitivement. Ce double appel est embarrassant pour le barreau de Paris, qui se retrouve accusé d’avoir manqué de sévérité envers l’un de ses membres, non seulement par le procureur général, mais aussi par son propre patron.
Yann Streiff a, selon une enquête de Mediapart, bénéficié pendant quinze ans d’une étonnante mansuétude de l’ordre chargé de sanctionner les atteintes à la déontologie, malgré son implication dans plusieurs autres affaires.
Les ennuis de l'avocat commencent au milieu des années 2000. Avec sa confrère et amie Caroline Mecary, connue pour son engagement en faveur des homosexuels (ils ont plaidé ensemble des affaires de PMA et GPA), Yann Streiff défend deux héritiers français de la célèbre peintre américaine Joan Mitchell. Le 11 mars 2003, après sept ans de procédure, un accord bouclant cette succession conflictuelle est sur le point d’être conclu, avec 700 000 euros de rémunération à la clé pour les deux avocats. Mais deux jours avant, Streiff et Mecary font signer à leurs clients un avenant leur accordant des honoraires supplémentaires, sous forme de 46 tableaux de Joan Mitchell, dont la valeur n’a pas encore été expertisée. Les héritiers découvrent après coup que ces œuvres valent, au minimum, plusieurs centaines de milliers d’euros. Selon leurs calculs, les avocats se seraient ainsi attribué 70 % de l’héritage qu’ils ont contribué à récupérer ! Ils saisissent le bâtonnier de Paris. Dans sa plainte, l’un des héritiers affirme que Me Streiff lui a fait parapher l’avenant sous la pression, en le menaçant de ne pas signer l’accord qui allait mettre fin à la procédure.
En 2004, Caroline Mecary est élue au conseil de l’ordre. Coïncidence : l'année suivante, le bâtonnier Jean-Marie Burguburu déboute les héritiers de Joan Mitchell. Mais sa décision est sèchement annulée deux ans plus tard par la cour d’appel de Paris : les honoraires, jugés abusifs, sont limités à 500 000 euros, et les avocats condamnés à rendre les tableaux. Les héritiers devront pourtant engager une procédure judiciaire pour les récupérer… En revanche, la cour a jugé que les accusations de pressions n’étaient pas démontrées. Selon la justice, il s’agit donc d’un banal conflit d’honoraires.
On retrouve Yann Streiff dans une troisième histoire de succession, d’argent et de tableaux : l’affaire Vasarely. En 1995, la fondation créée par le peintre Victor Vasarely, maître de l’art optique, a été vidée de ses œuvres à la suite d'un arbitrage vérolé, organisé par la belle-fille de l’artiste, Michèle Vasarely, qui sera annulé pour fraude, vingt ans plus tard, par la justice. L’avocat de Michèle Vasarely n’était autre que Yann Streiff. Or il a reçu, un an après l'arbitrage, 93 tableaux de Vasarely, officiellement pour services rendus à la famille. Sauf que la valeur des œuvres (environ 600 000 euros) est quatre fois supérieure au montant des honoraires facturés… C’est en vendant une partie de ces toiles que l’avocat a pu s’offrir sa résidence de Santa Catalina, un ancien couvent du Cap-Corse avec vue imprenable sur la mer. Pierre Vasarely, le petit-fils de l’artiste, saisit le bâtonnier de Paris. L’affaire est classée sans suite.