Une lectrice nous envoie le texte suivant.
Le site américain LifeSite News s’est fait récemment l’écho d’une interview donnée à Noël par un archevêque hongrois retraité, Mgr Márfi, ancien ordinaire de Veszprém, à l’hebdomadaire Magyar Jelen. Le prélat hongrois y parle abondamment des dangers qui guettent l’âme de l’Europe, en particulier la franc-maçonnerie, la culture LGBT et l’islam. Jusque là, pas grand-chose à redire, mais un passage contient une grosse erreur de fait, une erreur pure et simple. LifeSite News fait dire à l’archevêque, en style indirect, que “la ville de Bruxelles, la capitale de l’UE, a refusé d’ériger en 2012 un arbre de Noël par peur de froisser sa population musulmane“. Dans l’original, Mgr Márfi va en fait plus loin, puisqu’il affirme que “l’arbre de Noël [qui se trouve d’habitude] devant l’hôtel de ville de Bruxelles a disparu il y a déjà 8 ou 10 ans, pour éviter de froisser la sensibilité des musulmans“. En réalité, qu’il s’agisse de la substance de la version hongroise ou anglaise, c’est tout simplement faux.
Ayant de la famille en Belgique, je connais cette affaire de façon circonstanciée mais il est à noter que les faits sont facilement vérifiables à distance – du moins pour toute personne sérieuse (a fortiori pour des blogueurs et journalistes) et soucieuse de la vérité. Les faits, les voici:
– Il est exact que la Ville de Bruxelles érige chaque année un grand arbre de Noël pour décorer sa magnifique grand-place (dont Victor Hugo, qui y a habité, disait qu’elle est “le plus beau théâtre du monde”).
– L’exactitude des propos de Mgr Márfi s’arrête là, puisqu’à l’Avent 2012 Bruxelles a bel et bien accueilli un sapin sur sa grand-place, comme chaque année, et que cette tradition perdure à ce jour et ne donne aucun signe de toucher à sa fin. S’il s’était donné la peine de faire une vérification toute simple, Mgr Márfi se serait rendu compte que, le jour même où il tenait ces propos, à la Noël 2022, il y avait encore et toujours un arbre de Noël devant l’hôtel de ville de la capitale belge. Le voici, lors de son installation en novembre 2022.
– Notons que c’est LifeSite News qui ajoute aux propos de l’évêque la mention explicite de 2012. Cette date n’est pas dans l’interview originale: d’où vient-elle? Le média américain se sera certainement souvenu des articles parus en décembre 2012 et janvier 2013 dans toute la blogosphère tradi-identitaire au sujet d’un prétendu retrait du traditionnel sapin de Noël bruxellois pour ne pas offenser les musulmans (très nombreux dans la ville). Seul hic, cette “information” était – et est toujours – un bobard pur et simple.
– Ce qui s’est passé à l’Avent 2012 est que le bourgmestre (maire) de Bruxelles a décidé d’installer, à la place de l’habituel sapin naturel, une espèce de “sapin” hightech à l’esthétique plus que douteuse. Mal lui en prit, puisque cette “création artistique” fut très peu appréciée de la population:
À la polémique sur le mauvais goût de ce “sapin électronique” vint s’en ajouter une autre, de nature religieuse. C’est là que les Romains s’empoignèrent: beaucoup de Belges, qui n’avaient probablement pas mis les pieds sur la grand-place de leur capitale, se mirent à supputer que ce “geste artistique” audacieux avait été motivé par une volonté d’effacer le caractère chrétien de Noël et, pour faire bonne mesure, ils y virent une volonté de ménager la sensibilité des musulmans (très nombreux à Bruxelles, il est vrai).
– Seul problème: cette interprétation religieuse relevait de la spéculation pure et simple. D’ailleurs, même un enfant de 5 ans comprend que le sapin n’est pas le plus chrétien des symboles liés à Noël. Or, justement – et j’ai gardé le meilleur pour la fin – la grand-place de Bruxelles s’orne chaque année à la même époque d’une magnifique crèche grandeur nature: voir la photo d’illustration de cet article mais aussi cette vidéo.
– En 2012, même avec ce hideux “sapin”, la crèche était bel et bien là. Dire que la ville de Bruxelles a déchristianisé le Noël de sa grand-place pour ne pas choquer les musulmans est donc une ânerie monumentale. Déchristianiser Noël en installant une splendide crèche, j’ai du mal à comprendre… Chez nous, en France, ceux qui se battent – à raison – pour que nos crèches puissent rester dans les lieux publics se sont ridiculisés jusqu’au cou en reproduisant au sujet de Bruxelles leur discours sur la déchristianisation de la fête de Noël, alors que la capitale belge installait comme à son habitude sa représentation grandeur nature de la Nativité.
– Rien n’y fit: la polémique était lancée, elle était virulente et l’indignation esthétique, bien compréhensible, devint bientôt indissociable d’un ressentiment religieux qui était en l’occurrence totalement erroné. La bêtise humaine faisant, cette querelle fit boule de neige, en Belgique et à l’étranger. Elle fut reprise d’innombrables fois par les médias identitaires d’une foule de pays de l’ancien et du nouveau monde. Ce fut le cas entre autres de publications orbanistes en Hongrie (je m’en souviens, puisque je voyage souvent en Hongrie et y entretiens des contacts). À partir de ce moment-là, le bobard était impossible à rattraper, le génie impossible à remettre dans la boîte.
N.B.: depuis 2013, la ville de Bruxelles, échaudée par la polémique, a renoncé à son horreur électronique et installe de nouveau un “vrai” sapin.
– À présent, 10 ans plus tard, Mgr Márfi reprend la fausse nouvelle lancée en 2012 et la voilà qui, telle une boucle, repart vers sa région d’origine, l’Europe occidentale, et même l’Amérique du Nord. Voilà ce qui arrive quand on se dispense d’un travail élémentaire de vérification des sources, voire des simples faits. À défaut de contacts sur place comme c’est mon cas, n’importe qui peut vérifier les faits en quelques minutes d’une recherche web élémentaire. Il constatera qu’en 2012 la sapin de Noël de Bruxelles n’avait pas été supprimé mais avait “seulement” été remplacé par une horreur d’art contemporain et que le symbole de Noël par excellence, la crèche, était présente sur la grand-place cette année-là comme chaque fois.
Il y a suffisamment de faits réels de déchristianisation de l’Europe occidentale (chez nos voisins belges et ailleurs), sous influence de l’islam et/ou de la maçonnerie, pour qu’on n’aille pas en inventer là où trône une crèche!
Le plus confondant est que cette fausse information ait été reprise (forcément sans vérification) par des blogueurs et journalistes qui se disent professionnels de l’information (ou de la réinformation, comme ils disent). Comme on voit, ce bobard qui fait florès depuis 10 ans a été avalé et recraché “tout cru” par des gens censés être sérieux et professionnels.
Il serait bon de comprendre que, à colporter de fausses informations, on risque de discréditer tout son propos. L’esprit humain est ainsi fait que, face à ce genre de travail bâclé, le contradicteur tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain et à réagir de façon moqueuse la prochaine fois que ces “professionnels de l’information” et officines de réinformation publieront une nouvelle inquiétante en matière de déchristianisation: “C’est sans doute encore comme le coup du sapin de Bruxelles”. C’est ce qui s’appelle scier la branche sur laquelle on est assis ou encore se tirer une balle dans le pied. Les Hongrois, peuple de cavaliers, ont une tournure plus imagée: c’est “tomber de l’autre côté du cheval” (kiesik a ló másik oldalára). C’est un navrant gâchis parce que dénoncer la déchristianisation de l’Europe de l’Ouest sous l’effet conjugué de l’islam et de la franc-maçonnerie est une nécessité mais encore faut-il veiller à ne pas saper sa propre crédibilité. Critiquer la grande presse (“fake news media”, comme l’appelle le peroxydé de Mar a Lago), c’est bien beau et il y a évidemment matière à le faire sur le fond comme sur la forme, mais commencer par balayer devant sa porte est encore mieux.
Addendum de la rédaction :
Il y a bien eu une affaire du sapin de Noël à Bruxelles, mais il s’agissait de celui du Palais de justice, retiré suite à une plainte de musulmans. L’affaire date de 2007 : voir ici et là.
incongru
le sapin de Noël, symbole chrétien ! les curés des années 50, et avant, criaient contre, en chaire et ailleurs, car c’est un symbole païen, nordique, ainsi que le Père Noël, lui aussi voué aux gémonies.
alors aujourd’hui, voir ce cirque pour un symbole de Noël sois disant chrétien …. Par contre, pour la crèche, les FM et autres libres (pas libres du tout) ne s’y sont pas trompés ; quant aux mahométants, tout les défrise, sauf leurs symboles, et doivent bien rigoler, s’ils sont avertis, des petites disputes des koufards
Trophyme
Article unique en son genre : il pointe un problème capital, celui de la crédibilité, qui est aussi une question morale majeure pour nous.
Et il illustre parfaitement ce problème avec cet exemple du sapin de Bruxelles. De plus très agréable à lire tout en étant clair et rigoureux.
Bref, un modèle du genre. Je le fais suivre largement car nombreux sont ceux qui peuvent en tirer profit.
Merci à son auteur d’avoir pris le temps de décrire aussi bien cette question, et merci au SB de nous l’offrir.
Montalte
En revanche, j’avais eu vent de sapins de Noël retirés il y a plusieurs années de l’aéroport de Montréal. Info ou intox ?
zongadar
Merci pour cette leçon : “Sens critique – travaux pratiques”. Je pense que le nombre de cas concrets va exploser ces prochains temps.