Extraits du témoignage de M.
Philippe Beny, Commandeur de la Légion d’honneur, à propos de la manifestation du 24 mars :
"[…] Je me trouvais initialement avenue de la Grande Armée, au niveau du
28, à hauteur d’un immeuble de la BNP. A cet endroit, il n’y avait pas d’écran
géant ni de sono audible pour suivre le déroulement du rassemblement. Comme
tant d’autres, je m’ennuyais donc un peu tout en ayant conscience de l’énormité
de la manifestation en cours à travers diverses rumeurs circulant dans la foule
– très calme – et en allant à la pêche aux retombées de presse sur mon
smartphone. D’un naturel mobile, curieux et ayant tendance à ne jamais prendre pour
fiable ce que disent les médias, j’ai décidé d’aller voir par moi-même ce qui
se passait du côté de l’avenue Foch pour y vérifier si la manifestation
débordait là aussi. En passant par les rues d’Argentine, de Saigon puis Rude,
je suis arrivé sur l’avenue Foch. J’y ai aussitôt constaté la présence d’un
grand nombre de manifestants. Je suis remonté sans encombre vers le haut de
l’avenue, barré dans le calme par le SO de LMPT et par un peloton de gendarmes
mobiles d’un escadron de Satory. Depuis ce barrage, je pouvais voir à environ
150 m sur la place de l’Etoile un assez grand nombre de manifestants,
reconnaissables de loin à leurs drapeaux bleus et roses. Je m’en suis étonné,
la place étant en principe interdite. Une rumeur a alors traversé la foule
selon laquelle « la place de
l’Etoile est ouverte », relayée de proche en proche. Un mouvement
spontané s’est alors dessiné pour s’infiltrer vers la place de l’Etoile, via la
rue de Presbourg et donc en passant in fine derrière la tribune de LMPT. Aucun
policier ou gendarme ne s’est interposé, aucun barrage, aucune barrière. Ça
passe comme un jour normal, jeunes, anciens, familles, poussettes, sans aucun
sentiment d’infraction à l’ordre républicain.Me voilà donc volens nolens – et plus par hasard qu’autre chose – sur
la place de l’Etoile, assez content d’y être car franchement agacé depuis
plusieurs jours de voir les autorités interdire ces lieux prestigieux à des
gens aussi bien élevés et correctement habillés que moi-même… […] Très rapidement, je constate qu’il y a en réalité assez peu de
monde sur la place, qu’il s’agit de manifestants LMPT normaux, des familles,
des personnes de tous âges, des gens comme moi et en aucun cas des provocateurs
excités et organisés pour. Je discute un moment avec les gendarmes mobiles qui
barrent l’accès vers l’avenue Foch (escadron de Pontcharra, non casqués, très
calmes et avenants, un lieutenant féminin à leur tête). Je n’ai aucune vision
sur ce qui se passe du côté des Champs, trop éloignés. La situation est calme
et bon enfant. Ne voyant plus guère quoi faire, l’heure avançant et étant responsable de car, je décide de
revenir avenue de la Grande Armée et de rejoindre le corps principal de la
manifestation en passant par où j’étais venu.Et c’est là que la situation a dérapé, en raison de l’inadaptation du
choix tactique et du comportement des forces de l’ordre.
Un cordon de CRS casqués, énervés, manifestement inquiets d’être en trop
petit nombre, venait de se mettre en place en travers de cette partie sud de
l’avenue de la Grande Armée, interdisant ainsi aux gens parvenus comme moi sur
la place de l’Etoile de retourner vers l’ouest. Tous les manifestants exprimaient
alors très calmement leur souhait de passer et de rejoindre le gros de la
manifestation. Le face à face a d’abord été bon enfant, puis s’est tendu face à
l’attitude bornée de ces CRS. Un capitaine, âge supérieur à 45 ans, casqué,
inquiet, faisait nerveusement son compte-rendu dans son poste radio à 2 m de
moi. Son interlocuteur ne comprenait rien, se méprenait sur le sens dans lequel
les manifestants voulaient progresser, la confusion policière était
perceptible. Bien plus grave, j’ai vu des commissaires de police en tenue venir
sur place et donc pouvoir apprécier de visu ce qui se passait réellement. Au
fur et à mesure, la tension est montée, les manifestants ont commencé de se
sentir pris au piège, la foule devenait plus compacte face aux CRS et se
mettait à pousser, en fait bien gentiment. Je n’ai relevé absolument aucune
provocation, aucun jet d’objet. Un peloton de gendarmes mobiles est venu
renforcer les CRS, manifestement prélevé sur ceux qui barraient l’accès à
l’avenue Foch (escadron de Pontcharra). Ils étaient non casqués, manifestement
plus maîtres de leurs nerfs que les CRS. L’épisode ubuesque a continué, les manifestants
souhaitant quitter la place, ne comprenant pas l’attitude policière, jusqu’à ce
que l’énervement et le sentiment d’être piégés les gagnant, la pression se
fasse plus forte face au cordon CRS-GM. Un incident semble avoir inutilement
énervé la foule, l’acharnement et la violence mis à maîtriser à terre un jeune
homme ayant réussi à passer derrière le cordon avec son sac à dos de provincial
en route pour les JMJ, absolument pas le profil d’un provocateur.
A un moment, sans que de mon point de vue le cordon n’ait été enfoncé
ou en passe de l’être, de violents jets de gaz ont été ordonnés, à très courte
portée, en pleine face des manifestants dont moi-même. L’origine de ce lancer
de gaz me semble venir des CRS qui ont été d’un bout à l’autre de l’incident le
maillon faible de la chaîne côté forces de l’ordre. La foule a reflué, j’ai vu
des personnes de tous âges s’étouffer, pleurer, cracher sous l’effet du gaz. J’ai
aussi vu et entendu des gendarmes vers lesquels la foule refluait (ceux en
place au début de l’avenue Foch) prodiguer des conseils et aider les gens à
supporter la douleur et la surprise. Je me suis ainsi retrouvé au poste de
secours déployé tout proche, en haut de l’avenue Foch, dépendant je crois de
l’Ordre de MALTE (pas sûr), où j’ai vu plusieurs personnes recevoir des soins.
Les noms et dates de naissance ont été pris par un membre féminin de ce PS. Un
commandant de CRS était là, j’ai parlé avec lui, il a reconnu avoir rarement vu
« un bordel pareil… ». Je pense qu’il faisait allusion à sa propre
hiérarchie plus qu’à la dangerosité des manifestants. Un CRS aussi se trouvait
là, un noir blessé à l’œil droit qu’il avait pansé, mais suite à une blessure
reçue bien avant et j’ignore dans quelles circonstances.
Le plus amusant, ubuesque, est qu’au sortir du poste de secours je me
suis dirigé par l’avenue Foch vers l’ouest pour revenir dans la manifestation et
que là tout le monde m’a laissé passer sans encombre (avec mes yeux gazés, je
n’ai pas bien vu qui, GM ou CRS), tel Fernandel dans la vache et le prisonnier
passant tous les obstacles en toute naïveté ! Tout ça pour ça…
Mon appréciation
- Les gens qui se sont retrouvés sur la place de
l’Etoile comme moi vers 16h30 – 17h00 l’ont fait sans aucunement forcer les
barrages. - La police a curieusement empêché les mêmes
manifestants pacifiques de revenir dans le corps de LMPT, leur donnant à penser
qu’ils étaient piégés sans savoir par où passer. Un des fondamentaux du maintien de l’ordre a ainsi été oublié, celui de
toujours laisser une solution de sortie à la foule. - Le commandement local a été soit incompétent
pour apprécier ce qui se passait, soit
désireux de provoquer l’incident. Or je rappelle avoir vu plusieurs
commissaires parfaitement capables de faire cette appréciation avant les
violences… - Les CRS devraient être mieux formés à dompter
leur stress et supportent mal la comparaison avec les gendarmes mobiles… - Toutes les images que j’ai pu voir ensuite
passer en boucle et relatives à ce créneau espace-temps montrent bien des
gazages intempestifs, parfois contre des manifestants qui sont loin d’être au
contact des forces de l’ordre (plusieurs mètres). Et surtout aucune image
n’accrédite la thèse de manifestants agressifs et violents… Où sont les capuches,
les foulards, les pierres, les boulons, les bâtons ?"