De Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique :
Le couperet est tombé. Raide comme l’injustice ! L’article 8 § III du décret 2020-45 du 11 mai prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid 19 est parfaitement clair : « Les établissements de culte sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit ». Cet article est repris, in extenso, dans le décret 2020-548 art 10 § III du même jour avec cependant un article 27 qui prévoit que : « Le préfet peut interdire tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte à l’exception des cérémonies funéraires ». S’il « peut interdire » c’est que l’interdiction n’est pas systématique. L’intention de réprimer perdure, avec cependant deux décrets différents le même jour sur le même sujet et en prime une contradiction entre deux articles du même décret. Tout cela n’est pas très sérieux.
Le dispositif antérieur interdisait les rassemblements de plus de 5 personnes. Le dispositif nouveau interdit les rassemblements de plus de 10 personnes dans les lieux publics ou ouverts au public, y compris par conséquent dans les lieux de culte : on passe de 5 à 10 personnes ! Dans bien des diocèses le culte public avait été tout simplement suspendu. Assez paradoxalement, le dispositif législatif reste confus et une forme de discrimination se poursuit vis-à-vis des cultes alors que l’heure est au déconfinement avec la réouverture des commerces, transports, etc. L’épiscopat français est sous le choc. Depuis des lustres il pensait que sa culture du compromis sur les questions morales lui permettrait au moins de préserver la liberté du culte. Il n’en est rien. Immédiatement l’AGRIF de Bernard Antony et quatre instituts religieux de droit pontifical (Fraternité Saint Pierre, Institut du Bon Pasteur, Institut du Christ-Roi et Fraternité saint Vincent ferrier) ont déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État pour atteinte à la liberté de culte. Avant eux Civitas et le PCD de Jean-Frédéric Poisson avaient également déposé un référé-liberté. A ce jour la Conférence des Evêques de France ne semble pas avoir entamé de démarche juridique. Et surtout, elle s’est bien gardée de faire valoir, tant auprès des pouvoirs publics qu’auprès des fidèles, le principe sacré de la liberté de l’Église.
Des règles de déconfinement diverses
En prévision du déconfinement annoncé pour le 11 mai chaque évêque avait édicté, dans son diocèse, les règles à appliquer pour régir la vie liturgique de l’Église locale à partir de cette date. L’orientation générale était donnée par un texte du conseil permanent de la CEF, suite à une visio conférence, le 6 mai :
« Concernant la pratique cultuelle les évêques du Conseil permanent rappellent qu’à ce jour, les cérémonies religieuses publiques ne sont pas autorisées jusqu’au 2 juin. Après discussion, il leur semble utile de rappeler aux évêques ce qui a été dit lundi : il serait peu sage d’autoriser explicitement que des messes soient célébrées, même avec moins de 10 personnes ou de faire la promotion tacite des messes à domicile ou encore de système de distribution de la communion. Tout acte public dans ce sens pourrait freiner les ouvertures gouvernementales et nuire à tous. »
Certains ont fait de ce texte une application stricte avec interdiction de célébration de la messe en public dans les églises ou chez les particuliers afin d’éviter une « privatisation de l’eucharistie ou du favoritisme », report des baptêmes et des mariages, interdiction de distribuer la communion sauf aux malades (Versailles, Vannes, Rouen, Moulins, Rennes). D’autres évêques, au contraire, incitent à donner la communion aux personnes présentes dans les églises (Saint-Brieuc, Bayonne). Certains mêmes incitent à aller porter la communion aux gens chez eux (Limoges). Des diocèses sont plus volontaristes comme celui de Saint-Etienne. Mgr Bataille invite à célébrer la messe dans les églises ou chez des particuliers pour des groupes de moins de 10 personnes. Il propose de reprendre les baptêmes et les mariages dès le 11 mai en respectant les critères légaux du nombre d’assistants. ! L’évêque de Grenoble va en ce sens, de même, si on lit entre les lignes, celui de Toulon. A contrario le diocèse de Rouen suggère de repousser les mariages… d’un an ! De nombreux évêques semblent surtout inquiets des conséquences juridiques ou pénales d’un éventuel supposé laxisme : « Toute découverte d’un nouveau cas de Covid-19 entraine une enquête pour savoir dans quelles circonstances le virus a été contracté. Si cette enquête permettait de remonter à un rassemblement organisé en contravention aux décisions légales et administratives en vigueur, les organisateurs engageraient leur responsabilité civile et pénale », écrit l’un d’eux. Là-contre, Mgr Pascal Rolland, évêque de Belley-Ars s’est élevé contre « l’épidémie de la peur » et a rappelé que « l’église n’est pas un lieu de risque, mais un lieu de salut » pendant que Mgr Ginoux, évêque de Montauban, faisant clairement référence à la période de l’Occupation, s’insurgeait : « L’Église Catholique a toujours rappelé le droit de la personne humaine à pratiquer sa religion. Empêcher d’exercer ce droit est une atteinte aux droits humains fondamentaux qui pourrait entrainer d’autres dérives etc. »
Tous les évêques, unanimement, dénoncent les mesures gouvernementales qu’ils considèrent comme une atteinte à la liberté de culte. Certains (Rouen) louent les qualités du dialogue avec les pouvoirs publics pendant que d’autres se font plus discrets sur le sujet, employant même le terme d’inquiétude (Saint-Etienne). Ces réactions de natures différentes si elles sont, bien sûr, liées à des tempéraments et à des situations diverses – la Creuse n’est pas le Val-de-Marne- semblent également liées à des théologies sacramentelles, disons diverses. Dans un entretien au bimensuel catholique l’Homme Nouveau, Mgr Lebrun, archevêque de Rouen appelle à « se « détendre » par rapport à cette pratique des sacrements ». N’y a-t-il pas un risque qu’à force de tout détendre rien ne tienne plus debout ?
Certains prêtres sont moins « détendus » et font part à leurs ouailles de leur souffrance, voire de leur colère. Citons un curé du diocèse de Créteil :
« En ce jour, mes larmes coulent et mon cœur est terriblement triste : je viens de recevoir, (…) au nom de notre évêque, l’interdiction formelle de célébrer la messe en présence de fidèles et d’administrer le sacrement de l’Eucharistie même en dehors de la messe (sauf aux malades) et ce jusqu’à nouvel ordre. L’Église et tout particulièrement notre diocèse se soumet donc inconditionnellement, aux consignes du gouvernement et va même plus loin (…) Celui qui est venu donner la Vie éternelle serait-il dangereux ? Alors que les temples de la consommation et du bien-être corporel seront dès lundi ouverts au public. Comment ne pas voir là une machination diabolique. Le cardinal Müller, qui a été durant de nombreuses années préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (…) disait en début de semaine qu’aucune autorité n’a le droit d’interdire l’accès à l’Eucharistie ».
Revenir à l’essentiel
De nombreuses déclarations épiscopales célèbrent la messe comme « temps de répit et de paix », interpellent sur « l’aujourd’hui de Dieu », invitent à « célébrer la vie », à réciter le chapelet et à applaudir les soignants à 20h le soir. Il y a, cependant, un mot en cinq lettres qui ne semble être apparu nulle part et qui pourtant est sans doute, ultimement la clé de tout cela : CROIX. Que l’on se préoccupe des gestes barrières, du marquage des places assises, de la régulation des flux et du gel hydroalcoolique pourquoi pas. Mais est-ce l’essentiel ? Beaucoup se réjouissent de la solidarité et de la créativité des communautés chrétiennes manifestées en ces temps d’épreuve. Très bien. Mais le plus important ne serait-il pas de rappeler que ces épreuves ont certainement un sens dans le plan de Dieu ? Que la suppression du culte public au-delà du dommage porté à la vie sociale et communautaire est aussi, et peut-être surtout, une atteinte au culte légitimement dû à Dieu. Cet aspect théologique semble avoir été bien absent des débats sur la liberté de culte. Cet « oubli » nous en dit, sans doute, plus que de longs discours sur la théologie de la messe aujourd’hui vécue et transmise dans bien des diocèses.