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Pays : Liban

Un espoir pour le Liban ?

Un espoir pour le Liban ?

D’Antoine de Lacoste dans Politique magazine :

Aimer le Liban, observer tristement son déclin apparemment inexorable, peser ses chances de survie, réclament l’exercice permanent de la vertu d’Espérance.

A vue humaine, le Liban semble perdu. Ruiné par une crise financière qui a dépossédé ses habitants de leurs économies, fracturé par le communautarisme, pris en otage par une classe politique corrompue, aucune porte de sortie ne semble possible. Alors beaucoup de jeunes, chrétiens notamment, fuient. Ils vont retrouver familles et amis en France, au Canada, en Australie, en Afrique même. Rien ne semble pouvoir arrêter cette descente aux enfers.

Mais depuis quelques jours, une petite musique nouvelle se fait entendre. Et si Joseph Aoun était différent des autres ? Et si le nouveau président de la République libanaise allait parvenir à s’élever au-dessus du marigot ?

Elu le 9 janvier par 99 voix sur 128 par le Parlement, il a réussi à rallier sur son nom une large partie des multiples tendances du Parlement. Même le Hezbollah, tenté par Frangié, a fini par se faire une raison.

Le chef d’Etat major de l’armée va donc succéder à son homonyme, sans lien de parenté, Michel Aoun, lui-même ancien patron de l’armée. Michel Aoun a déçu le peuple libanais. Il s’était concilié la Syrie et le Hezbollah mais n’a pas su convaincre les sunnites. Honni par une partie de la communauté chrétienne, il ne fit rien pour s’en rapprocher. Son triste mandat s’est achevé en octobre 2022. Il n’en restera rien.

Joseph Aoun fut très habile au cours de la campagne auprès des députés, où il ne donna jamais l’impression de s’engager à fond. Point de petits arrangements entre amis, pas de promesses inconsidérées, le nouveau président s’est comporté comme s’il était l’ultime recours après deux ans et trois mois de vacance du pouvoir présidentiel.

La campagne fut menée pour lui par trois puissances étrangères : Etats-Unis, France et Arabie Saoudite. Bien décidées à imposer leur candidat, elles n’ont pas lésiné sur les démarches. « C’est une des rares fois où nous subissons ce niveau de pressions internationales » a déclaré Nabih Berri, le président chiite du Parlement libanais.

Si les chiites, représentés par Nabih Berri et sa milice Amal d’un côté, et le Hezbollah de l’autre, ont fini par céder, c’est qu’ils n’avaient plus le choix. Depuis l’invasion du Liban par Israël, le Hezbollah est affaibli. Certes, les Israéliens sont loin d’être en terrain conquis au Liban sud, ont subi des pertes non négligeables et devront sans doute partir sous la pression américaine, Trump n’étant pas Biden. Mais, contrairement aux invasions précédentes, le Hezbollah n’a cette fois pas réussi à résister au point d’impressionner les opinions publiques libanaises et israéliennes. Surtout, sa direction a été décapitée par les bombardements israéliens qui ont, encore une fois, ravagé le sud Liban et une partie de Beyrouth.

UN PREMIER MINISTRE PRESTIGIEUX

Le premier acte de Joseph Aoun fut bien sûr de nommer un premier ministre. Conformément à la règle non écrite, issue du Pacte de 1943, c’est à un sunnite qu’échoit ce poste (en complément d’un président chrétien et d’un président de l’assemblée chiite). Son choix s’est porté sur Nawaf Salam. Brillant fonctionnaire international, il était juge à la Cour Internationale de Justice depuis de nombreuses années, et en avait été nommé président en 2024. Un poste prestigieux et très convoité.

Comme Joseph Aoun, il a la réputation d’être incorruptible, chose rare au Liban.  L’avenir dira si cela est vrai mais il est certain que rien n’est venu entacher sa réputation sur ce plan-là. Issu de la gauche, Salam est un chaud partisan de la cause palestinienne. Cela rassure les Hezbollah qui, bien que n’ayant pas voté pour lui au parlement, va adopter une position neutre dans un premier temps.

Malgré tout, la voie de Joseph Aoun et de Nawaf Salam est étroite. Depuis les accords de Taëf de 1989 qui ont affaibli les pouvoirs du président et donc des chrétiens, on sait que même un président désireux de réformer le pays ne peut réussir que s’il est soutenu par l’ensemble de la classe politique. Or, c’est aujourd’hui à peu près impossible. Il y a trop d’intérêts occultes, de corruptions collectives et individuelles, d’arrangements douteux. Le pacte de 1943 est devenu, depuis la fin de la guerre, un pacte de corruption. Celui qui voudra faire bouger les lignes se heurtera à une résistance passive infranchissable. Dans le pire des cas, il risque de se faire assassiner. Une longue liste a ensanglanté le Liban.

UN SOUTIEN INTERNATIONAL DECISIF

Alors pourquoi espérer cette fois ? Parce que les Etats-Unis ont décidé de saisir une opportunité : l’affaiblissement du Hezbollah et, par-delà, de la communauté chiite.  La victoire des islamistes sunnites en Syrie, les pertes importantes dues aux bombardements israéliens puis aux combats dans le Liban sud et enfin (et peut-être surtout) la disparition de son commandement ont fait reculer de plusieurs années la puissance de la milice chiite. Elle se reconstituera, soyons en sûrs, mais cela prendra du temps. Alors c’est le bon moment pour Washington de pousser son candidat. Car Joseph Aoun est très proche des Américains. Il est diplômé de l’université américaine de Beyrouth et a effectué plusieurs séjours aux Etats-Unis où il a notamment été formé à la lutte contre le terrorisme.

Son alignement n’est toutefois pas complet et il ne faudrait pas le voir comme une marionnette de Washington : entre un Américain et un Libanais, il y aura toujours le hiatus israélien. Les ravages provoqués par les bombardements israéliens depuis des années indignent les Libanais. Joseph Aoun a déjà évoqué « l’agression israélienne » depuis son élection.

Cependant, les Américains sont en confiance avec le nouveau président et cela ouvrira la voie à un soutien financier fourni à l’armée dans un premier temps puis à la reconstruction et la modernisation du pays dans un second temps, une fois que les Etats-Unis seront certains que leurs dollars ne se perdront pas dans les sables de la corruption.

Les motivations saoudiennes sont un peu différentes. Contrairement aux Américains qui se sont réjouis de la chute de Bachar el-Assad et ont probablement donné un coup de main aux islamistes de HTC, le prince héritier Mohamed ben Salman (MBS) est mécontent de ce changement de régime. Il avait normalisé sa relation avec Damas et ne voulait surtout pas voir la Turquie mettre la main sur la Syrie. Ce n’est pas vraiment le cas bien sûr mais les ambitions d’Erdogan dans la région sont bien connues et l’avenir en Syrie est plus qu’incertain. MBS est d’autant plus vigilant que les réseaux turcs sont très actifs dans la communauté sunnite du Liban.

Il vaut donc mieux sécuriser le Liban avec un homme qui s’entendra certainement avec l’Arabie Saoudite dont les moyens financiers seront précieux pour reconstruire le pays.

La France quant à elle représente l’Europe et sa capacité à distribuer de l’argent. Cela nous changera du puits sans fond de l’Ukraine.

Les mots et les actes de Joseph Aoun vont être maintenant disséqués. Le peuple libanais espère en lui, il ne doit pas le décevoir.

Antoine de Lacoste

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