A l’occasion de la sortie du livre “Pour l’amour de l’Eglise” qui consiste en une série d’entretiens avec Mgr Bernard Fellay réalisés avec Robert Landers de 2016 jusqu’au début de l’année 2019, le Salon Beige a obtenu l’autorisation des éditions Via Romana d’en publier quelques extraits.
R. L. : S’agissant du rapport à l’autorité, il semblerait qu’il y ait eu de la part de certains une volonté d’empêcher Monseigneur Lefebvre d’établir un rapport serein avec les autorités romaines. Comment analysez-vous cela ?
Mgr B. F.: Après le concile, Monseigneur Lefebvre remarquait que les évêques conservateurs ne pouvaient plus approcher le pape. Il citait des exemples de prélats qui n’avaient plus accès au pape, notamment l’archevêque de Madrid et le primat d’Irlande. Sans aucun doute, après le concile, il y a eu une sorte de purge dans l’Église. Les conservateurs ont été mis de côté. Monseigneur Lefebvre et la Fraternité ont été durement traités. Paradoxalement, avec le recul, je pense que cette situation de marginalisation a favorisé le développement de notre œuvre.
Ne pensez-vous pas qu’une telle attitude d’opposition au Saint-Siège risquait de faire diminuer dans l’esprit des fidèles et des prêtres l’amour d’une Église à la fois humaine et divine ?
Il y a un immense danger, c’est vrai ! Une grande prudence s’impose dans cette attitude d’opposition. Regardons saint Paul, quand il a résisté à saint Pierre… Résister à l’autorité consiste à dire simplement : « Attention, l’Église a déjà parlé sur ce point, vos propos ou vos décisions sont problématiques ». Une telle réaction est bonne, car d’une certaine manière elle protège l’autorité contre elle-même. Cependant, une telle démarche est délicate. Le danger est d’aller trop loin et d’émettre des critiques infondées ou exagérées, voire de faire des demandes inconsidérées, comme les donatistes. Il n’est pas juste d’exiger la sainteté parfaite de tous les membres de l’Église et de vouloir une Église de purs, à la manière des cathares. L’Église est sans péché, mais dans ce monde elle est composée de pécheurs… Il convient de ne jamais perdre de vue cette réalité. La réponse à la crise actuelle se trouve dans la tradition. Là nous avons des repères sûrs. Il ne faut pas les lâcher…
Visiblement vos choix pastoraux, liturgiques, doctrinaux, ne sont pas les mêmes que ceux de beaucoup d’évêques ou de prêtres. Dans le cadre d’une reconnaissance, comment envisagez-vous de collaborer avec eux ? La Fraternité vit actuellement clairement « à part ». Est-ce que ce sera toujours le cas ?
La question de la collaboration avec les évêques diocésains reste problématique. Il est difficile de donner une réponse générale, car l’unité de l’Église actuellement est passablement morcelée. Dans certains endroits, la tendance conservatrice est très forte, alors qu’ailleurs le modernisme est si développé que l’on peine à reconnaître le visage de l’Église catholique. Un nonce en fonction me disait que, dans un pays proche, les catholiques faisaient tout pour aller plus loin que Luther.
En revanche, ailleurs, il y a des évêques qui déjà maintenant nous demandent de prêcher pour leur clergé ou même qui envoient des sœurs, des religieux, des séminaristes recevoir une formation spirituelle chez nous. Ce mouvement est sans doute appelé à se développer dans les années à venir, mais franchement, je crois que le processus sera lent. En outre il requerra de notre part beaucoup de prudence, car nous devons rester vigilants. De fait, la question de cette collaboration reste dépendante de la situation générale de l’Église et de ses développements à venir. Il est raisonnable de penser que durant une période assez longue, nous resterons une communauté à part avec ici et là des actes de collaboration ponctuelle.
Devenu pape, Benoît XVI a manifesté une attention particulière vis-à-vis de la Fraternité, dans la continuité de son action comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Pourquoi une normalisation ne s’est-elle pas faite sous son pontificat ?
Je crois qu’il y a plusieurs éléments. Benoît XVI a posé des gestes forts en faveur de la tradition et nous lui en sommes très reconnaissants. Il a publié le motu proprio Summorum Pontificum qui est un acte courageux. Par ailleurs, il a entrouvert la porte à une discussion sur certains aspects du concile. Dans plusieurs discours, le pape évoque la mauvaise interprétation et réception erronée de Vatican II. Il dénonce un concile des médias et un para-concile qui a occulté le vrai concile. Cette démarche est un grand pas en avant. Cependant, elle reste pour nous insuffisante, car un tel discours pose plus de questions qu’il n’en résout. N’est-ce pas à l’autorité de donner l’exacte interprétation du concile ? Si pendant quarante ans, un para-concile s’est imposé dans l’Église, n’y a-t-il pas un problème ? Je crois qu’il faudra reprendre les textes du concile pour en préciser le sens, voire parfois en corriger le contenu. C’est à l’autorité et non aux simples fidèles d’accomplir ce travail. Dans cette œuvre, je pense que Monseigneur Lefebvre aura un rôle à jouer, post mortem…
Revenons à Benoît XVI et aux raisons pour lesquelles la réconciliation de la Fraternité ne s’est pas faite sous son pontificat…
Personnellement, je suis persuadé que le blocage n’est pas venu du pape. Des forces extérieures se sont opposées au rapprochement envisagé. Elles ont gagné contre les intentions et les désirs du pape.
Qu’est ce qui a changé avec le pape François ?
Plusieurs éléments ont changé. Le pape François accorde assez peu d’importance à la doctrine. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les hommes. Le pape est extrêmement humain. Ce nouveau climat permet une grande ouverture dans nos discussions avec Rome. Dès lors, il y a un contraste incroyable. D’un côté, le pape est un homme profondément moderne, qui lance régulièrement des critiques cinglantes sur tout ce qui touche à la tradition ; d’un autre côté, ce pape nous connaît suffisamment, pour dire que nous sommes catholiques et que nous faisons un apostolat authentiquement catholique. Pour le pape François, contrairement à son prédécesseur, il n’y a pas besoin d’attendre que toutes les questions doctrinales soient résolues pour dire que nous sommes catholiques. La différence avec Benoît XVI est considérable. Y a-t-il une relativisation du concile ? Non et oui ! D’un côté non, parce que le pape actuel est un homme du concile. Vatican II est pour lui tellement une telle évidence qu’il n’a pas besoin d’en parler comme Jean-Paul II et Benoît XVI. Pour François, le concile est un acquis. Et pourtant d’un autre côté, oui. Désormais, il est possible d’exprimer des réserves sur certains textes du concile que nous ne pouvons pas recevoir tels quels. Monseigneur Pozzo reconnaît que notre opinion est acceptable. C’est un changement assez radical par rapport à ce que nous pouvions entendre il y a encore peu de temps…
Dans un monde qui s’est détourné de Dieu comme le nôtre, ne vaut-il pas mieux unir les forces vives plutôt que de se diviser ?
Oui. Nous n’avons jamais voulu rester dans notre coin. Nous cherchons et nous voulons l’unité dans la vérité. Je suis sûr que nous allons y arriver. Je n’ai aucun doute là-dessus. Seulement, je ne sais combien de temps il faudra pour y parvenir. Le pape François m’a dit : « J’ai des problèmes, parce que je suis bon avec vous ». Ensuite, il m’a dit : « Vous aussi, vous avez des problèmes de votre côté ». Dès lors, ne nous pressons pas, avançons lentement. Je trouve ce discours réaliste et très raisonnable. Avant lui, déjà le pape Benoît XVI m’avait dit : « Il faut avancer, de manière raisonnable ». Aujourd’hui, le pape nous regarde comme catholiques. C’est un grand pas en avant, bien que certains, y compris à Rome, continuent d’affirmer que nous sommes schismatiques ou seulement en communion imparfaite.
Vous contestez cela ?
Évidemment. Si la Fraternité est catholique, il n’est pas juste de dire qu’elle n’est « pas en pleine communion » avec Rome. L’expression n’est pas adéquate. Pour la plupart des gens, « être en communion » signifie être dans l’Église, confesser la foi catholique et reconnaître l’autorité du pape. Ne pas être en pleine communion, signifie ne pas être catholique. Par conséquent, je n’accepte pas que cette expression soit utilisée pour évoquer notre situation.
Gaudete
Voilà qui a le mérite d’être très clair. Et en plus les prêtres de la FFSPX sont très simples et d’un abord plus que facile même s’ils ne sont pas à tu et à toi.Quant aux “services”,il est difficile de faire mieux, ils se plient en 4 pour les malades et les mourants et bien sur aussi les bien-portants. C’est vrai qu’ils gardent l’enseignement de l’Eglise comme un trésor mais n’est-ce pas là leur “travail”?