Texte proposé par l’abbé Michel Viot (et écrit hier) :
Ce matin, lors d’un entretien en direct sur l’une de nos chaînes de télévision, notre Archevêque, Monseigneur Michel Aupetit, rappelait que la cathédrale Notre Dame de Paris était d’abord et avant tout un écrin créé pour un bijou précieux : « un morceau de pain », conservé dans le tabernacle ! Car ce bijou précieux, ce trésor des trésors, devient, conformément aux paroles de Jésus Christ, son corps glorieux, par les mains des prêtres dûment ordonnés dans la succession apostolique. En célébrant la Sainte Messe, ceux-ci rendent présent le sacrifice du Golgotha avec la résurrection qui lui a succédé. En ouvrant les portes de l’éternité, le sacrifice de la messe rapproche de la Sainteté de Dieu dans tout ce qui touche à sa célébration. Aucun écrin ne pouvait donc être trop beau pour aider à son déroulement !
C’est pour lui donner ce cadre digne de lui que se construisirent des cathédrales, mobilisant pour cela plusieurs corps de métiers ayant la capacité de porter leur art à un degré de perfection très élevé. Les tailleurs de pierre, principaux artisans de ces chefs d’œuvres, étaient conscients de leur participation au sacerdoce des prêtres, puisqu’ils s’érigèrent rapidement en confréries, semblables aux tiers ordres monastiques, avec leurs vœux, leurs serments. S’agrégèrent à eux d’autres confréries de métiers d’arts, faisant ainsi de nos cathédrales des catéchismes de pierres. Souvent elles suppléèrent aux manques du clergé, accomplissant la parole de Jésus : « Si eux (les disciples) se taisent, ce sont les pierres qui crieront ».
Les pierres liées à Jésus révèlent toujours quelque chose de Lui pour qui sait voir, qui sait tendre l’oreille. Celles qui ont lapidé Etienne ont agi sur Saul de Tarse, le futur Saint Paul, à retardement certes et après un aveuglement, mais elles ont converti son cœur. Les pierres de nos vieux sanctuaires abandonnés par notre manque de foi pleurent et crient. Elles savent, à cause de l’amour qui les a disposées pour nous faciliter l’approche de Dieu, que de notre dédain entrainera leur destruction et que celle-ci précédera de peu la nôtre. Notre destin, celui de la civilisation dont nous nous prévalons est lié à nos pierres. La France, comme l’Europe se sont construites par les monastères, les cathédrales et les églises paroissiales.
Mais la surdité des hommes est quelquefois telle, que les larmes et les cris des pierres ne suffisent pas. Alors elles peuvent brûler et s’effondrer jusqu’à la ruine, la « ruine complète » ! C’est ce à quoi nous avons assisté en ce lundi, début de la Semaine sainte, inaugurée en fait la veille, dimanche des rameaux ou de la passion. C’est à l’endroit le plus fragile de la cathédrale que le feu est apparu, là où l’on entreprenait enfin des travaux de consolidation et rénovation pour la flèche que Viollet-le-Duc posa sur l’édifice lors de la restauration de 1843. « Nous ne sommes pas au moment des querelles » a dit notre Archevêque ce matin. Je lui obéis en arrêtant là mon propos sur l’entretien de la cathédrale par le passé. Mais je ne peux pas oublier que le président Hollande était absent lors de l’ouverture du jubilé des 850 ans de Notre Dame, le 12 décembre 2012, s’étant fait simplement représenter par son ministre de l’intérieur et des cultes – lequel prononça, il est vrai, une belle allocution. On n’y vit le président que contraint et forcé par de tragiques événements, pour la messe dite pour le père Jacques Hamel, assassiné par des terroristes islamistes.
Hier lundi, c’est toute la France, avec le monde entier qui était tourné vers Notre Dame et s’en passionnait. Mieux, notre nouveau président de la République, Emmanuel Macron est venu sur les lieux avec son épouse, le premier ministre et d’autres hauts responsables de la République. Je lui suis reconnaissant de cette attention, et ne pense pas être le seul. « Nous allons reconstruire Notre Dame » fut l’essentiel de son propos, le reste fut parfait tout comme les interventions catholiques rappelant ce que représentait Notre Dame. Ce pourquoi le propos de Madame de Gaulmyn évoquant ce sanctuaire comme haut lieu du dialogue inter religieux avec les musulmans, fit tâche, l’évocation patrimoniale eût suffi, si on voulait ne pas apparaître comme trop catholique… mais elle nous a habitué à pire !
Pour conclure pour l’instant, et à cause de la Semaine Sainte, je rappellerai seulement cette parole de la Vierge Marie à la Salette le 19 septembre 1846: « Si mon peuple ne veut pas se soumettre (il s’agit des français et de leur manque de foi), je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils ; il est si lourd et si pesant que je ne puis plus le retenir ». Revoyez votre histoire de France et ce qui s’est passé peu de temps après, les révolutions de 1848, etc… Que l’on réfléchisse bien alors à ceci. Lorsque nous avons vu tomber avec effroi la flèche enflammée de la cathédrale, c’est une partie visible de l’art d’un génial restaurateur qui est partie en fumée, mais gardant encore assez de consistance pour détruire des voûtes d’origine. Cela dit, les statues des douze apôtres et des évangélistes avaient été providentiellement descendues quelques jours auparavant pour restauration. Or c’est justement sur eux que repose l’Eglise de Jésus Christ. Une flèche de cathédrale qui s’écroule, si affreuse que soit la scène, est une œuvre d’art qui disparaît. C’est une immense perte. Ce sera notre souffrance du début de la Semaine Sainte. Mais le fait que l’image des douze apôtres et des évangélistes ait été sauvegardée, mieux que la couronne d’épines rapportée par Saint Louis, et la tunique de ce grand roi aient été sauvées du feu par le courage des pompiers de Paris et de leur aumônier, membre de l’Ordre du Saint Sépulcre, tout cela constitue des signes d’espérance en notre chère Église que rien ne détruira jamais.
Alors, les larmes dans les yeux, mais le cœur rempli d’espérance, nous regardons ce qui nous reste de Notre Dame, et disons avec Léon Bloy, à voix haute pour qu’on nous entende :
« Ce qu’il me faut, c’est l’Immaculée Conception couronnée d’épines, ma Dame de la Salette, l’Immaculée Conception stigmatisée, infiniment sanglante et pâle, et désolée, et terrible, parmi les larmes et ses chaînes, dans ses sombres vêtements de “Dominatrice des nations, faite comme une veuve, accroupie dans la solitude”; la Vierge aux épées, telle que l’a vue tout le Moyen Âge : Méduse d’innocence et de douleur qui changeait en pierres de cathédrales ceux qui la regardaient pleurer ». (Léon Bloy, Celle qui pleure, Éd. Mercure de France, 1908, pp 113-115).