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L'Eglise : François

Un péronisme pratique

Un péronisme pratique

De Jean-Baptiste Noé dans Conflits :

[…] François est resté un homme marqué par les années 1970 et la pensée politique du péronisme argentin. Le péronisme n’a pas de définition stricte tant la pratique du pouvoir de Juan Perón a varié au cours du temps. Officier argentin, président à plusieurs reprises (1946-1955 ; 1973-1974), il a développé un mouvement fondé sur le nationalisme, la démagogie, le populisme, l’autoritarisme. Le péronisme s’est poursuivi après Perón, jusqu’à être défait par Javier Milei lors de la présidentielle de 2023.

Jorge Mario Bergoglio a été façonné par cette praxis politique, qui fut celle de son enfance et de sa vie d’adulte, et son péronisme se retrouve tout au long de sa pratique du pouvoir. Attention aux pauvres, sensibilité sociale affirmée, passion pour les communautés populaires, volonté de passer par-dessus les corps constitués et les structures de gouvernement (notamment la curie) pour exercer directement le pouvoir. Un pouvoir qu’il a aimé et qu’il a exercé jusqu’au bout. Cet autoritarisme a été marqué par des sanctions brutales et sans préavis, par la nomination de personnes incompétentes à des postes clefs, afin de pouvoir les contrôler, par des procès sans respect des normes juridiques, dont celui du cardinal Becciu est le plus emblématique. Jugé sans que l’on puisse connaître les motifs de la plainte, le droit a été modifié au fur et à mesure de l’enquête et du procès afin pour pouvoir aboutir à sa condamnation. Le code canonique a été particulièrement mal traité au cours du pontificat, avec des réformes hasardeuses et bancales.

Les restrictions apportées à la forme extraordinaire du rite romain ont également été mal comprises, y compris en dehors du cercle des pratiquants de cette forme, en engendrant des blessures et des humiliations inutiles. Le prochain pape aura cette nécessité de refermer de nombreuses blessures issues des débats politiques et théologiques des années 1970 rouvertes par François.

Un exemple de cette gouvernance forte est le nombre de motu proprio signé par le pape. Le motu proprio, en français « de son propre mouvement », est un acte juridique, qui émane uniquement du pape, par lequel celui-ci gouverne l’Église, sans passer par le gouvernement. C’est un mode de gouvernement direct, par lequel un pape impose une décision. François en a signé 73 durant son pontificat, soit une moyenne de 6 par an. Par comparaison, Benoît XVI en a promulgué 13 et Jean-Paul II 32 (soit 1,2 par an).

Cet autoritarisme a fini par lasser et par détacher de François même ses plus fidèles soutiens. J’ai pu le constater lors de sa maladie, étant alors à Rome. L’indifférence des Romains était totale ; il a fallu que les cardinaux organisent officiellement la prière du chapelet place Saint-Pierre pour que des fidèles viennent. Lors de la maladie de Jean-Paul II et de Benoît XVI, s’est spontanément que les catholiques s’étaient rassemblés pour prier. Ce détachement était également visible dans le peu de monde présent lors des audiences publiques, avec moins de monde que sous Benoît XVI, et dans les échecs de librairie de ses livres.

Le péronisme qui se veut proche du peuple et populaire finit toujours, en Argentine comme à Rome, par s’éloigner du peuple et par s’en détacher.

L’une des grandes tâches du prochain pape sera de recréer ce lien avec le peuple de Rome, notamment en s’installant dans les palais apostoliques afin de créer un lien direct entre lui et la Ville.

Parler au-delà de Rome

François a porté le message chrétien au-delà du monde catholique. Dans les mondes musulmans, son aura est grande. Il y a rencontré de nombreux chefs d’État et dignitaires religieux, il s’est rendu dans des pays variés, comme le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, l’Égypte, le Maroc. Pour des musulmans qui ont souvent des chefs religieux lointains et coupés du peuple, la proximité de François exerça une influence réelle.

De même en Asie, où les réactions officielles à son décès ont été nombreuses, notamment Modhi. Aucune réaction en revanche de la part de Xi Jinping, alors que le dossier chinois fut l’un des dossiers majeurs de François, qui tenta tout ce qui était en son possible pour opérer un rapprochement et une légitimation de l’Église en Chine. Ce sera là l’un des gros dossiers diplomatiques du prochain pape.

De ce pontificat resteront donc des images, des formules, un style, une proximité. Le pape qui sortira du prochain conclave permettra de savoir si l’héritage de François se poursuit ou si l’on passe à autre chose. Chaque pape est homme de son temps, de son substrat culturel, de sa génération et les défis des années 2020 ne sont pas ceux des années 2010.

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