De Bernard Antony :
J’ai été très heureux ce matin de lire les papiers du Figaro et de Valeurs actuelles consacrés au centenaire de la naissance de Georges Brassens.
Grand et bel article dans Valeurs, d’Olivier Moulin, et dans le Figaro, outre les deux pleines pages sous le titre « Chanteur indémodable », le bel éditorial du jamais décevant Étienne de Montety : « Le bonhomme Brassens ».
Ont remonté mes souvenirs de la fantastique soirée que nous avions passée jadis avec le merveilleux bonhomme d’abord reçu par nous dans les locaux de notre Fédération des étudiants de Toulouse puis, au Capitole, pour l’introniser « damoiseau d’honneur» dans notre « Gaie confrérie des damoiselles et damoiseaux du Languedoc ».
Faut-il préciser que notre « gaie confrérie », créée en 1967 était tout sauf… une confrérie de « gays ».
Ceux qui veulent savoir à quoi nous ressemblions n’ont qu’à aller feuilleter le cahier photos du premier tome de « Bernard Antony raconte ». Ils y verront comment l’extraordinaire et très inventif Philippe Duchet, futur époux de Ghislaine de Cadoudal et beau-père de Marie Le Morvan, avait imaginé les habits de cérémonie (toge, faluche traditionnelle, épée…) de cette confrérie aussi truculente que réactionnaire, se voulant à la fois dans l’esprit des troubadours de notre midi et des escholiers chantés par François Villon. Philippe en était le grand-maître, j’en étais le « porte-gonfanon ». Il va de soi que nous étions totalement, radicalement, aux antipodes de la triste engeance soixantuitarde qui, tel un abcès de peste bubonique, purulerait tristement dans certaines facultés à partir de tristes groupuscules néo-bolcheviques.
Nous, de plus en plus nombreux, nous investissions certes, à l’occasion, toujours joyeusement et gentiment, en chantant le chant des « majos » ou « la coupo santo », les amphis de profs trop misérablement idéologues.
Faut-il le préciser ici, nous n’avions qu’affection pour nos chers et vénérés professeurs, Louis Jugnet (philosophie politique) et Pierre Montané de la Roque (droit constitutionnel) qui, volontiers, nous tendaient leur micro pour quelques minutes de communion dans l’Amitié Française.
Je ne sais plus comment Philippe Duchet (qui a rejoint la maison du Père) avait pu réussir à s’entretenir avec Georges Brassens et le persuader de venir parmi nous après un récital, pour une soirée dans notre siège du 11 rue des Gestes, à deux pas du Capitole.
Toujours est-il qu’en une heure déjà avancée d’une belle soirée d’avril, Philippe, avec le mélange de déférence et d’aimable simplicité qu’il savait adopter en pareil cas, fit entrer ce bon anar de Brassens un peu intimidé parmi une soixantaine de damoiselles et damoiseaux qui ne l’étaient pas moins.
Et puis, déroulant comme un parchemin, il lut le discours d’accueil qu’il avait ciselé, pas trop long, à la fois respectueux, admiratif et désopilant. Ses mots déclenchèrent vite le bon rire d’un Brassens répondant simplement : « Je me sens bien avec vous ! », non sans regarder préférentiellement les jolis minois de Luce et de Colette…
Alors, après avoir étanché sa soif avec un frais pastis, il céda sans trop bougonner aux demandes pour quelques-unes de ses chansons, non sans qu’elles soient entrecoupées de ses questions sur ce que nous pensions. Brassens était certes à sa manière un « anar », mais un bon « anar » et manifestement il appréciait notre non-conformisme véritable.je me souviens de l’émotion de l’assistance quand cet anarchiste nous parla avec admiration de saint Louis, disant : « Ah, si tous les hommes politiques lui ressemblaient un peu… ».
Mais la soirée n’était pas terminée. Philippe Duchet lui avait bien dit qu’il allait être intronisé dans notre confrérie et il l’avait volontiers accepté. Mais il ne se doutait pas de la façon dont cela allait se dérouler.
Duchet pria d’abord l’assistance de sortir et de s’ordonner en cortège à la suite des damoiseaux et damoiselles en faluche, ces dernières préposées à marcher avec le chanteur dans une courte pérégrination vers la cour intérieure du Capitole. Là, à la lueur des torches qui furent allumées, Philippe Duchet se mit à lire (juste devant la plaque commémorant l’exécution en ce lieu du duc de Montmorency condamné par un édit de Richelieu pour crime de duel) un très solennel et aussi très épique et ébouriffant discours d’intronisation.
C’est alors qu’arrivèrent sur les lieux une patrouille de deux policiers tenant deux chiens en laisse. Que diable signifiait ce rassemblement inaccoutumé, durent-ils se demander et sans doute, que devaient-ils faire ?
Duchet, nullement démonté, s’adressa ainsi à eux : « Messieurs les archers du guet, mettez-vous au garde à vous ! ». Et ils obtempérèrent, leurs chiens sagement assis à côté d’eux. Des policiers au garde à vous devant Brassens, il fallait le voir pour le croire !
Et Brassens nous confia ensuite, joyeusement, qu’il n’aurait jamais imaginé pareille scène.
Duchet termina alors son éloge et puis intima à Brassens l’ordre de tremper ses lèvres dans une coupe de vin de Gaillac, et puis, cela fait, le frappant sur les deux épaules du rouleau de son discours, avant de le lui remettre, le déclara, de sa voix puissante, Damoiseau d’honneur de la Gaie confrérie des damoiselles et damoiseaux du Languedoc.
Brassens, à nouveau un brin intimidé, exprima sa gratitude pour cette intronisation et émit alors tout simplement le désir d’aller avec nous se désaltérer pour de bon ; non sans saluer gentiment, d’un signe de tête, « les archers du guet » qui certes n’avaient pas attendu notre autorisation pour se mettre au repos mais qui, aimablement, continuaient à veiller sur nous.